Types de civilisations : l’échelle de Karadachev inversée
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Les échelles de Kardashev et Barrow
Fort à parier que tous les amateurs d’espace ont déjà entendu parler de l’échelle de Kardashev ! Mais connaissez-vous une autre méthode pour classer les civilisations avancées ? Il se trouve qu’un cosmologiste a proposé un modèle très intéressant. L’échelle de maitrise microdimentionelle !
Peu importe d’où elle vient et où elle se trouve, une espèce utilisant des outils et technologies a un pouvoir sur le monde que le reste du règne animal ne possède pas. Plus elle découvre ce qui constitue la réalité, plus elle peut appliquer ses connaissances universelles en de meilleurs outils et technologies, plus son pouvoir sur le monde s’étend. Une fois qu’on admet cette série d’événements, la question se pose : jusqu’où ça va ?
Ainsi, lorsqu’on réfléchit au futur d’une civilisation avancée, que ce soit notre futur ou des extra-terrestres, il est admis que le meilleur guide possible est les lois de la physique. Une fois qu’on entre dans ce cadre, on peut regarder ce qui est permis dans cet espace des possibilités. Et bien qu’elles soient théoriquement restreintes, les limites sont, en pratique, quasi infinies vis-à -vis de notre niveau civilisationnel. Que ce soit dans l’utilisation énergétique, la collecte de ressource, la puissance de calcul informatique, les états de conscience possibles et tout ce qui a de la valeur pour une civilisation.
Et bien souvent, les physiciens, ingénieurs et futuristes se tournent vers l’infiniment grand. Vers le macroscopique. Entre en scène la plus célèbre classification de civilisation. L’échelle de Kardashev, imaginée par le physicien du même nom en 1964.
L’échelle de Kardashev : Mesurer le niveau technologique par l’utilisation d’énergie
Il s’agit d’une méthode qui mesure le niveau technologique d’une civilisation en regardant la quantité d’énergie qu’elle est capable d’utiliser.
L’énergie est la capacité d’un système à faire des transformations sur le monde. Peu importe le type de transformation. En règle générale, quoi qu’on fasse, il vous faut de l’énergie. C’est une sorte de devise universelle qu’on doit payer pour faire quelque chose. Plus on en a, plus on peut faire de grandes transformations. Utiliser l’énergie comme unité de mesure d’une civilisation est donc tout à fait raisonnable et cohérent. Car plus une civilisation est avancée, plus elle va être en mesure de faire des transformations, donc plus elle aura à sa disposition de grandes quantités d’énergie.
L’échelle originale comporte les types I, II et III, pour les civilisations ayant respectivement la capacité d’utiliser l’équivalent énergétique de leur planète, de leur système stellaire et de leur galaxie. Mais elle a depuis été étendue pour inclure les types IV et V (univers et multivers) voir même plus, avec dimensions supérieures, etc., mais là c’est vraiment spéculatif.
L’échelle de Barrow : La maîtrise micro-dimensionnelle
Toutefois, mesurer le niveau d’une civilisation en regardant uniquement l’infiniment grand est certes pertinent, mais néglige tout un pan de la réalité. À savoir l’infiniment petit. Le cosmologiste John D. Barrow a observé que les humains ont plus facilement obtenu des capacités à manipuler leur environnement sur des échelles de plus en plus petites plutôt que de plus en plus grandes. Il propose donc un modèle inverse de celui de Kardashev en allant du Type -I au Type Omega.
Sa classification est appelée échelle de la maîtrise micro-dimensionnelle, de la micro-échelle ou simplement l’échelle de Barrow. Il suggère que c’est la capacité d’une civilisation à contrôler de petites choses, comme les atomes et les quarks, qui compte vraiment. Plutôt que le contrôle des étoiles et les galaxies.
Le type -1 correspond à une civilisation capable de manipuler des objets ayant une échelle proche de leur taille. De quelques millimètres à quelques mètres. Du grain de poussière au bloc de marbre. C’est grosso modo l’ingénierie mécanique. Ce qui nous permet de construire des bâtiments, des ponts, des véhicules et des pots de moutarde en verre. Il suffit de regarder par la fenêtre pour se rendre compte que nous avons passé ce niveau depuis un moment.
Une civilisation de type -2 manipule des objets invisibles à l’œil nu allant des cellules à l’échelle de l’ADN. Du micromètre (ou micron) à quelques nanomètres. Cela correspond à l’ingénierie biomédicale, avec la capacité de modifier les organismes par exemple. Typiquement avec les outils d’édition génomique comme CRISPR. Nous avons, depuis peu, acquis les capacités de faire beaucoup de choses à cette échelle.
