L’avenir des avancées technologiques : un monde sans limites ?
Une partie de cet épisode provient du documentaire “ Les quatres futurs possibles pour l’humanité” disponible exclusivement sur notre site en accès premium. Il y a un concept intéressant mentionné dans ce documentaire que je tenais à partager dans cet article. Il s’agit de la conjecture d’achèvement technologique proposée par le philosophe Suédois Nick Bostrom.
Au sommaire
Le rôle de la technologie dans l’histoire
Le changement technologique est en grande partie responsable de nombreuses tendances de la condition humaine telles que la taille de la population mondiale, l’espérance de vie, le niveau d’éducation, le niveau de vie matériel, la nature du travail, de la communication, des soins de santé, la guerre et les effets des activités humaines sur l’environnement. Il n’est pas nécessaire d’adopter une forme de technophilie exacerbée pour reconnaître que la technologie, à travers ses interactions complexes, est un déterminant majeur qui façonne la civilisation humaine. La question de savoir quel sera son futur est donc cruciale pour ceux qui souhaitent contempler ce qu’il pourrait advenir de la condition humaine.
Mais avant d’envisager ce que le futur du développement technologique nous réserve, voyons un peu son histoire.
La plupart des différences entre nos vies et la vie de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs sont finalement liées à la technologie, surtout si nous utilisons le terme technologie dans son sens le plus large, pour inclure non seulement les gadgets et les machines, mais aussi les techniques, les processus et les institutions. Nous pourrions dire que la technologie est la somme totale des informations culturellement transmissibles, utiles pour accomplir des tâches. Le langage est une technologie dans ce sens, tout comme des tracteurs, des mitrailleuses, des algorithmes, l’école pour tous et la ligne d’assemblage.
Il est frappant de constater que ce que nous considérons comme la condition humaine moderne se définit par des événements qui ont lieu il n’y a qu’un clin d’oeil. Si on compresse l’échelle de temps telle que la Terre s’est formée il y a un an, alors Homo sapiens a évolué il y a moins de 12 minutes, l’agriculture a commencé il y a un peu plus d’une minute, la révolution industrielle a eu lieu il y a moins de 2 secondes, l’ordinateur a été inventé il y a 0.4s et Internet il y a moins de 0,1 seconde.
Pendant plus de 150 000 ans, ce qui est la majeure partie de l’histoire d’homo sapiens, le développement de nouvelles connaissances s’est fait à un rythme si lent qu’il était presque imperceptible. Des milliers de générations ont regardé le ciel nocturne en se demandant ce que sont les étoiles, les éclairs, de quoi sont fait les nuages ou pourquoi on tombe malade. Poser ces questions était exactement la bonne chose à faire. Et nos ancêtres utilisaient un cerveau anatomiquement indiscernable de ceux des scientifiques modernes. Pourtant, la révolution agricole ne s’est pas produite il y a 150 000, mais il y a 12 000. Et la révolution scientifique ne s’est pas produite il y a 5000 ans, mais il y a 500 ans. Pourquoi ?
Ce n’était pas faute d’essayer ni par manque de réflexion. Nos ancêtres ont observé le monde. Ils ont essayé de le comprendre – mais sont presque toujours arrivées à des systèmes d’explications produisant des conclusions entièrement fausses. Car il reposait essentiellement sur des anciennes traditions qui faisaient autorité. Telle était la situation de notre espèce depuis l’aube de la civilisation jusqu’à il y a quelques siècles. Puis un nouveau système de création de connaissance est apparu, qui a pris plus tard le nom de science. Son émergence est connue sous le nom de révolution scientifique, car il réussit presque immédiatement à créer des explications sur le réel à un rythme notable, qui n’a cessé d’augmenter depuis.
Les anciennes traditions manquaient trois critères qui déterminent la science moderne.
- La place de l’ignorance est cruciale. Nous ne savons pas tout et ce que nous croyons pourrait être faux. Il n’y a rien qu’on ne puisse remettre en question.
- Une théorie repose sur l’observation, les prédictions et la logique.
