La gouvernance spatiale : entre totalitarisme et coopération

Tout public
FULL HD
Vlog / Podcast • 13 minutes
Essayez The Flares en illimité : 0€
La gouvernance spatiale : entre totalitarisme et coopération
Téléchargez au format PDF

L’exploration spatiale, s’installer sur des planètes du système solaire, créer des habitats artificiels à la pointe de la technologie. Des visions attrayantes pour beaucoup de personnes et souvent associées à des futurs positifs dans la science-fiction.

Mais est-ce vraiment le cas ? Et si les contraintes spatiales étaient finalement un vecteur de tyrannie ? C’est en tous cas ce que suggère le professeur de sciences politiques américaine Daniel Deudney dans son livre Dark Skies.

Les technologies spatiales sont-elles négatives ?

Selon lui, de nombreuses visions de l’avenir humain dans l’espace écartent dangereusement la plausibilité de conflit et de totalitarisme. L’expansion de l’humanité dans le système solaire aura probablement des conséquences sociopolitiques plus sombres que ne l’imaginent leurs partisans. En effet, ceux qu’il qualifie comme les expansionnistes de l’espace prédisent un avenir radieux, mais fondamentalement naïf, car dépourvu de compréhension politique et de réalité historique. Daniel Deudney n’est pas contre l’utilisation de l’espace au profit de l’augmentation des connaissances scientifiques ou d’un système techno-écologique plus durable sur Terre. L’espace offre d’énormes possibilités d’améliorer la robotique, l’industrie en microgravité, la médecine et bien d’autres secteurs.

Cependant, il soutient que le bilan des technologies spatiales en tant que force positive dans la politique internationale est hautement discutable. Le principal résultat négatif de l’ère spatiale à ce jour est que les technologies spatiales, principalement les fusées, ont rendu l’holocauste nucléaire possible. Après tout, les fusées modernes, bien qu’imaginées par Tsiolkovski en 1902 pour aller dans l’espace, ont d’abord été utilisées pour bombarder la ville de Londres durant la 2e guerre mondiale. Et plus tard comme missile balistique contenant des ogives nucléaires. Si on peut envoyer des fusées en orbite, on peut aussi atomiser n’importe quel point sur la planète.

Cet argument est valide, mais je le trouve très réducteur. En associant armes nucléaires avec technologies spatiales, c’est mettre de côté tout un pan de l’ère spatiale. Notamment la contribution des satellites dans l’augmentation de la stabilité géopolitique. Et historiquement, l’arme atomique a d’abord été une arme aérienne avant d’être un missile balistique.

Par contre, il est vrai que si l’humanité développe des habitats dans tout le système solaire, les armes nucléaires continueront sûrement d’être une méthode fiable de destruction mutuellement assurée. Mais ce qui pourrait être encore plus dangereux provient des technologies nécessaires pour concevoir des habitats spatiaux ou pour extraire des ressources. Le contrôle des astéroïdes et des comètes en particulier constitue une menace importante, car même un astéroïde de petite taille peut être dévié – intentionnellement ou accidentellement – et être placé sur une trajectoire de collision pouvant détruire des villes, modifier le climat et déclencher un événement majeur d’extinction. Un impact d’astéroïde est bien pire que notre plus puissante bombe nucléaire. “Alert spoiler” – c’est d’ailleurs exploré dans la série “The Expanse” comme une nouvelle forme de terrorisme.

L’espace augmente-il le risque de totalitarisme ?

Le risque de totalitarisme et de dictature augmente également dans l’espace. Lors de discussions sur l’établissement de colonies dans l’espace, un certain nombre de scientifiques et écrivains de science-fiction font l’analogie avec les Européens colonisant le Nouveau Monde. Mais l’analogie ne fonctionne que jusqu’à un certain point, étant donné que les colons américains ou australiens avaient au moins de l’air, de l’eau, et beaucoup de nourriture potentielle dans les forêts, océans, lacs et rivières. Le manque de ces ressources vitales génère des problèmes supplémentaires pour la gouvernance politique sur une colonie extra-terrestre.

