La sphère de Dyson : une mégastructure spatiale réalisable ?

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La sphère de Dyson : une mégastructure spatiale réalisable ?
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Le principe de poursuite énergétique civilisationnelle

Si l’histoire humaine nous apprend quelque chose, c’est qu’à mesure qu’une espèce technologique augmente l’étendue de ses capacités, plus elle rencontre des limites énergétiques qu’elle tente de surpasser en se tournant vers d’autres sources d’énergie. En retour, ces nouvelles méthodes permettent plus de capacité à agir sur le monde. Ce qui permet d’obtenir plus d’énergie de manière efficace et ainsi de suite. Je ne pense pas qu’il existe un terme pour cette idée donc appelons ça le principe de poursuite énergétique civilisationnelle.

Est-ce qu’une espèce technologique issue d’une branche évolutive extra-terrestre va suivre ce principe ? Nous ne le savons pas. Il est toujours difficile de raisonner à partir d’un seul exemple, le nôtre en l’occurrence. Mais ce qu’on peut raisonnablement accepter comme proposition universelle, c’est qu’une civilisation a besoin d’énergie. L’énergie est la capacité à faire des transformations. Donc plus une civilisation souhaite faire des choses, plus elle aura besoin d’énergie, ce qui l’amènera à trouver des sources plus efficaces au fil des millénaires.

Les différents modèles de sphères de Dyson

À partir de ce possible constat, on peut se pencher sur les différentes options qui s’offrent à une espèce intelligente et technologique, que ce soit des extra-terrestres ou celle de nos descendants.

Et c’est justement en se prêtant à cette expérience de pensée que l’astrophysicien Freeman Dyson proposa sans doute l’un des concepts d’astro-ingénierie les plus connus: la sphère de Dyson. Dans son article académique en 1960, Freeman Dyson estime que si la civilisation humaine continue sa demande croissante d’énergie pendant suffisamment longtemps, il viendrait un moment où elle exigera le rendement énergétique du Soleil. Inspiré par le roman “Star Maker” d’Olaf Stapledon, il suggère qu’une structure englobant notre étoile serait le plus efficace à cet effet. Et par extension, une solution pour des civilisations avancé extra-terrestre.

C’est bien évidemment un projet qui dépasse nos capacités actuelles par plusieurs ordres de grandeur, mais en faisant de l’ingénierie exploratoire basée sur les lois de la physique, on peut dresser une sorte de cahier des charges et surtout, se demander si c’est crédible et faisable. Pour répondre aux questions les plus techniques, j’ai contacté Claude Semay, physicien nucléaire spécialisé en mécanique quantique et enseignant à la faculté des sciences de l’université de Mons, en Belgique. Il s’est penché sur la physique des sphères de Dyson lors d’un séminaire et nous avons discuté plus longuement dans cet épisode de notre podcast “la prospective”, bientôt ou déjà publié.

Avant d’entrer en détail sur comment construire une sphère de Dyson, nous allons établir une prémisse pour éviter de partir dans tous les sens. On envisage seulement des technologies que l’on peut concevoir physiquement ou théoriquement dès aujourd’hui. Certes, les civilisations extra-terrestres ou nos descendants auront surement des technologies qui nous sont complètement inconnues, mais nous essayons de rester plus proches de la physique que de la science-fiction. Sinon on finit vite par dire n’importe quoi.

Commençons par établir la taille de cette mégastructure. Étant donné que le but est d’englober le soleil, le diamètre doit être bien plus grand que 1.392 million de km. Mais on ne peut évidemment pas placer la structure trop près du soleil en raison des chaleurs et de la gravité extrêmes. Il est souvent proposé que la sphère de Dyson soit placée plus loin que l’orbite de Vénus et Mercure, voire englobe celle de la Terre. Mais plusieurs modèles ont été proposés comme la coquille de Dyson qui n’est pas realiste en raison de résistance matériel. Cette coquille de Dyson devrait être mise en rotation pour assurer une stabilité. Mais la moindre déviation la ferait s’écraser sur le soleil. Ce n’est donc pas le modèle le plus crédible.

L’autre modèle suggère d’utiliser des millions d’orbiteurs appelé un nuage ou essaim de Dyson.

La taille de ces orbiteurs peut varier, mais il existe des limites. Sur Terre, le poids d’une structure détermine sa taille maximale. Une structure trop haute risque de s’effondrer sous son propre poids. Il se trouve que rien de plus haut que 10km ne peut tenir debout sur Terre, ce qui explique pourquoi nos plus grandes montagnes ne font pas plus de 20km comme le mont Olympe sur Mars, mais pique entre 8 et 9 km de haut. Cependant, si nous développons de meilleurs matériaux, notamment avec la nanotechnologie, il est théoriquement possible de construire des structures bien plus grandes.

