L’hiver nucléaire : Les conséquences inévitables d’une guerre nucléaire ?
Imaginez un monde plongé dans l’obscurité, frappé par un froid glacial, au bord de l’extinction. Ce n’est pas une scène tirée d’un film hollywoodien, mais une réalité troublante dont les scientifiques nous avertissent depuis des décennies. Il s’agit du phénomène dévastateur connu sous le nom d’hiver nucléaire. De quoi avoir froid dans le dos !
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Les causes d’un hiver nucléaire
À l’heure où les tensions internationales ont atteint des sommets, où certains leaders politiques s’approprient le vocabulaire nucléaire et où les gros titres font de nouveau allusion à une troisième guerre mondiale et à une escalade nucléaire imminente, il est difficile de ne pas resserrer les fesses.
Nous avons tous visionné ces vidéos d’un champignon nucléaire s’élevant dans le ciel, les images de Nagasaki et d’Hiroshima, les visages brûlés et les effets dévastateurs des radiations. En somme, un long discours n’est pas nécessaire pour comprendre que l’horreur d’une guerre nucléaire serait indescriptible, surtout compte tenu de l’arsenal actuel. On a d’ailleurs vu dans ce contenu premium, qu’elle pourrait être le nombre de victimes après la détonation des bombes basé sur une simulation.
Cependant, le pire lors d’une guerre nucléaire, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne réside pas tant dans les explosions ou les nuages radioactifs. C’est ce qui survient après.
Je vous donne un indice. Qu’est-ce qui résulte de centaines de métropoles en flammes ?
Depuis plus de 40 ans, un groupe restreint de scientifiques se penche sur les modèles climatiques liés aux conséquences d’une guerre nucléaire. Et c’est justement l’un de ces pionniers qui a généreusement accepté de répondre à mes questions. Considéré comme l’un des plus éminents experts mondiaux dans ce domaine, il a joué un rôle fondateur aux côtés de Carl Sagan au début des années 80. Je vous présente Owen Brian Toon, professeur des sciences atmosphériques et océaniques à l’université du Colorado.
Owen Brian Toon : Les ogives explosent et ça déclenche des incendies et nous en savons beaucoup sur le sujet puisque Hiroshima a eu un incendie. Nous savons donc où un incendie pourrait démarrer. Les incendies se propagent et brûlent le carburant qui se trouve dans les villes, cela provoquerait un mouvement ascendant et la formation d’un énorme nuage jusqu’à la haute atmosphère. La fumée réduirait la lumière du soleil d’environ 20% des niveaux normaux pendant environ 2 ans. Ce serait suffisant pour que les températures aux latitudes moyennes soient inférieures à zéro, pendant assez longtemps.
Les conséquences d’une guerre nucléaire vont bien au-delà du rayon d’explosion immédiate ou des radiations. On parle d’un impact qui se fera sentir sur des continents entiers. Les récoltes vont geler et mourir, ce qui entraînera une famine généralisée et un effondrement de la production alimentaire. Les écosystèmes seront chamboulés, mettant en péril d’innombrables espèces. Bref, ça ne sera pas une partie de plaisir.
Maintenant, pourquoi une ville brûlerait-elle autant ? Eh bien, imaginez tous ces immeubles remplis de fournitures en bois, les pneus, l’essence des voitures et des stations-service, sans oublier tout le plastique dans les magasins. Il y a tellement de choses qui feraient un excellent combustible pour un incendie de grande envergure.
On peut également prendre exemple sur les tempêtes de feu provoquées par certains bombardements lors de la Seconde Guerre mondiale. Hambourg, Dresde, Tokyo… ces villes ont connu l’enfer. Même Hiroshima a brûlé sur une superficie d’environ 13 kilomètres carrés après la bombe atomique. Imaginez maintenant cela multiplié par des dizaines, voire des centaines de villes en fonction de l’ampleur du conflit. Vous vous retrouvez avec une quantité phénoménale de fumée dans l’atmosphère.
Normalement, lorsqu’un incendie se propage dans une ville, les pompiers interviennent rapidement. Mais après l’explosion d’une bombe atomique, le nombre d’incendies sera tout bonnement insurmontable. Et soyons honnêtes, les services de pompiers ne seront probablement pas dans leur meilleure forme, s’ils sont encore opérationnels.
Ce nuage de fumée contient des particules aérosols qui sont chauffées par le rayonnement solaire, ce qui crée des mouvements verticaux et propulse les aérosols dans la stratosphère. Normalement, la fumée est nettoyée par les vents et les précipitations, mais la stratosphère se trouve au-dessus de la couche où se forment les nuages. Résultat : les aérosols ne se dissipent pas et continuent d’affecter le climat à la surface. En plus, la stratosphère se réchauffe à cause de toute cette lumière absorbée, ce qui détruirait en partie ou totalement la couche d’ozone.
