Que révèle la colonisation spatiale sur le paradoxe de Fermi ?
L’espace est VASTE. L’espace est immense. Vous n’allez pas croire à quel point il est vaste, énorme, époustouflant. Je veux dire, vous pouvez penser que le chemin qui mène à la pharmacie est long, mais ce n’est rien comparé à l’espace. Les distances sont tout simplement trop grandes pour être parcourues en une vie.
Voilà comment Douglas Adams, auteur du guide du voyageur galactique, décrit l’univers dans sa saga littéraire à succès (que je recommande chaudement).
Au sommaire
Deux chercheurs et leur questionnement sur la colonisation de l’univers
Stuart Armstrong et Anders Sandberg, deux chercheurs au futur of humanity institute à Oxford se sont quant à eux posé la question de savoir quelles sont les possibilités pour atteindre toutes les régions de l’univers. Si tenté que c’est possible et qu’une civilisation soit assez motivée pour se lancer dans un tel projet. Après quelques calculs, en faisant de l’ingénierie exploratoire et sûrement pas mal de café, ils sont arrivés à l’étonnante conclusion qu’il serait relativement “facile” pour une civilisation de se répandre dans tout l’univers atteignable. Je précise que -facile- est entre guillemets !
L’article académique en question s’intitule : L’éternité en 6 heures : Diffusion intergalactique de la vie intelligente et accentuation du paradoxe de Fermi. Je vous le mets dans la description pour les curieux, et également quelques conférences en anglais qui m’ont servi comme matière pour cette vidéo.
Au passage, j’ai eu la chance de recevoir Stuart Armstrong sur le podcast la prospective autour d’une conversation qui devrait vous intéresser, si vous aimez ce genre de sujet. Dispo sur YouTube et sur la plupart des applications de podcast.
Voyons donc comment peupler tout l’univers. Juste une précision: Il faut prendre ce qui suit comme une sorte d’expérience de pensée servant à affiner certaines hypothèses que l’on pourrait avoir sur l’univers, les voyages spatiaux, l’énergie, les civilisations extra-terrestres et surtout le paradoxe de Fermi.
Nature, automatisation et échelle
Quelques principes qui vont servir à guider la réflexion. Déjà, si la nature peut faire quelque chose, c’est une preuve de faisabilité, donc une civilisation technologique est également capable de faire cette même chose de façon similaire ou mieux. Par exemple, de ce que l’on sait, la nature a produit de l’intelligence au moins aussi développée que la nôtre, donc nous pouvons sûrement concevoir de l’intelligence artificielle de niveau au moins humain. Les cellules possèdent un mécanisme de réplication, nous pourrions concevoir des machines qui se répliquent sur des échelles nanométriques.
La deuxième heuristique c’est qu’on peut automatiser des processus. On est déjà assez compétent à cet exercice sur des chaînes d’assemblage par exemple, et on estime que d’autres processus complexes peuvent être automatisés. Comme construire des machines ou des usines entières. On pourrait même aller plus loin en postulant que toute tâche qui peut être effectuée, peut être automatisée.
Et enfin, l’échelle en soi n’est pas une barrière insurmontable. Ce n’est pas parce qu’un projet semble titanesque (comme se répandre dans tout l’univers), qu’il ne peut pas être morcelé en une série de petites taches. Si on met de côté les aspects économique et social, les seules contraintes physiques sont l’énergie, les ressources et le temps.
La sphère de Dyson et l’utilisation des ressources solaires
Pour l’énergie, la source la plus abondante se trouve juste au-dessus de notre tête : le soleil. Il existe plusieurs moyens de récupérer une portion de son énergie. Le plus efficace reste sans aucun doute la sphère de Dyson, ou plutôt l’essaim ou la bulle de Dyson. Je ne vais pas entrer trop en détail sur le fonctionnement et la faisabilité de cette mégastructure. Tout simplement, car nous avons une vidéo qui décortique les grands aspects et pour aller encore plus loin, je vous invite à écouter le podcast avec le physicien quantique Claude Semay sur le sujet.
Mais l’idée est d’utiliser environ 2% de la masse totale des astéroïdes ou les ressources de Mercure pour construire des orbiteurs ou des voiles solaires qui vont capter les rayons du soleil. Bon, démanteler Mercure va sûrement déplaire à certains cosmo-environnementaliste mais je laisse le débat éthique pour le moment.