Les habitats spatiaux auront besoin d’un contrôle strict de la population pour fonctionner. Un petit nombre d’humains ou d’entreprises contrôleront les éléments fondamentaux pour vivre: l’air, l’eau, la lumière, les systèmes hydroponiques. Le pouvoir et le contrôle conférés aux dirigeants de tels habitats augmentent les risques vers le despotisme et le totalitarisme, car il n’y aura pas d’alternatives en dehors de cet environnement hautement contrôlé et très peu d’occasions de rentrer à la maison. D’autant plus que les distances sont gigantesques. Si un tyran prend le pouvoir sur Mars ou Titan, combien de temps faudra-t-il pour que la Terre envoie des secours. Si tenté qu’elle le fasse. Et qu’en est-il des entreprises qui deviennent si dominantes qu’elles peuvent monopoliser le marché ? Ça arrive sur Terre, mais dans l’espace, un monopole sur l’oxygène soulève des questions éthiques ? Les milliardaires dirigeront-ils leurs colonies comme ils gèrent leurs usines et traiteront-ils leurs citoyens comme ils traitent leurs employés les moins bien payés ?

Sur Terre, les gouvernements peuvent priver leur population de nourriture et d’eau, mais ils ne peuvent pas les priver d’air. Vous pouvez donc vous enfuir dans une forêt et planifier une révolution, rassemblez vos amis et essayez de renverser le gouvernement. En tous cas c’était historiquement vrai. Il est vrai qu’aujourd’hui, les technologies de surveillance rendent cette tâche plus difficile. Mais ça reste une option, contrairement à l’espace. Ajouté à ça, lorsqu’un gouvernement atteint un stade de totalitarisme trop important, il entre bien souvent en conflit avec ses voisins plus libertariens et de nombreuses organisations internationales envoient de l’aide. Mais dans l’espace, qui viendra à la rescousse ? Et qui vous entendra crier … Toutefois, il faut faire attention de ne pas projeter dans un lointain futur certains traits de nos sociétés récentes et actuelles. Comme la lutte des classes ou les tyrans despotiques.

On peut être tenté de comparer une colonie martienne avec une base en Antarctique. Les conditions sont hostiles dans les deux cas, il y a une impossibilité de s’aventurer à l’extérieur trop longtemps, et les ressources vitales dépendent d’un petit nombre de machines et individus. Pourtant nous n’avons jamais vu un despote prendre contrôle d’une base au pôle Sud. Mais l’Antarctique n’est pas vraiment un endroit où des sociétés se développent. Ça reste avant tout un centre de recherche scientifique et à plus faible mesure, une zone touristique et de pêche. La comparaison avec, disons une base sur Mars, fonctionne sur les premières décennies après l’établissement sur la planète rouge. Ce sera avant tout un centre de recherche, peuplé par des scientifiques. Et potentiellement un très faible tourisme pour les plus fortunés. Le risque de totalitarisme sera donc presque nul. Mais lorsqu’on déplace le curseur à plusieurs siècles dans le futur, la question d’une société autoritaire devient plus pertinente.

Eviter une tyrannie extra-terrestre

L’astrophysicien Charles S. Cockell propose dans son livre “Human Governance Beyond Earth and The Meaning of Liberty Beyond Earth”, quelques pistes de réflexion pour éviter une tyrannie extra-terrestre. Dans les habitats spatiaux où la production d’oxygène est contrôlée par une seule entité, il doit y avoir une certaine garantie que l’approvisionnement en air ne peut pas être coupé aux citoyens.

Il suggère de fragmenter autant que possible les infrastructures en ayant une pluralité des moyens de production. Autrement dit, d’avoir de nombreuses personnes capables de produire de l’oxygène, de l’eau, etc. grâce à une décentralisation. Modulariser une colonie de manière à ce qu’il y ait beaucoup de machines de production d’oxygène, alimentaire et eau, de sorte que la défaillance de l’une d’entre elles ne menace pas l’ensemble de la colonie.

Les catastrophes se produisent généralement lorsqu’une société est entièrement contrôlée de manière centrale, ou lorsqu’il n’y a pas d’organisation du tout. Les meilleures formes de société ont toujours été celles qui sont flexibles et se modifient au fil du temps à mesure que les idées changent. Les démocraties occidentales, malgré tous leurs défauts, réussissent raisonnablement bien à équilibrer libertés individuelles et législations bénéficiant le bien commun. Tout en évitant les conflits entre elles. En étudiant l’histoire, on se rend compte qu’empaqueter des millions d’homo sapiens au même endroit, sans avoir des bains de sang quotidien, ce n’était pas gagné d’avance.