Certains sceptiques pourraient dire que tout ça, ce n’est que de la spéculation basée sur des modèles informatiques. Mais, des événements historiques permettent de tirer des leçons sur ce qu’il se passe lorsque des tonnes de fumée se propagent dans la haute atmosphère. En 2020, d’immenses incendies ont ravagé les forêts en Australie et au Canada, ce qui a eu un impact sur le climat mondial. Et puis, on sait tous que l’extinction massive des dinosaures il y a 65 millions d’années a été causée par un astéroïde d’environ 10 kilomètres de diamètre qui a plongé la planète dans l’obscurité et fait chuter les températures. En d’autres termes, un hiver nucléaire. Les éruptions volcaniques nous fournissent également des exemples bien concrets pour renforcer nos modèles prédictifs.
Owen Brian Toon : Il y a eu de grandes éruptions volcaniques comme en 1815, le mont Tambora en Indonésie est entré en éruption et cela a causé ce qu’on appelait “l’année sans été” principalement dans l’hémisphère nord. Il y a donc eu une tempête de neige tardive en juin qui a tué les cultures et les gens ont replanté, mais il y a eu des gelées en juillet et août puis un automne précoce, ce qui a détruit l’agriculture en Nouvelle-Angleterre. Il y a eu une famine de pommes de terre en Irlande et il faisait mauvais temps en Allemagne, donc il y a eu beaucoup de problèmes alimentaires là-bas aussi. Donc nous avons des connaissances sur ce sujet à partir des volcans que nous pouvons utiliser dans nos modèles climatiques.
La perte de l’agriculture
Il est vrai que de nombreuses incertitudes subsistent dans les prédictions. Cependant, ne balayons pas l’hiver nucléaire d’un revers de la main comme un simple scénario apocalyptique parmi tant d’autres. La probabilité qu’une guerre nucléaire vous coûte la vie et celle de vos proches est très élevée, et pas nécessairement lors de l’impact des bombes. Statistiquement parlant, il est plus probable que vous mouriez de faim quelques semaines après l’échange nucléaire. Après une guerre nucléaire, les chanceux seront en réalité les victimes des bombes, et non les survivants.
Owen Brian Toon : Nous avons examiné des endroits comme l’Ukraine et l’Iowa qui sont des réserves alimentaires pour les régions environnantes dans un conflit nucléaire entre les États-Unis/OTAN contre la Russie et ses alliés. En Ukraine et en Iowa, les températures tombent en dessous de 0 très rapidement et elles restent glaciales pendant plusieurs années. Autrement dit, il n’y a pas un seul jour où la température ne descend pas en dessous de 0.
Mais ça ne s’arrête pas là. La santé humaine serait gravement compromise dans ce nouvel environnement post-apocalyptique. Le manque de ressources et d’infrastructures rendrait les soins médicaux un défi colossal. La propagation des maladies deviendrait une menace constante pour la suivie et la perte probable d’une partie ou de la totalité de la couche d’ozone rendrait toute exposition prolongée à l’extérieur susceptible de provoquer brulure et cancer de la peau par les rayons ultraviolets à des quantités anormalement élevées.
Owen Brian Toon : Nous avons analysé pour chaque pays, combien de personnes survivraient après la deuxième année. Les températures n’ont même pas atteint le plus froid pendant la deuxième année, les températures continuent de baisser durant la deuxième année. Il faut environ une décennie pour que les choses se rétablissent si nous supposons qu’il n’y a pas de commerce, les gens arrêtent les échanges parce qu’ils ne peuvent pas cultiver assez pour nourrir leur population. Nous estimons qu’en Russie, environ 2% de la population serait encore en vie à la fin de la deuxième année, aux États-Unis, il resterait environ 3%, au Canada pour être 2%. La Chine serait environ à 3%, l’Europe du Nord serait aussi à quelques pour cent. La plupart de l’hémisphère nord a une grave perte de population juste à cause de la famine. Il y a quelques endroits qui s’en sortent comme l’hémisphère Sud avec l’Argentine, la Nouvelle-Zélande et l’Australie qui maintiennent une bonne partie de leur population. Des parties de l’Afrique australe ont quelques dizaines de pour cent de leur population qui survit. La population actuelle est d’environ 8 milliards de personnes et nous pensons qu’environ 6 milliards de personnes seraient mortes et qu’il resterait quelques milliards de personnes, principalement dans l’hémisphère sud.
Six milliards de pertes humaines sur une période de quelques années, voilà les conséquences probables d’un conflit nucléaire entre l’OTAN et la Russie. Sans parler de l’impact sur la faune et la flore pour lequel nous avons beaucoup mois de modèle, mais il y a des chances pour que de nombreuses espèces soient réduites à l’extinction soit par la famine, soit par la perte de la couche d’ozone.
