Mission habitée sur Mars : la prochaine frontière ?
Même si cela ne fait pas nécessairement la une des journaux, il semblerait que nous soyons entrés dans une nouvelle course à l’espace avec pour objectif : Mars. La NASA et la Chine, aidées par des entreprises privées, sont les candidats les plus sérieux pour la première mission habitée vers la planète rouge. Même si un retour sur la Lune est la priorité pour l’instant, Mars devrait suivre rapidement. Pour m’éclairer sur le sujet, j’ai eu la chance de discuter avec Jean-Marc Salotti, membre de l’International Academy of Astronautics et de l’Association Planète Mars, il a publié de nombreux travaux en lien avec les voyages habités vers Mars. Voyons donc à quoi pourrait ressembler cette mission historique.
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Mars : une destination logique
Mars est la 4ᵉ planète du système solaire en partant du soleil, et il n’y a pas à tergiverser, il s’agit de la planète la plus propice au premier établissement d’une présence permanente humaine dans le système solaire. Mais ne vous laissez pas séduire par ces sublimes photos dignes du club med. Mars n’est pas du tout hospitalière et si vous voulez du confort, l’antarctique est une destination 4 étoiles en comparaison.
Avec une atmosphère contenant plus de 95 % de dioxyde de carbone et moins de 1 % d’oxygène, une température moyenne de -60 degrés et environ 38% de la gravité à la surface de la Terre, on peut se demander pourquoi faire le trajet de 55 millions de km !
Projetons-nous maintenant dans les prochaines décennies. Dans cet épisode précédent, nous avons décortiqué une timeline de l’expansion de l’humanité à travers le système solaire par une équipe de chercheur international. Mars étant prévu pour minimum 2037, maximum 2048. C’est donc une fourchette raisonnable, sachant que le trajet le plus court n’est possible que lorsque la Terre et Mars possèdent la bonne configuration, ce qui arrive tous les deux ans et quelques.
Architecture de mission
Tout d’abord, une mission à échelle 1 sera certainement orchestrée bien avant une mission habitée. Il s’agit d’expédier approximativement le même poids et la même masse qu’un vaisseau habité afin de tester notamment l’atterrissage sur Mars. Une répétition grandeur nature pour être sûr que les aspects techniques sont maitrisés avant le transport d’un équipage.
Pour envoyer des robots, vu qu’ils ne se plaignent pas, le trajet prend entre 8 à 10 mois, mais pour un équipage humain, chaque semaine compte. Ainsi, un voyage d’environ 6 mois est envisageable, mais le cout en carburant augmente très rapidement pour un retour marginal en temps. Une fois sur place, les astronautes devront attendre approximativement 500 jours pour que la bonne configuration planétaire se produise.
En termes de propulsion, à moins d’un énorme changement de paradigme, ce sera une propulsion chimique. L’architecture de mission varie en fonction des différents projets, que ce soit la NASA, SpaceX ou autre, mais en général, ils se composent d’une fusée contenant les astronautes et les ressources pour survivre pendant le voyage. Mais elle n’aura le carburant nécessaire que pour quitter la gravité terrestre. Une ou plusieurs fusées supplémentaires seront envoyées en basse orbite pour docker avec cette dernière et remplir les réservoirs. Ensuite, l’architecture de mission possède plusieurs étapes.
Tous ces lancements lourds n’ont pas à être envoyés en même temps. Il est même crucial de faire atterrir sur Mars, en amont des astronautes, un cargo contenant le plus de charges possible, comme les outils scientifiques, véhicule pressurisé, le véhicule de retour et des éléments de survie. C’est une façon d’assurer que du matériel et les ressources essentiels soient déjà sur place avant d’envoyer des humains. L’inverse serait extrêmement risqué puisque si, disons, le véhicule contenant l’habitat est détruit lors de l’atterrissage, les astronautes se retrouveront coincés en orbite, sans possibilité de rester à la surface.
Suite à une étude en 1997 et à l’analyse de spécialiste des facteurs humains, la NASA a conclu que 6 astronautes seraient le nombre idéal pour une première mission habitée vers Mars. Ce chiffre a servi de base pour tous les plans de mission qui s’ensuit. Mais si l’on souhaite atténuer la complexité, il est possible de réduire le nombre d’astronautes.
Après 6 à 9 mois de voyages et un atterrissage qui s’annonce délicat sur la surface de la planète rouge, les désormais Martiens devront survivre dans un endroit plus hostile que n’importe quel coin de la Terre. Ils devront vivre dans des habitats artificiels possédant des systèmes de survie complexes. Un aspect clé sera les systèmes de traitement d’eau. Les astronautes de l’ISS ont montré qu’il est possible d’en utiliser beaucoup moins et qu’environ 70 % peut être recyclé. Des systèmes similaires seront nécessaires sur Mars, mais devront être beaucoup plus efficaces. En effet, l’ISS est ravitaillé en eau quatre fois par an. Ce ne sera pas aussi simple sur Mars. À noter que l’accès à des gisements d’eau gelée par forage a été étudié par la NASA, mais il reste beaucoup d’inconnu à ce sujet. Quoi qu’il en soit, les astronautes auront avec eux, suffisamment d’eau pour le voyage aller-retour et une certaine quantité de réserve au cas où le système de recyclage malfonctionne. Ce qui représente des tonnes d’eau à transporter.
