Colonisation de l’espace : le vaisseau générationnel, ultime solution ?

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Colonisation de l'espace : le vaisseau générationnel, ultime solution ?
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Même si le programme Apollo, reste, un demi-siècle plus tard, le point culminant de l’aventure humaine dans l’espace, on peut raisonnablement envisager la colonisation de Mars, miner la ceinture d’astéroïde, explorer les lunes des géantes gazeuses, et autres aventures dans le système solaire d’ici les 2-3 prochains siècles. Il faudra bien sûr des innovations majeures dans le secteur de la propulsion, l’ingénierie, la robotique et bien d’autres, mais si on admet un progrès et intérêt pour l’espace, ne serait ce que marginal, alors ce n’est qu’une question de temps avant que nos descendants explorent le système solaire.

Par contre, coloniser une planète d’un autre système stellaire, c’est une autre histoire. On peut évoquer toutes sortes de visions pour des voyages supralumique, les FTL (Faster-Than-Light), allant du warp drive aux trous de vers. Mais ces théories sont soit hautement spéculatives (comme la propulsion Alcubierre) ou entièrement du domaine de la science-fiction. Selon toute vraisemblance, toute mission vers un autre système prendra des générations pour y parvenir, plutôt que quelques mois ou quelques minutes comme dans Star Wars.

C’est pourquoi le concept de vaisseaux générationnels reste une des idées les plus crédibles aujourd’hui si l’on veut envoyer des humains sur une exoplanète. Et on va voir dans cette vidéo quelques questions que l’on pourrait se poser sur cette prouesse potentielle de l’humanité. Et ce n’est pas que moi qui le dis! Par exemple, dans le jeu Civilization, dans lequel vous dirigez votre peuple pendant des milliers d’années depuis l’aube de l’histoire, une des façons de gagner est de construire un vaisseau générationnel pour aller à Alpha Centauri. C’est littéralement le truc le plus avancé du jeu.

Le nombre de personne minimum

La première question qui me semble cruciale à déterminer c’est combien de personnes sont nécessaire et quelle serait la taille minimum requise du vaisseau spatial ? Il se trouve qu’une équipe a publié plusieurs articles scientifiques sur le sujet menés par Frédéric Marin, de l’observatoire astronomique de Strasbourg. Alors je ne vais pas décortiquer ces articles, car je pense en faire un documentaire plus long pour bien entrer dans le sujet. Dites-moi d’ailleurs si ça vous intéresserait.

À partir de leur analyse, ils ont déterminé qu’un minimum de 98 personnes serait nécessaire pour accomplir une mission multigénérationnelle vers la planète la plus proche, Proxima Centauri B, sans risques de troubles génétiques et autres effets négatifs associés aux manques de diversité génétique. Donc pour ne prendre aucun risque, il vaut mieux avoir un équipage initial de 200 à 500 personnes. Concernant la question tout aussi importante de savoir comment nourrir l’équipage, Frédéric Marin et son équipe ont constaté que, pour un équipage de 500 personnes vivant avec une alimentation omnivore et équilibrée, 0,45 km² de terres artificielles suffiraient pour produire toute la nourriture nécessaire en utilisant une combinaison d’aéroponie (pour les fruits, légumes, amidon, sucre et huile) et l’agriculture conventionnelle (pour la viande, le poisson, les produits laitiers et le miel). Ceci dit, j’ai du mal à envisager que des technologies comme la viande cultivée ne seront pas utilisées. Ça semble plus simple que d’avoir une population de bétail qui consomme de précieuses ressources pour un gain nutritionnel pas si avantageux que ça. Une inconnue de taille concerne l’accès à l’eau potable. Le recyclage sera essentiel, tout comme c’est le cas dans la station spatiale internationale, mais ce ne sera pas suffisant à l’échelle d’un vaisseau générationnel. Et l’eau n’est pas la ressource la plus facile à trouver dans l’espace. Capturer des astéroïdes en route sera peut-être une option, ce qui ajoute un degré de complexité de taille.

Ces valeurs fournissent donc certaines contraintes architecturales pour la taille minimale du vaisseau. En supposant qu’il ait été conçu pour générer une gravité artificielle par force centripète à l’aide d’un cylindre rotatif, il ferait au minimum environ 224 mètres de rayon et 320 mètres de longueur. Bien sûr, l’agriculture n’est pas le seul facteur en termes d’infrastructure – habitation humaine, salles de contrôle, production d’énergie, moteurs, zone de vie. Ce qui signifie un vaisseau spatial au moins deux fois plus grand pour un total d’environ 650 mètres de long. Ce qui reste plus petit que le plus haut bâtiment du monde, le Burj Khalifa avec ses 828 m. Nous ne sommes donc pas sur des projets d’infrastructures totalement irréalisables.

L’éthique des vaisseaux générationnels

L’autre question que je me pose souvent lorsque je réfléchis au concept de vaisseau générationnel tard le soir en regardant la Lune dans le ciel étoilé en mangeant des noix de cajou, c’est de savoir si c’est éthique. Assurément, avoir des humains enfermés toute leur vie dans un cylindre métallique à peine plus gros qu’un gratte-ciel, au milieu du vide mortel interstellaire, génération après génération, certain pourrait dire que c’est immoral.