Dans l’espace ce n’est pas le poids, mais les forces de marées qui limitent la taille des objets. Autour d’un astre massif comme le soleil, si un objet est trop long, il verra une de ces extrémités être attirée vers l’astre plus que l’autre ce qui créera un différentiel de force susceptible de le briser. Il se trouve qu’avec les matériaux connus comme fibre de carbone ou acier, on ne peut pas faire une structure de plus de 1 million de km de long. Voilà ce que ça représente pour un seul collecteur en forme d’octaèdre. À peu près 3 fois la distance Terre-Lune. C’est déjà pas mal !

Un nuage ou essaim de Dyson serait placé au niveau de l’orbite terrestre par rapport au soleil et engloberait ainsi la terre, vénus, mercure et le soleil. Ainsi, la lumière du soleil continuera à inonder notre planète. Le contraire serait problématique pour la faune et la flore.

Le 3e modèle appelé bulle de Dyson consiste à utiliser des voiles solaires au lieu des orbiteurs. Ces derniers pourraient être placés beaucoup plus près du soleil sans craindre l’attraction gravitationnelle puisque la pression de radiation lumineuse repousserait les voiles solaires.

Il est cependant crucial de ne pas placer les voiles solaires sur le plan de l’écliptique afin de laisser la lumière atteindre les planètes du système solaire.

La construction d’une sphère de Dyson

Maintenant qu’on a une idée de la taille et des paramètres techniques de cette mégastructure, on peut se demander comment exécuter le cahier des charges. La première chose à savoir c’est s’ il y a suffisamment de matériaux. Une chose est sûre c’est que nous n’utiliserons pas des ressources terrestres. Il est bien plus économique de récupérer le fer, carbone, nickel et autre matériau directement de l’espace. Les astéroïdes et Mercure étant les candidats évidents.

Utiliser les astéroïdes possède l’avantage de nettoyer en partie le système solaire, car tous ces cailloux menacent d’endommager les orbiteurs ou voiles solaires de la sphère de Dyson. Et accessoirement, menace la Terre. Demandé aux dinosaures. Il a été estimé qu’environ 2% de la masse des astéroïdes serait nécessaire pour construire un essaim de Dyson et encore moins pour une bulle de Dyson qui est moins dense. Il y a donc largement ce qu’il faut.

La première génération de collecteur solaire serait mise en orbite autour du soleil formant un anneau où tous les collecteurs tournent à la même vitesse. Il suffit ensuite de réitérer cette étape en ajoutant d’autres anneaux sur des orbites différentes pour éviter les collisions.

La sphère complète pourrait être achevée en un minimum de 1000 ans selon les calculs de Freeman Dyson. Ce qui peut paraître beaucoup, mais on a déjà eu des civilisations dans l’antiquité qui ont perduré pendant presque 1000 ans, comme Rome. Et des projets d’ingénierie multigénérationnels ont déjà vu le jour comme les cathédrales. Donc une civilisation technologiquement avancée pourrait ne pas broncher à l’idée de construire un projet s’étalant sur un millénaire. D’autant plus que la grande partie du travail sera effectué par des intelligences artificielles en automation quasi complète et le retour sur investissement est exponentiel.

Les utilisations et les limites d’une sphère de Dyson

L’énergie captée serait colossale. Le soleil a une production d’énergie d’environ 4×1026 W. Pour se faire une idée de comparaison, la civilisation humaine consomme aujourd’hui environ 160,000 Térawatts heures, soit 1,77×1013 W. Mais il y a une limite sur ce qu’on pourrait convertir en énergie utile en raison de la 2nd loi de la thermodynamique.

Cette énergie solaire pourrait être convertie en électricité, envoyée par micro-ondes sur Terre et à d’autres endroits du système solaire, utilisée pour la photosynthèse sur des habitats au sein même des orbiteurs ou produire et stocker de l’antimatière qui serait des réserves d’énergie colossale.