- Les théories permettent de nouvelles technologies et capacités.
Pourquoi la révolution scientifique est apparue au 16e siècle, et pourquoi en Europe ? En réalité, la mèche de la révolution scientifique a failli prendre à plusieurs reprises. Sur les îles Grecque en – 500, dans le monde arable en le 8e et 13e siècle ou même en Chine au 15e siècle. Selon l’historien Yuval Noah Harari, l’Europe occidentale avait un lien fort entre pensées scientifiques et les idéologies impérialiste et capitaliste qui ont exercé les forces nécessaires pour faire germer la révolution scientifique.
La conjecture d’achèvement technologique
Quoi qu’il en soit, l’histoire d’Homo Sapiens aurait pu être très différente. On pourrait soutenir, par exemple, que si on reboot l’histoire de notre espèce, le moment et le lieu de la révolution industrielle auraient pu être très différents, ou qu’il n’y aurait peut-être pas de révolution, mais plutôt un flot d’invention lent et régulier. On pourrait même soutenir qu’il existe des points de bifurcation importants dans le développement technologique où l’histoire pourrait emprunter d’autres voies avec des résultats très différents. Néanmoins, dans l’hypothèse où le développement technologique se poursuit à travers la planète, on peut s’attendre à ce que sur le long terme, la plupart des capacités qui pourraient être obtenues grâce à une technologie finiront par être obtenues. Par exemple, à partir du moment où la machine à vapeur fut inventée, le train à vapeur était inévitable. Peu importe s’il arrive 10 ans après ou 1000 ans après.
Une version plus audacieuse de cette idée est formulée sous le nom de conjecture d’achèvement technologique :
“Si les efforts dans le développement scientifique et technologique ne s’arrêtent pas, toutes les capacités qui pourraient être obtenues grâce à une possible technologie seront obtenues.”
La conjecture n’est pas tautologique. Elle serait fausse s’il existe une capacité technologique qui, bien que possible selon les lois physiques et les contraintes matérielles, est si difficile à développer qu’elle resterait hors d’atteinte même après une durée indéfinie. Par exemple, voyager plus vite que la lumière en utilisant des trous de vers est une capacité qui ne semble pas violer les lois de la physique, et on pourrait y arriver sur des échelles minuscules. Mais envoyer un vaisseau dans un trou de ver nécessiterait peut-être des ressources énergétiques si grandes, et exotiques qu’on ne sera jamais capable d’acquérir cette capacité technologique. Même si on y travaille pendant des millions d’années. Ce qui invaliderait la conjecture de Nick Bostrom.
La conjecture exprime l’idée que les capacités qui seront finalement atteintes grâce à une technologie ne dépendent pas des voies empruntées par la recherche scientifique et technologique à court terme. Nous pourrions atteindre certaines capacités plus tôt si, par exemple, nous orientons le financement de la recherche d’une façon plutôt qu’une autre, mais il soutient que, à condition que notre quête technoscientifique se poursuive, même les capacités non prioritaires seront éventuellement obtenues. Autrement dit, si on regarde l’Histoire des technologies, on comprend que disons, l’ordinateur était destiné à être découvert, car nos descendants ont continuellement poursuivi le développement technoscientifique. Il aurait pu arriver un siècle plus tard, ou un siècle plus tôt, mais il était forcé d’arriver. C’est finalement une forme de déterminisme technologique.
C’est une conjecture qui rappelle les écrits du physicien David Deutsch dans son livre “The beginning of infinity” :
“Toute transformation d’un système physique qui n’est pas interdit par les lois de l’univers est réalisable sous condition d’avoir les connaissances requises. Si quelque chose est autorisé par les lois de la physique, alors la seule chose qui peut l’empêcher d’être technologiquement possible c’est de ne pas savoir comment.”