La question éthique des vaisseaux générationnels gravite principalement autour de la notion de choix. Le plus évident c’est qu’une personne née à l’intérieur du vaisseau n’a pas choisi de vivre toute sa vie dans de telles conditions et elle n’a pas la possibilité de quitter ce mode de vie. Elle pourrait se dire que c’est incroyablement injuste d’être une des seules générations d’humains à ne pas respirer un air naturel, courir dans la forêt et vivre sur Terre. C’est une position étrange d’être une des rares générations qui n’a pas connu la Terre, et qui ne verra pas la nouvelle planète.

Ensuite, un tel vaisseau ne peut fonctionner que si la plupart des enfants nés à bord sont formés pour devenir la prochaine génération d’équipage. Ils auront donc peu de choix sur le type de projet qu’ils poursuivront. Cuisinier, jardinier, ingénieur, pilote, médecin, etc. Étant donné que l’attribution des rôles doit être étroitement contrôlée, ils n’auront peut-être même pas ce degré de choix, car une fois qu’un nombre suffisant de personnes se sont inscrites à la formation de mécanicien par exemple, il n’y aura plus de places disponibles.

D’une manière générale, les personnes nées à bord seront plus limitées dans tous leurs choix que n’importe quel humain sur Terre. Par exemple, des millions de femmes dans le monde n’ont aucun contrôle sur la question de savoir si elles ont des enfants. Ce qui est intolérable, car chacun devrait avoir le contrôle sur sa propre reproduction. Mais ceux qui sont nés à bord d’un vaisseau générationnel n’auront surement pas le choix non plus de devenir parents, car le succès du projet dépendra en grande partie sur le contrôle de la population. Ils n’auront surement pas le choix sur les options culinaires, sur les loisirs, ou encore l’éducation. On pourrait se demander également s’ils auront une liberté religieuse ou si certaines idées dangereuses et superstitions présentes dans les livres saints seront volontairement oubliées. Peut-être que tout le monde à bord recevra une éducation humaniste laïque et les religions terriennes disparaîtront. Thématique qui fait penser à la récente série HBO Max “Raised by wolf”. On peut aussi imaginer que l’histoire de l’humanité pourrait être déformée au fil des générations. Si les habitants ressentent des angoisses existentielles concernant leur situation au point de mettre en danger le projet de colonisation, par exemple en commettant des actes terroristes sous prétexte qui ne se sente pas moralement obligé de continuer ce long voyage pour un projet de colonisation qu’ils n’ont pas choisi. Alors les autorités pourraient décider de ne pas révéler la vérité aux prochaines générations. Ils seraient endoctrinés à penser que le vaisseau se trouve être l’origine de l’humanité et que rien n’existe au-delà. Un bon sujet de science-fiction.

Mais si on réfléchit bien, la plupart des problèmes éthiques que j’ai posés sont pertinents pour beaucoup d’entre nous, ici et maintenant. Je n’ai pas choisi de vivre au 21e siècle. Je pourrais trouver ça injuste de ne pas être né au 25e siècle et de pouvoir profiter de tout un tas de choses qui sont inaccessibles à mon époque. Et s’il existe d’autres espèces intelligentes capables d’expérimenter l’univers d’une façon sublime que je ne peux même pas imaginer, je pourrais trouver ça injuste de n’être qu’un simple humain sur Terre.

À différentes échelles et sous différentes formes, la plupart des enfants sur Terre aujourd’hui sont nés dans un avenir contraint, que ce soit à cause de la pauvreté, de croyances religieuses ou d’une dégradation de l’environnement. Les parents veulent généralement que leurs enfants soutiennent le mode de vie, la nation, l’institution qu’ils pensent crucial pour mener une vie qu’ils jugent décente. Par exemple, de nombreux parents orthodoxes seraient affligés par le fait que leurs enfants se marient en dehors de leur religion. Certaines personnes ont moins d’options dans leur vie par la simple malchance d’être né dans certaines circonstances comme dans des pays très pauvres et un problème similaire se pose pour les personnes porteuses de gènes limitant leur vie (comme la maladie de Huntington). Aux États-Unis, les amish ont légalement le droit de retirer leurs enfants de l’école, afin de limiter leur exposition à différents modes de vie. Donc cela limite le droit des enfants à un avenir ouvert, tout comme les enfants à bord du vaisseau générationnel. Une différence existe tout de même, les adultes peuvent quitter les communautés amish. Une personne née en Corée de Nord pourrait être en colère vis-à-vis de ses ancêtres d’avoir permis une telle situation autoritaire d’exister, tout comme une personne née dans un vaisseau générationnel pour être en colère vis-à-vis de ses ancêtres pour avoir autorisé un tel projet. De même si l’environnement se trouve significativement dégradé par notre impact, une enfant née au siècle prochain pourrait nous en vouloir.

Les différences entre la Terre et les vaisseaux générationnels sont principalement des différences d’échelle et non de nature.