Le processus est simple. On mine des matériaux, on les envoie en orbite près du soleil, des machines s’occupe de construire des collecteurs solaires, ces derniers capturent de l’énergie, qui sert à alimenter plus d’extraction minière, pour avoir plus de matériaux en orbite, faire plus de collecteurs solaires, et avoir plus d’énergie … bref, vous l’aurez compris, en commençant petit, on enclenche une boucle de rétroaction qui génère une croissance exponentielle. Peu importe si le premier cycle prend 10-20-50 ans, tant que la boucle de rétroaction est possible, une croissance exponentielle garantira généralement la construction de la sphère Dyson en un petit nombre d’itérations. Les auteurs de l’article partent du postulat que le premier cycle prendra 5 ans, et sur cette courbe logarithmique, on observe une croissance de l’énergie disponible au fur et à mesure du démantèlement de Mercure. En un peu plus de 30 ans, plus de planètes.
Si vous froncez les sourcils, incrédule face à ce projet d’astro-ingénierie, ne vous méprenez pas. Ce n’est pas une tentative de prédire ce que l’on va faire à la fin du siècle. C’est plutôt un modèle qui sert d’exemple pour illustrer qu’une civilisation avancée qui souhaite obtenir très rapidement une grande quantité d’énergie ne va pas rencontrer tellement de problème. Encore une fois, aussi surprenant que ça puisse paraître, c’est “facile” sur le papier et ça n’avait pas à l’être !
Le rendement énergétique n’étant pas de 100% en raison des lois de la thermodynamique, environ ⅓ des 3,8×10^26W d’énergie du soleil pourra servir pour la propulsion. Mais qu’est ce qu’on envoie exactement.
Les différents types de sondes et leur fonctionnement
Et bien une sonde de Von Neumann capable de se répliquer. Alors, un exemple de ce type de sonde prend cette forme : on prend un vaisseau spatial, on y met des couples, des systèmes de survie, de grandes bases de données et une usine embarquée. On envoie tout ça et vous avez une sonde de Von Neumann. Bon, elle demande beaucoup de ressources, voyage très lentement, la vitesse de réplication est équivalente à la maturation d’un humain bref j’en conviens, son efficacité laisse à désirer.
Plutôt que d’envoyer une grande flotte de vaisseau multigénérationnel, une idée beaucoup plus efficace est encore une fois, de copier mère Nature. Des bactéries comme E.Coli sont de robuste réplicateur. La plus petite graine pèse un millionième de gramme, mais peut assembler une structure macroscopique, en l’occurrence une plante. Les auteurs de l’article estiment qu’il est raisonnable d’envisager un réplicateur ayant une masse de 30 grammes, comprenant de l’IA de niveau humain ou supérieur et des membres pour manipuler l’environnement. Une sorte de petit insecte. Et en termes de mémoire, si vous pensez qu’on peut difficilement faire mieux que le dernier SSD disponible à la Fnac, détrompez-vous. La méthode la plus compacte de stockage de données raisonnablement imaginable serait un diamant constitué d’un mix carbone 12 et 13. Un gramme pourrait contenir à peu près toutes les données de la planète. On est loin d’être arrivé au bout de la loi de Kryder. (La loi de Moore pour le stockage de données). On a aussi la possibilité d’utiliser l’ADN qui peut stocker d’énormes quantités de données … comme un humain.
Les méthodes de propulsion et la colonisation galactique
Un réplicateur ne peut pas simplement foncer à travers la galaxie et s’écraser sur des étoiles. Il doit ralentir et finalement atterrir sur une planète ou un astéroïde pour obtenir la matière première et les ressources nécessaires afin de créer plus de sondes. La décélération est donc une étape cruciale et c’est finalement le plus gros problème dans tout ce projet. Il faut ajouter au réplicateur un moteur qui servira au ralentissement. Ce qui veut dire du poids pour le carburant. Ils ont fait les calculs pour 3 possibilités.
L’antimatière est le grand gagnant avec des sondes de masse totale au lancement de 5 kg lancées à 99% de la vitesse de la lumière. Mais c’est une option accessible seulement aux civilisations les plus avancées étant donné que l’antimatière, on n’en trouve pas au supermarché rayon bonbon, c’est le truc le plus rare dans l’univers. Avec un moteur à fusion nucléaire, les sondes auraient une masse de 15 t, lancées à 80% de la vitesse de la lumière. Déjà significativement plus lourd, mais plus crédible. Et enfin, des sondes à fission nucléaire de masse 35 t, lancées à 50% de la vitesse de la lumière. Aujourd’hui, les fusées comme Falcon 9 pèsent plus de 500 t donc ces sondes autoréplicatives sont vraiment plus légères.