Le type -3 déplace le curseur encore plus loin dans l’échelle nanométrique avec la manipulation des molécules pour en créer de nouvelles, ce que nous pouvons déjà faire dans une certaine mesure grâce à l’ingénierie chimique qui permet la création de plastiques et de polymères synthétiques. Toutefois, nous sommes loin de maîtriser toutes les capacités qu’offre ce niveau technologique.
Pareil pour le type -4 où nous avons déjà fait des progrès, mais avec une très grande marge de progression. Une civilisation de type -4 a la pleine maîtrise de la nanotechnologie. Capable de manipuler les atomes individuellement dans des domaines scientifiques aussi divers que la science des matériaux, l’informatique, la chimie organique, la physique des semi-conducteurs, le stockage d’énergie et l’ingénierie moléculaire. Pour faire simple, n’importe quel objet peut être fabriqué à partir de ces molécules ou atomes. Ce qui ouvre la porte à une abondance difficile à imaginer aujourd’hui. Nous pourrions rendre tous les produits existants plus solides, plus rapides et moins susceptibles de se détériorer. La matière pourrait être programmée en ayant des objets qui changent de forme selon nos instructions. La nanotechnologie pourrait également nous donner un meilleur contrôle sur notre propre corps grâce à une médecine de précision prévenant, et réparant la moindre anomalie à l’aide de nanorobot.
Lorsqu’on spécule sur le futur de la nanotechnologie, on tombe souvent sur une machine appelée assembleur moléculaire. Elle permettrait en théorie de guider des réactions chimiques en positionnant des molécules réactives avec une précision atomique. Une sorte d’imprimante 3D qui, au lieu d’avoir du plastique comme ancre, utilise des molécules. Face à une telle machine, on est au bord de la magie puisqu’un objet pourrait se matérialiser sous nos yeux. Et rien qu’en ayant accès aux 4 atomes les plus abondants dans l’univers, Hydrogène, hélium, oxygène et carbone, vous pouvez fabriquer beaucoup de choses.
Ensuite, on a le type -5 qui envisage la manipulation des noyaux atomiques. On pourrait dire que c’est de l’ingénierie atomique et il est difficile de comprendre qu’elles seraient l’étendue des avantages d’une telle précision outre la possibilité de créer de nouveaux éléments qui n’existe pas dans la nature en manipulant neutrons, protons et électrons. Pour se donner une image, c’est là où je placerais un docteur Manhattan dans Watchmen par exemple. Ce qui pose la question de savoir si tous les individus d’une civilisation de type -5 pourront utiliser ces technologies. Ce qui pourrait créer un gros bordel si tout le monde transforme les atomes comme bon leur chante. Peut-être que pour des raisons de sécurité, les capacités d’ingénierie atomique sont placées sous un contrôle extrême. Une autre possibilité est que l’individualité soit très peu présente pour ce type de civilisation, ayant depuis longtemps fusionné dans une sorte de conscience collective. Ce qui est appelé Hive mind.
Le type -6 vous l’aurez compris, va encore plus loin dans l’infiniment petit avec une civilisation capable de manipuler les particules élémentaires de la matière comme les quarks et leptons. C’est de l’ingénierie quantique en quelque sorte et là, j’ai encore moins d’idées sur ce que ça pourrait permettre. Peut être en créant des micro-trous de vers et les élargir pour pouvoir les traverser. Ou transmuter n’importe quel objet en réarrangeant la structure subatomique de leurs atomes. Le type -6 aurait une parfaite maîtrise des 3 forces élémentaires: interaction nucléaire forte, faible, et l’électromagnétisme. Ainsi que de la gravité en ayant réconcilié la relativité générale et la physique quantique dans une théorie unifiée.
Finalement, la différence entre type -4 et type -6 est subtile pour nous, à notre échelle technologique. On se demande les bénéfices de contrôler l’échelle subatomique lorsqu’on maîtrise l’échelle moléculaire avec des machines capables de fabriquer n’importe quel objet, substance et matériaux. Mais c’est au bout du compte un échec de notre imagination. Il y a peut-être de très bonnes raisons de vouloir bidouiller les quarks. Qui sait ?