Que faire avec 35% ou la moitié du rendement énergétique du soleil ? Nous ne pouvons que spéculer sur les besoins et motivations d’une civilisation extra-terrestre ou nos descendants. Aujourd’hui, une grande partie de nos besoins énergétiques sert pour l’informatique, donc on peut imaginer qu’une sphère de Dyson pourrait alimenter un super ordinateur. Ce qui est appelé parfois un cerveau matriochka. La capacité de calcul permis serait dès lors considérable, capable de simuler des centaines de milliards de cerveaux au sein de millions de simulations indiscernables de la réalité. Autrement dit, capable de créer des entités numériques potentiellement conscientes. Ce qui ouvre la porte à une de mes réflexions pop corn philosophie favorite, somme nous dans une de ces simulations ? Mais on va éviter de s’égarer dans le terrier du lapin blanc.

Une très grande capacité énergetique pourrait également servir à résoudre des problèmes scientifiques à construire des habitats spatiaux comme des sphères d’O’Neill et à produire et stocker de l’antimatière.

Sans parler de toutes les utilisations d’une sphère de Dyson qu’on ne peut pas imaginer avec nos esprits humains du 21e siècle. C’est facile de penser que c’est de la science-fiction, mais la construction d’un essaim de Dyson est tout à fait plausible. Il nous faut simplement des technologies fondamentales comme l’intelligence artificielle et l’autoréplication, l’automatisation et l’impression 3D avancée, autant de disciplines dans lesquelles nous faisons des progrès remarquables. Par conséquent, bien qu’un essaim de Dyson semble être un projet insurmontable, l’échelle n’est pas en soi une barrière infranchissable. Le philosophe Suédois Nick Bostrom propose la conjecture d’achèvement technologique : “Si les efforts dans le développement scientifique et technologique ne s’arrêtent pas, toutes les capacités qui pourraient être obtenues grâce à une possible technologie seront obtenues.”

Ceci dit, rappelons-nous que ce n’est pas parce que quelque chose est possible, qu’on le fait systématiquement. On pourrait facilement construire des pyramides en pierre plus grandes que celle de Khéops, pourtant personne ne se lance dans un tel projet, car il n’y a aucune motivation. De même, nous n’avons jamais perdu la technologie pour aller sur la Lune, simplement l’intérêt économique. Et ce dernier joue un rôle primordial dans nos décisions. Si dans 1000 ans, l’humanité possède des centrales à fusion nucléaire aux 4 coins du système solaire, l’intérêt de construire une sphère de Dyson ne sera peut-être pas évident.

En plus des réflexions prospectives, le concept de sphère de Dyson est utile dans la recherche de technosignature extra-terrestre en scannant le ciel à la recherche d’étoile ayant une faible luminosité mais beaucoup d’infrarouge.

En septembre 2015, la détection d’une étoile à 1470 AL a révélé d’étranges fluctuations lumineuses. L’astrophysicien Jason Wright proposa l’hypothèse que l’étoile de Tabby possède une sphère de Dyson. Mais aucune preuve substantielle n’est venue appuyer cette proposition et des explications naturelles sont privilégiées en appliquant notamment le rasoir d’Occam. Ce principe philosophique préconise que face à des hypothèses concurrentes sur le même événement, il faille sélectionner la solution avec le moins de paramètres. Ce n’est pas un principe logique irréfutable, mais un guide heuristique pour falsifier des hypothèses.

Le satellite IRAS de l’université Caltech a scanné 96% du ciel en infrarouge. Des chercheurs ont utilisé les données recueillies pour rechercher des sphères de Dyson dans notre galaxie. Sur 250 000 sources, 4 d’entre elles sont inhabituelles, mais dire que ce sont des sphères de Dyson serait un raccourci cognitif. Ceci dit, la Voie lactée possède cent milliards d’étoiles donc on est loin de les avoir toutes observées.

Il est même possible de regarder s’ il existe des civilisations galactiques, ou de type K3 dans les galaxies voisines. S’il se trouve qu’une civilisation, disons dans la galaxie d’Andromède, s’est répandue dans toute la galaxie en construisant des sphères de Dyson autour de presque toutes les étoiles, alors la luminosité d’Andromède devrait être bien plus faible par rapport à sa taille. Ce n’est pas ce qu’on observe. Des astronomes ont regardé 137 galaxies et aucune n’indique de manière flagrante la présence de civilisation K3. En tous cas, celle qui serait intéressée par la construction de la sphère de Dyson.

Ce genre de recherche renforce le paradoxe ou le problème de Fermi puisque nous n’avons manifestement aucune preuve de civilisation avancée. L’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence, mais ça indique quand même que soit les civilisations extraterrestres ne font pas ce qu’on attend d’elles, soit elles n’existent pas. Nous serons donc peut-être les premiers à construire une sphère de Dyson.

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