Une autre considération est les potentielles collisions. À des vitesses proches de celle de la lumière, la moindre poussière cosmique causera une explosion bigbadaboum. Même si des solutions peuvent être envisagées pour créer des boucliers ionisant les particules à l’avant des sondes, les auteurs de l’article estiment que pour jouer la sécurité, il faudrait lancer 40 sondes pour chaque galaxie afin de garantir qu’une seule arrive.
On a donc une très grande quantité d’énergie et des sondes autoréplicatives. Reste à déterminer la destination. On pourrait opter pour le cas le plus souvent rencontré dans la littérature et l’imaginaire. Atteindre l’étoile la plus proche, les sondes collectent les ressources pour construire d’autres sondes, elles sont envoyées vers une autre étoile, jusqu’à ce que toutes les étoiles soient colonisées, ensuite on passe à la galaxie suivante, etc., etc. Autant dire tout de suite que ça va être long.
Mais voici une autre façon de faire. Lancer toutes les sondes, en même temps, dans toutes les galaxies de l’univers à notre portée. Pour ça, il nous faut un canon électromagnétique, ou alors des lasers qui serviront au lancement. L’énergie provient de la sphère de Dyson comme on l’a vu. Alors le nombre de sondes nécessaires dépend de la vélocité atteinte, car certaines galaxies s’éloignent en permanence. L’univers est en expansion et si on n’atteint pas certaines galaxies rapidement, elles seront à jamais hors de portée. Plus on va vite, plus on atteint de galaxies. Avec une vélocité de 50% de la vitesse de la lumière, il faudrait 100 millions de sondes pour atteindre 1 240 000 000 de galaxie. Et avec une vélocité de 99% de la vitesse de la lumière, 100 milliards de sondes seraient envoyées en direction de 4 130 000 000 de galaxie. C’est approximatif, mais l’ordre de grandeur est correct.
Une fois arrivées dans une galaxie, les sondes se répliquent, collectent des ressources, captent l’énergie d’une étoile et se répandent à l’intérieur de la galaxie. En quelques dizaines de milliards d’années maximum, la civilisation d’origine se sera répandue dans tout l’univers atteignable. Étant donné que l’univers a encore des trillions d’années devant lui, c’est une expansion qui se déroulerait en un clin d’œil.
Et pour ajouter du tabasco dans le couscous, ces calculs sont faits par des esprits humains du 21e siècle, certes peut être un peu plus aiguisé que la moyenne, mais homo sapiens quand même. Si nous sommes capables de concevoir théoriquement ce genre de chose, assurément, des civilisations des millions d’années plus avancées auront d’autres cordes à leurs arcs. C’est peut-être encore plus facile de s’étendre dans tout l’univers !
Le but principal de tous ces calculs est de montrer qu’il est possible d’ensemencer tout l’univers à des échelles de temps et d’énergie insignifiantes. Ce n’est pas un exercice servant à savoir ce qu’on pourra faire une fois qu’on aura Dysoner le soleil, mais de se demander si d’autres l’ont fait.
Ça rend le paradoxe de fermi encore plus vivide puisqu’on ne pose plus seulement la question où sont les extra-terrestres de notre galaxie ? Mais on ajoute toutes les autres galaxies. Je ne sais pas vous, mais je trouve ça vertigineux. Car on peut faire les mêmes calculs, mais en arrière. C’est-à-dire non pas en se demandant combien de galaxies on pourrait atteindre en combien de temps, mais combien de galaxies auraient pu nous atteindre si une ou des civilisations avaient décidé de lancer ce genre de méga projet colonisateur il y a des milliards d’années.
En effet, il a été estimé que parmi les étoiles dans la Voie lactée qui pourraient avoir des planètes avec une vie complexe, 75% d’entre elles sont plus âgées que notre soleil. Donc la vie aurait pu se développer ailleurs, dans d’autres systèmes stellaires ou galaxies, des milliards d’années avant la Terre.
La fenêtre de temps entre « civilisation technologique » et « expansion de masse » est incroyablement courte. Même à la moitié de la vitesse de la lumière, et en remontant à deux milliards d’années, une civilisation capable de ce type d’expansion aurait pu atteindre plus de deux millions et demi de galaxies, dont la nôtre. Aux vitesses les plus rapides, et en remontant plus loin, beaucoup plus de galaxies doivent être ajoutées au paradoxe de Fermi, jusqu’à 388 millions.