Et enfin, on arrive au bout de ce qui est concevable, car une fois passée l’échelle subatomique, il n’y a plus beaucoup d’options restantes. Une civilisation de type -7 ou Omega serait capable d’un contrôle parfait de la fabrique de l’espace-temps, autrement dit de la réalité. En manipulant le temps, la vitesse d’expansion de l’espace, les cordes cosmiques, ou la gravitation quantique à boucle ou quelque soit la théorie qui sous-tend l’univers. Bref, une civilisation de type Omega est virtuellement indiscernable du concept de Dieu. Ou bien si l’univers est une simulation, elle pourrait pirater le code source, voir même s’échapper pour découvrir le monde « réel ». À notre échelle, tout ce que ferait une civilisation Omega serait magique et on entre finalement dans le champ de la métaphysique.
Une nouvelle façon d’envisager la vie extraterrestre intelligente
Mais s’aventurer le long de cette échelle n’est pas sans risque. Il est admis que plus une espèce acquiert un pouvoir sur le monde par les technosciences, plus elle rencontre de nouveaux risques capables de lui causer du tort. Voir conduire à son extinction. Il suffit simplement de regarder notre histoire pour s’en rendre compte en passant du silex à la bombe thermonucléaire. Dès lors, en maîtrisant de plus en plus les échelles de l’infiniment petit, une civilisation avancée pourrait tomber sur des risques existentiels inconnus. On sait déjà que les nanotechnologies pourraient conduire à l’élaboration de nanomachines autoréplicantes. Ces dernières pourraient mal fonctionner et se répandre sans limites dans une frénésie incontrôlable, mettant en péril les organismes vivants. Quels dangers pourraient se manifester si l’on bidouille à l’échelle atomique, subatomique ou dans la structure même de la réalité ? Sans parler du type d’arme que de telles civilisations pourraient concevoir. Capable de transformer les atomes mêmes des adversaires et l’environnement. C’est littéralement le gant de l’infini de Thanos !
Qu’est-ce que cette classification nous dit sur notre univers? Étant donné que les lois de la physique ne changent pas toutes les cinq minutes et que les constantes sont stables depuis aussi loin qu’on puisse regarder, il ne semble pas exister des civilisations de type -5 ou omega dans l’univers observable. S’ il s’avère que les civilisations avancées préfèrent explorer l’infiniment petit plutôt que dépenser leurs ressources dans des projets d’expansion spatiale, cela explique l’apparente absence de technosignature. Par exemple, en ayant une maîtrise atomique ou subatomique, une civilisation de type -4 ou -5 pourrait optimiser la matière pour le traitement de l’information, créant ce qui s’appelle du computronium. N’importe quel bout de matière serait capable de calcul informatique, donnant d’immenses ressources de calcul. Pourquoi faire ? Et bien pour satisfaire les besoins d’entités post-biologiques pour qui la puissance de calcul informatique est la ressource la plus importante.
Mais le simple fait que ce genre de pouvoir sur le monde soit permis nous autorise à considérer l’intelligence comme une force non négligeable dans l’univers. Peut-être même une force plus puissante que les interactions nucléaires et la gravité. Aujourd’hui, nos modèles prédisent ce qu’il adviendra à la fin de l’univers, lors de sa mort thermique. Mais on ne peut pas simplement penser le futur de l’univers sans inclure le rôle de l’intelligence. En ayant une maîtrise suffisamment grande sur la réalité, qui peut exclure la possibilité que l’intelligence intervienne pour empêcher l’accélération de l’expansion de l’univers ou autre phénomène que l’on juge inaltérable ? Ainsi, l’univers ne prendra peut-être pas fin comme on le prédit si l’intelligence a son mot à dire.
Pour finir, la classification de Kardashev et de Barrow ne sont pas mutuellement exclusives. C’est certainement l’inverse puisqu’on peut raisonner qu’une civilisation de type -5 maitrisant l’ingénierie atomique aura les moyens énergétiques pour devenir au moins une civilisation stellaire de Type 2, en ayant les matériaux, ressources et propulsions adéquates pour se répandre dans l’espace.
Ce n’est pas parce que ce genre d’échelle est pensable et compatible avec les lois de la physique qu’il faut s’attendre à trouver des civilisations de ce type aux 4 coins de la galaxie. Mais ça indique où placer les contraintes sur ce qui est envisageable et pour ceux qui considèrent un très long futur pour l’humanité, cette échelle ainsi que celle de Kardashev, sert de feuille de route. Et nous avons déjà bien avancé en ayant un pied dans la nanotechnologie. Nous sommes en tous cas plus proches de devenir une civilisation de type -4 que de type 1 ou 2.
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