Guerre mondiale ou conflit local ?
La question qui se pose est la suivante : combien d’explosions nucléaires seraient nécessaires pour déclencher un hiver nucléaire ? Doit-on vraiment envisager une guerre mondiale et faire exploser les 10 000 ogives actuellement actives ? Est-ce qu’un conflit local ou à petite échelle serait suffisant ? La réponse précise à cette question reste inconnue. Cependant, le professeur Owen Brian Toon a mené des recherches visant à estimer les conséquences d’un conflit entre l’Inde et le Pakistan, et les résultats sont pour le moins surprenants.
Imaginez ça un instant. Deux pays qui se chamaillent, peut-être à propos de qui a le meilleur curry ou est le meilleur au cricket, finissent par se lancer des bombes nucléaires. Et là, BAM !
Owen Brian Toon : Nous avons étudié une guerre nucléaire entre l’Inde et le Pakistan dans laquelle ils utilisent au total environ 250 armes dans le conflit. Les armes elles-mêmes pourraient tuer 50 à 125 millions de personnes, mais la quantité de fumée dans ces villes en feu car il y a tellement de choses dans ces villes en Inde et au Pakistan parce qu’elles sont densément peuplées, cela ne créerait pas des conditions de type période glaciaire, mais cela refroidirait la planète de plusieurs degrés. Nous anticipons qu’une guerre entre l’Inde et le Pakistan finirait par tuer un à trois milliards de personnes dans le monde à cause de la fumée qui endommagerait l’agriculture dans le monde entier.
Il y a des divergences d’opinions concernant les modèles d’hiver nucléaire qui résulteraient d’un conflit nucléaire. Luisa Rodriguez, analyste au sein de l’organisation 80 000 hours, a travaillé sur un rapport montrant que les conséquences climatiques d’un conflit entre les États-Unis et la Russie ne seraient pas automatiquement aussi dramatiques que le modèle d’Owen Brian Toon. La principale raison en est la cible des missiles.
Il est tout à fait possible que les États-Unis et la Russie opteraient davantage pour une stratégie “contre-force”, en ciblant les forces nucléaires de l’adversaire plutôt que les villes. Ces installations militaires, telles que les sites de silos nucléaires et les bases aériennes, sont souvent situées dans des zones peu peuplées. Bien sûr, il y aurait une exception si les États-Unis ou la Russie choisissaient des cibles dans le but de causer un effondrement économique et une décapitation gouvernementale. Dans ce cas, les capitales politiques et économiques ainsi que les plus grandes villes seraient probablement détruites, soit entre 5 et 10 villes par pays. Selon Luisa Rodriguez, il est plausible que près de 2 milliards de personnes déjà vulnérables à l’insécurité alimentaire meurent de faim à la suite d’un conflit nucléaire russo-américain, mais la relation entre la quantité de fumée dans la stratosphère et la famine est trop complexe pour être connue avec certitude. De plus, il existe de nombreuses mesures d’adaptation que nous pourrions prendre, comme passer à des régimes à base de plantes et cultiver des cultures plus résilientes aux variations climatiques. L’organisation ALLFED a précisément pour mission de trouver des solutions alimentaires en cas de catastrophe mondiale affectant l’agriculture.
Ce qui semble assez clair, c’est qu’un conflit nucléaire, même en utilisant toutes les ogives existantes aujourd’hui, ne conduirait pas à l’extinction de l’humanité. L’hémisphère sud maintiendrait un niveau de population suffisamment élevé.
Certaines études sont limitées, et d’autres reposent sur des variables telles que le nombre de villes ciblées, le nombre de belligérants et des décisions militaires imprévisibles. Tout cela rend extrêmement difficile la prévision de l’impact climatique et agricole d’un conflit nucléaire. Les marges d’erreur demeurent élevées, mais même s’il s’avère que la catastrophe ne provoquerait pas le décès de près de 75% de la population mondiale en quelques années, il vaut mieux ne pas expérimenter pour vérifier si ces modèles sont exacts. Et franchement, on n’a pas besoin d’être un génie pour comprendre qu’une guerre nucléaire ne sera pas une partie de plaisir. Il me semble important de faire connaitre l’hiver nucléaire autour de soi, ça renforce la pression de l’opinion publique autours du tabou de l’arme nucléaire. Si vous êtes étudiant ou en début de carrière, en fonction de votre discipline, vous pouvez aider à améliorer les modèles climatiques. Il reste plein de chose à faire.
Pour en savoir plus, vous pouvez retrouver ma conversation complète avec Owen Brian Toon. Il s’agit de l’épisode 47 du podcast La Prospective, qui est déjà disponible ou le sera bientôt.
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