Nul doute que de nouvelles façons de gouverner seront tentées dans l’espace. Robert Zubrin, ingénieur aérospatial, et président du Mars Society n’adhère pas à l’idée de totalitarisme spatial. Selon lui, les autocrates pouvaient contrôler les paysans de l’Europe médiévale parce qu’ils vivaient dans une société si simple que les tyrans pouvaient éliminer ceux qui n’obéissaient pas. Sur Mars, tout le monde sera essentiel à la survie de tous les autres. Invoquant la sélection naturelle, il suggère que les idées de gouvernance qui fonctionnent perdureront et ceux qui échouent seront abandonnés. Bon, il faut quand même se rendre compte qu’un échec de gouvernance sur Mars, c’est probablement la mort de tous les colons. Robert Zubrin compare l’expansion humaine dans l’espace avec l’établissement des États-Unis. Les idées libérales et humanistes des philosophes des Lumières, si chers aux pères fondateurs des États unis, n’étaient pas inconnues en Europe, mais les structures de pouvoir en place depuis des siècles les empêchaient de s’y épanouir. Autrement dit, Mars ou autres habitats spatiaux seront les endroits parfaits pour tester de nouvelle façon de gouverner et d’organiser un groupe d’humains. On peut voir cela comme de l’ingénierie sociale.

Que nous dit la sociologie ?

Il existe également une variété d’expériences sociales qui diffèrent des nations, et celles-ci se présentent sous la forme de communautés formées accidentellement comme les marins naufragés échoués sur une île. Le sociologue évolutionniste Nicholas Christakis a exploré 24 de ces cas dans son livre : “Blueprint: The Evolutionary Origins of a Good Society”. La durée de ces sociétés imprévues allait de deux mois à quinze ans avec des populations initiales allant de 4 à 500 personnes.

Certains des survivants se sont entretués et dévorés les uns les autres, tandis que d’autres ont survécu, prospéré et ont finalement été secourus. Qu’est-ce qui a fait la différence? Selon Nicholas Christakis, les groupes qui ont généralement le mieux réussi étaient ceux qui avaient de bons dirigeants sous la forme d’une hiérarchie légère sans violence injustifiée, mais aussi des amitiés entre les survivants, de la coopération et de l’altruisme. Ils partageaient équitablement la nourriture, s’occupaient des malades et blessés et travaillaient ensemble à creuser des puits, à enterrer les morts, à fabriquer des abris et des radeaux de sauvetage. Ceux qui ont échoué lamentablement, comme la célèbre révolte du Bounty, avaient une structure hiérarchique basé sur la Royal Navy, moins de femmes que d’homme ce qui créa de grosses tension et jalousie, et des survivants polynésiens qui étaient discriminés par les rescapés britanniques.

Les leçons à tirer pour les colons spatiaux de ces expériences sociales historiques sont assez claires: commencer avec un ratio homme-femme équilibré, structurer un système politique plus horizontal que hiérarchique, éliminer les attitudes racistes et misogynes, accentuer la coopération et atténuer la complétion et la loi de plus fort.

Peut-être que SpaceX ou la NASA créeront une division d’ingénieurs sociaux – une équipe de juristes, de politologues, d’économistes, et de psychologues pour proposer un système de gouvernance totalement différent. Ou peut-être que les colons eux-mêmes penseront à quelque chose de nouveau en expérimentant différentes solutions aux problèmes sociaux.

La Science-Fiction comme laboratoire d’idée de gouvernance

Certains auteurs de science-fiction se sont prêtés au jeu de la géopolitique spatiale ou ce qu’on pourrait appeler astropolitique. “The Expanse”, mentionné plus tôt, joue la carte de l’exploitation des habitants de la ceinture d’astéroïde par la Terre, faction rebelle de ceinturien allant jusqu’à de l’astroterrorisme. Sans oublier une guerre froide entre la Terre et Mars. Il y a un petit côté “Histoire qui se répète”. Super pour créer du conflit, plausible, mais pas nécessairement le plus probable.