Cela représente des centaines de millions de trillions d’étoiles et un nombre de planètes encore plus large. C’est une chose de dire qu’on est l’espèce technologique la plus avancée de la galaxie, mais dire qu’on est la plus avancée parmi 388 millions de galaxies, ce n’est pas la même solitude là !
Alors vous pourriez contre argumenter que c’est peut-être possible et même extrêmement facile de lancer un projet de mégaexpansion, mais pour diverses raisons plus ou moins plausibles, les civilisations extra-terrestres ne veulent pas le faire. Le problème avec cet argument est qu’il suppose une uniformité de motif : que tous les extraterrestres partagent les mêmes désirs d’éviter l’expansion (ou du moins que tous ceux qui sont capables de s’étendre, et capables d’empêcher les autres de s’étendre, partagent les mêmes motivations). Ce n’est certainement pas un trait que l’évolution aurait choisi, et en regardant la variété de la population humaine, on voit déjà plusieurs groupes qui seraient enclins à se lancer seuls dans l’exploration, s’ils le pouvaient.
D’autant plus qu’il existe une dynamique similaire au dilemme du prisonnier. Le raisonnement appelé théorie des jeux envisage que chaque civilisation extraterrestre pourrait être parfaitement disposée à ne pas coloniser l’univers, mais peu disposée à courir le risque que d’autres civilisations s’emparent des ressources et galaxies qui pourraient être utilisées contre elles à des fins indésirables. Puisqu’elles s’attendent à ce que d’autres civilisations suivent le même raisonnement, elles sont conscientes de l’opportunité d’être les premières. Un type de course à l’armement.
Alors certains émettent l’hypothèse que la vie sur Terre est le résultat d’un tel projet d’expansion de masse, voire même la vie intelligente, ou nous homo sapiens si vous poussez le curseur de l’arrogance au maximum. Une forme de panspermie pourrait effectivement avoir pour origine une civilisation extra-terrestre. Mais l’idée d’envoyer des sondes avec de l’IA et les données d’une civilisation entière sert justement à construire une réplique ou une extension de la civilisation d’origine, pas de rebooter le processus de l’évolution. Ce serait un peu comme si les Espagnols avaient envoyé une expédition dans les Andes et au moment d’arriver, les colons se transforment en chasseurs-cueilleurs, sans aucun souvenir de la civilisation espagnole. Pas très efficace.
Le fait que nous n’ayons aucun souvenir d’appartenir à une civilisation extra-terrestre indique que soit quelque chose a mal tourné, soit que notre origine est naturelle et donc je ne donnerai pas une très grande probabilité à cette hypothèse.
Pour conclure, les auteurs proposent quelques solutions:
Peut être qu’on va se rendre compte que l’intelligence artificielle de niveau humain, ou que les sondes de von Neumann sont impossibles, pour toutes les civilisations, dans tout l’univers. Auquel cas, se répandre dans l’univers est bien plus difficile.
Les sondes sont déjà arrivées dans notre galaxie, mais on ne les détecte pas. En effet, si les civilisations extraterrestres souhaitaient rester indétectables pendant la phase d’expansion, ce serait relativement facile puisque les sondes sont petites et légères. Mais on pourrait quand même s’attendre à constater certains phénomènes artificiels dans les galaxies voisines, surtout si les sondes sont arrivées il y a des centaines de millions d’années.
Les calculs sont peut-être faux.
Et enfin, le développement de la vie technologique est bien plus rare qu’on ne le pensait avant ces calculs.
Il y a évidemment beaucoup de spéculation. Comment pourrions-nous faire autrement ? Mais je trouve que c’est mieux d’avoir une idée un tout petit peu plus précise sur ce qui est requis pour s’étendre dans tout l’univers plutôt que de n’en avoir aucune idée ou pire, considérer d’emblé que c’est impossible. C’est le genre de truc qui me fait changer mes priors sur notre rareté dans l’univers pour utiliser un jargon bayésien. Plus ça va, moins j’ai l’impression que nous sommes dans une galaxie à la Star Wars. Ce qui détruit mes rêves d’enfants, certes, mais bon, l’univers n’a pas à se conformer à mes désirs !
Est-ce que vous partagez mon avis que ce genre de calcul renforce le problème de Fermi, ou alors vous pensez que c’est de l’auto satisfaction intellectuelle à caractère plaisant ?
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