La conjecture d’achèvement technologique me rappelle également les arbres technologiques dans de nombreux jeux vidéo, souvent de stratégie. Par exemple dans la saga “Age of Empire” ou “Civilization”. Le joueur commence la partie lors d’un âge éloigné comme l’âge de pierre et à la possibilité de débloquer des développements technologiques au cours de la partie. Métallurgie, la roue, la poulie, etc. Certaines technologies sont verrouillées tant qu’une précédente n’a pas été débloquée. Il y a donc une logique dans la progression sur l’arbre technologique. Difficile de débloquer la case “Canon laser” avant la case “Physique quantique”. On peut donc dire qu’un arbre technologique représente l’ensemble des technologies que l’humanité peut atteindre, et la conjecture d’achèvement technologique de Nick Bostrom affirme que temps que l’humanité reste dans le jeu, elle finira par arriver au plus haut de l’arbre. Même si cela prend des millions d’années.
Pour une autre analogie visuelle, imaginez une boîte volumineuse, représentant l’espace des capacités qui pourraient être obtenues grâce à des technologies possibles. Sur le couvercle se trouvent des trous représentant les différentes branches de l’arbre technologique. Biotechnologie, intelligence artificielle, neuroimagerie, ingénierie aérospatiale, vous pouvez compléter la liste. Maintenant, imaginez du sable versé dans ces trous, représentant un effort de recherche dans une discipline. La façon dont vous versez le sable déterminera les endroits et la vitesse à laquelle les piles de sable s’accumulent dans la boîte. Pourtant si vous continuez à verser, finalement tout l’espace se remplit et la boite sera pleine, car les capacités technologiques et découvertes scientifiques tendent à être transdisciplinaires.
Cette conjecture peut être réfutée avec des contre-arguments, comme de nombreuses propositions philosophiques. Mais si on l’accepte, on arrive à la conclusion que même si nous ne pouvons pas prévoir toutes les technologies possibles selon les lois de la physique, nous pouvons quand même en prévoir certaine, même si elles sont actuellement irréalisables. Et nous pouvons montrer que ces technologies possibles fourniraient un large éventail de nouvelles capacités à l’humanité.
La science appliquée théorique
Une façon de prévoir les technologies futures possibles consiste à utiliser ce que l’ingénieur américain Eric Drexler a appelé la “science appliquée théorique”. La science appliquée théorique étudie les propriétés des systèmes physiques possibles, y compris ceux qui ne peuvent encore pas être construits, en utilisant des méthodes telles que la simulation informatique et la dérivation des lois physiques. La science appliquée théorique n’est pas infaillible, mais c’est sans doute le meilleur outil méthodologique que nous ayons pour penser l’avenir de la technologie et, a fortiori, un déterminant clé de l’avenir de l’humanité.
L’Univers peut être perçu comme chaotique, n’ayant aucune force directrice. Pourtant, ce n’est pas le cas. L’histoire de l’univers a sa propre orientation: une augmentation inéluctable de l’entropie. On peut regarder l’histoire humaine de façon similaire, comme étant désordonné et aléatoire. Pourtant, le développement technologique donne à l’histoire humaine une sorte d’orientation. Les informations utiles pour accomplir des tâches ont eu tendance à s’accumuler de génération en génération, de sorte que chaque nouvelle génération est partie d’un point de départ technologiquement plus avancé que son prédécesseur. On peut soulever des exceptions à cette tendance, des régions qui ont stagné ou même régressé pendant de longues périodes. Pourtant, en regardant l’histoire humaine avec un point de vue contemporain et macroscopique, cette orientation est évidente.
Compte tenu de la perspective technocentrique adoptée par Nick Bostrom, et à la lumière de notre connaissance incomplète, mais substantielle de l’histoire humaine et de sa place dans l’univers, comment pouvons-nous structurer ce qui constituera l’avenir de l’humanité ? C’est en tentant de répondre à cette question que Nick Bostrom proposa quatre familles de scénario dans un article académique en 2007. Et c’est justement le sujet du documentaire premium disponible sur notre site en suivant ce lien : Les quatre futurs possibles pour l’humanité.
[contenus_similaires]- Realisation
- Commentaire voix off
- Montage image
- Sources images et videos
- Sources audio