Dans sa trilogie de Mars (Mars rouge, Mars vert, Mars bleu), Kim Stanley Robinson imagine les conséquences de la prise de pouvoir de sociétés transnationales sur les citoyens martiens, conduisant à un équilibre entre un gouvernement Martien supervisant des colonies indépendantes et un système économique entre capitalisme, socialisme et conservation de l’environnement. Cela fonctionne si bien que les Martiens sont confrontés à un problème d’immigration illégale de Terriens dont la planète a souffert de la crise environnementale.

Au-delà d’un petit nombre de chercheurs dans les sciences humaines orientées vers l’espace, ainsi que certains écrivains de science-fiction, les idéaux expansionnistes des cosmistes russes, de Carl Sagan, Gerard O’Neill, Michio Kaku ou encore Elon Musk ne sont pas souvent critiqués par des points de vue plus ancrés dans les problèmes astropolitique. À ce titre, les points soulevés par Daniel Deudney et Charles S. Cockell sont utiles pour offrir une vision plus complète de l’avenir de la colonisation du système solaire.

Rate this post
[contenus_similaires]
  1. Lame 20 mars 2021 at 14 h 26 min - Reply

    Voilà une excellente vidéo qui comporte de nombreuses remarques et références utiles sur la gouvernance des établissements extra-atmosphériques mais aussi sur celle des sociétés terriennes.

    Concernant l’Europe féodale, les seigneurs ont dominé les paysans grâce à leur image médiatique et l’ignorance des populations plus que par la force. Les chevaliers paraissaient indispensables à la défense de la population contre les menaces extérieures (sarassins, vikings, etc…) et leur autorité était consacrée par la religion. La grande majorité de la population aspirait à la sécurité de leur vivant et au paradis au-delà et ne connaissait de toute façon aucune alternative. Le système avait ses limites au vu du nombre de révoltes et dissidences religieuses dirigées contre les abus de la noblesse et/ou du clergé.

    L’amélioration des arts martiaux populaires et la diffusion des armes à feu ont disruptés les anciennes armées féodales axées sur la chevalerie: on pensera aux schiltrons de Robert Bruce à Bannockburn (1314), à l’armée taborite de Jan Siska à Sudomer (1420), aux couleuvrines françaises qui ont permi la victoire de Castillon en 1453. Alors que la chrétienté recherchait fiévreusement une parade à l’expansion musulmane, les chevaliers ont accumulé les sous-performances sur tous les fronts. La féodalité, système politique au service d’une classe de spécialistes obsolètes, sera achevée par la médiatisation de techniques de gouvernement plus participative, la multiplication des alternatives religieuses au catholicisme romain, la primauté croissante du sentiment national sur l’appartenance religieuse.

    Sur base de cette vidéo, j’émettrai l’hypothèse qu’un gouvernement démocratique ne peut s’établir qu’entre des gens interdépendants, préparés à gouverner et affranchis des exigences d’acteurs extérieurs recourrant à la force ou exploitant la dépendance de la population visée aux importations. La plupart des gens sont plus demandeurs de résultats en matière de garantie de sécurité, puis de bien-être que de démocratie. La démocratie n’est qu’un moyen qui ne provoque aucun bienfait mécaniquement et dont la pertinence ne va jamais de soi.

    Je pense donc que nos sociétés pourraient évoluer vers des démocraties des organisations. La survie des individus reposera de plus en plus sur leur affiliation à une organisations vivrières privées. Pour l’aristocratie du moment, il s’agirat des entreprises classiques ou de decentralized autonomous company (DAC). Pour les petites gens, il s’agira de coopératives ou entreprises multisociétaires dédiées à la prosommation. Les individus perdront progressivement leurs prérogatives politiques individuelles au profit de leur organisation de référence; elles paraissent déjà inutiles à la plupart de ceux qui en jouissent. Les organisations vivrières acquéreront des prérogatives politiques auprès des Etats qu’elles soutiendront d’une façon ou d’une autre selon le principe “droit de vote contre contribution en numéraire, en nature ou en industrie”.

  2. Gaëtan Selle 22 mars 2021 at 6 h 56 min - Reply

    Hey merci d’avoir apprécié la vidéo, et de partager ton avis intéressant sur le sujet 😉

Qui est derrière ce contenu ?
  • Realisation
  • Commentaire voix off
  • Montage image
  • Sources images et videos
Rate this post