La question de savoir si les vaisseaux générationnels seraient éthiquement acceptables, malgré l’enfermement des générations dans un projet et un mode de vie qu’ils n’ont pas choisi, semble dépendre de la question de savoir si l’objectif est lui-même suffisamment important pour le justifier. Par exemple, la survie de l’espèce pourrait être une raison suffisante.

L’idée de vaisseaux générationnels n’échappe pas aux critiques armés d’arguments difficiles à réfuter. Déjà, il ne faut pas négliger la difficulté technique. Les choses tombent en panne. La deuxième loi de la thermodynamique est inéluctable. Vous ne pouvez pas simplement mettre un système fermé dans l’espace pendant un siècle et espérer que rien n’irait de travers. Ensuite, l’espace est un endroit extrêmement inhospitalier pour les homo sapiens, et la vie en général. Les rayons cosmiques semblent causer de nombreux problèmes sur le cerveau, les yeux, donne des tumeurs, et qui sait quoi d’autre! Nous n’avons pas assez de données sur les voyages intersidéraux pour tirer des conclusions définitives.

Et soit la planète à l’autre bout est inhabitable, auquel cas nous devrons passer des siècles à la terraformer, soit elle est vivante, et ses assassins microscopiques pourraient sonner le glas des colons en quelques mois.

Il faudrait également trouver des gens prêts à risquer leur vie, et abandonner à jamais la Terre et tout ce que ça implique. Mais surtout, il faut se demander si nous aurons une raison suffisamment grande pour entreprendre ce projet. Sauf urgence ou extrême nécessité, c’est-à-dire que la Terre est condamnée, ou pour éviter une catastrophe existentielle, il n’est pas sûr que nous aurons la motivation nécessaire.

Comme pour tout ce qui concerne l’exploration spatiale, la réponse à la question “est-ce possible?” et presque toujours liée à la question: “Combien sommes nous prêts à dépenser?” Il ne fait aucun doute qu’une mission humaine interstellaire, quelle que soit sa forme, exigerait un engagement massif en termes de temps, d’énergie et de ressources.

Mais savoir théoriquement les ressources et difficultés d’un tel projet est une première étape importante et nécessaire si nous voulons contempler un jour la possibilité de coloniser une exoplanète à l’aide d’un vaisseau générationnel. Ou bien s’il est plus rationnel d’opter pour une autre solution si nous avons le choix. Par exemple, avec la cryonie. Ou alors une animation suspendue, similaire à de l’hibernation où le corps fonctionne au ralenti. L’hypothèse d’envoyer des embryons humains est également une option, mais qui va mettre au monde ces embryons et ensuite éduquer les enfants ? Des androïdes ? Là aussi, plausible, mais encore loin d’échapper à la pure science fiction.

Au final, ma conclusion c’est que plus le temps passe et plus l’idée d’envoyer des humains biologiquement semblable à nous semble improbable. Des entités entièrement synthétiques feraient de bien meilleurs explorateurs stellaires. Ou alors il faudra au minimum modifier génétiquement l’organisme humain pour endurer les rayons cosmiques ou autres menaces de l’espace. Et pourquoi pas une combinaison des deux? Voir de tous les scénarios mentionnés dans cette vidéo? Qu’en pensez-vous? Est-ce que vous aimeriez vivre toute votre vie dans un vaisseau générationnel?

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  1. Lame 19 novembre 2020 at 14 h 00 min - Reply

    La différence entre la Terre et les vaisseaux générationnels est plus complexe qu’un problème de taille:
    -L’atmosphère et la gravité terrestre ne sont générés par des machines nécessitant supervision et entretien.
    -La Terre n’a pas besoin d’équipage pour naviguer; elle orbite toute seule autour du soleil.
    -L’atmosphère terrestre, le champ magnétique terrestre et la lune nous protège des météorites et de phénomène létaux.

    Le problème le plus fondamental, toutefois, est la relation entre les habitants. Sur Terre beaucoup de problèmes communautaires sont réglés par la guerre, l’immigration clandestine ou la famine. Dans un vaisseau générationnel, peut-on diviser les habitants en factions et les laisser se battre? C’est un vaisseau.

    Si l’équipage et les passagers ne collaborent pas, il sera perdu.

  2. SMIGIELSKI 17 décembre 2020 at 15 h 26 min - Reply

    Je pense que le plus important, qui est d’ailleurs mentionné mais non développé, est la raison suffisamment grande pour entreprendre ce projet. Si la motivation réside dans une pseudo-Arche de Noé, ce serait alors très inquiétant. Une découverte sans précédent nous poussera peut-être sur cette voie. A défaut de la possibilité d’un voyage supralumnique ou de la cryogénisation, un vaisseau entièrement robotisé fera très bien l’affaire (sauf s’il n’est pas en capacité d’effectuer les analyses requises). Dans ce cas se posera cette fameuse question éthique d’un voyage humain multigénérationnel. Aux vues des risque encourus, il faudra que cette découverte offre un bénéfice sans précédent pour l’humanité afin que l’adhésion soit totale. Que les êtres humains trouvent un consensus pour le bien de l’humanité … on est vraiment dans de la science-fiction pour le coup 🙂

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