Généralement, que ce soit pour l’eau ou pour la nourriture, les plans de mission incluent de nombreuses redondances et backup pour faire face à plusieurs scénarios.
Après plusieurs missions et des décennies d’expériences sur la surface martienne, nous aurons une meilleure appréciation des risques, ainsi que la faisabilité de produire des ressources in situ, c’est-à-dire sur place. Transporter toute la nourriture et l’eau sera alors peut-être moins crucial.
Une colonie sur Mars
À quoi cela pourrait ressembler ? On a déjà vu dans un ancien article qu’il existe des propositions d’habitats suggérés par plusieurs équipes avec des styles et esthétiques différents. Mais les habitats incluront surement les éléments suivants :
Production d’oxygène, élimination des déchets, assainissement et recyclage de l’eau, dortoirs, stockage d’équipement, espaces de travail et d’exercice, Sas pour la pressurisation et la gestion de la poussière, équipement d’extraction de ressources – initialement pour l’eau et l’oxygène, plus tard pour un plus large éventail de minéraux. Équipements de production et de stockage d’énergie comme des panneaux solaires et peut-être aussi du nucléaire. Des serres pour la production alimentaire, matériel pour communiquer avec la Terre, équipement pour se déplacer au-dessus de la surface comme un rovers pressurisé.
On ajoute aussi du matériel qui pourrait servir pour les objectifs scientifiques d’une mission habitée comme la recherche de vie sur Mars. Donc essentiellement un petit laboratoire d’exobiologie.
Un avant-poste sur Mars pose de nombreux défis techniques, mais également biologiques. En effet, le corps humain est le résultat de millions d’années d’adaptation à l’environnement terrien. Il est clair qu’une exposition prolongée à des conditions extra-terrestres aura un impact négatif sur la biologie humaine. Tous les astronautes sont fragilisés par la microgravité après seulement quelque mois en orbite. L’Agence Spatiale Européenne propose d’embarquer une petite centrifugeuse qui permettrait aux passagers de faire des séances de gravité tous les jours. Ajouté avec des exercices physiques, cela pourrait suffire à contrecarrer les effets de l’apesanteur lors du voyage. Une autre solution serait d’inclure des modules en rotation autour du vaisseau comme pour la station de 2001 l’odyssée de l’espace. Seulement cela augmente la complexité et les risques de panne mécanique.
L’autre facteur qui revient souvent est les radiations cosmiques durant le voyage. Alors cela ne pose aucun danger immédiat. Les astronautes ne vont pas succomber aux radiations durant la mission de 2 ans. Mais ils verront leur risque de développer un cancer au cours de leur vie augmenter de 3 à 4%. Ce sera donc à eux de choisir s’ils acceptent le risque et les conséquences potentiels. C’est important de préciser que les astronautes font partie des personnes les plus saines au monde et, en principe, les moins à risque de développer des cancers. De ce fait, même avec 3-4% de risque en plus, ils pourraient rester en dessous de la probabilité moyenne. Ajouté à ça, l’oncologie progresse rapidement et ;a médecine aura certainement évolué entre 2037 et 2048. Ce qui laisse espérer que le cancer ne sera plus une maladie si terrifiante.
Mais bon, le fait est que nous ne savons pas tout sur les dangers de l’espace prolongé sur le corps humain, donc la prudence reste de mise. Des tests en haute orbite ou sur la Lune vont sans doute éclaircir nos connaissances. Que ce soit sur les aspects biologiques, mais également psychologiques. Il existe d’ailleurs une simulation martienne appelée HI-SEAS (Hawaii Space Exploration Analog and Simulation) qui place les scientifiques dans un laboratoire martien factice pour étudier les effets psychologiques de l’isolement prolongé.
Un autre point très important pour le succès d’une mission habitée sur Mars est la capacité de produire du carburant sur place. Comme on l’a vu, il y a déjà énormément de charge utile et carburant pour se rendre sur la planète rouge. S’il faut en plus apporter tout le carburant pour le retour, la complexité s’en retrouve démultiplié. C’est pourquoi de nombreuses options ont été étudiées pour produire du carburant grâce aux ressources martiennes.
Le premier pas vers une civilisation multiplanetaire
La 1ʳᵉ mission habitée sur Mars sera l’un des exploits le plus spectaculaire de l’humanité. Elle marquera à coup sûr les livres d’histoire pendant les siècles à venir, et nous aurons peut-être la chance d’y assister. Ce sera tellement incroyable, que certains n’y croiront certainement pas, et des théories complotistes farfelus vont proliférer. Je pense qu’on peut miser là-dessus !
Reste à savoir si le sort de Mars sera similaire à celui de la Lune, c’est-à-dire un exploit puis un abandon progressif et une période de stagnation sur plusieurs décennies. Ou alors, après plusieurs aller-retour et un perfectionnement technique, les infrastructures vont commencer à s’étendre tout comme l’autonomie vis-à-vis de la Terre. Avec du recul, le premier pas sur Mars sera peut-être considéré comme le premier pas vers une civilisation multiplanetaire.
Ma conversation complète avec Jean-Marc Salotti sur le sujet est ou sera bientôt disponible. Il s’agit de l’épisode 37 de la série de podcast “la prospective”.
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