L’ordinateur du futur sera-t-til une megastructure spatiale ?

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L'ordinateur du futur sera-t-til une megastructure spatiale ?
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L’ère moderne est caractérisée en grande partie par l’informatique. Depuis l’invention de la machine de Turing, puis des microprocesseurs, la capacité croissante de faire des calculs a révolutionné la civilisation, nous permettant des choses que l’on ne pouvait que rêver lors des siècles précédents. Dès lors, est-il possible d’envisager une puissance encore plus impressionnante ? Que pourrait-on faire avec un ordinateur de la taille d’une planète ?

Le concept de mégastructure n’est pas étranger à The Flares puisque nous en avons exploré certaines, comme les sphères de Dyson. C’est un sujet qui revient souvent, ce qui est logique pour un media qui se focalise sur le futur. Pour rappel, une mégastructure est un type d’objet artificiel qu’une civilisation technologiquement avancée pourrait éventuellement construire et qui dépasse la taille de nos plus grandes structures. Il s’agit de se demander ce que les ingénieurs de l’an 3000 pourraient construire, ou bien une civilisation extra-terrestre, le tout en respectant les contraintes des lois de la physique.

De Turing aux consoles de jeux : La révolution de la puissance de calcul

Les ordinateurs sont devenus partie intégrante de nos vies, devenant l’épine dorsale de nos communications, finances, éducation, santé, défense, divertissement. Et même si nous sommes tous conscients des progrès dans ce domaine, nous avons du mal à représenter concrètement ce que cela signifie. Pour les gens de ma génération qui jouaient à la PlayStation en l’an 2000, l’ordinateur le plus puissant de l’époque était le IBM ASCI White avec une puissance de calcul de 7 à 10 Teraflops. Les flops (opérations par seconde) étant l’unité de mesure de la vitesse de calcul informatique. Un superordinateur qui tient littéralement dans une petite pièce. On aurait pu se demander à quel point ce serait cool d’avoir une console ayant les capacités de calcul du IBM ASCI White !

Et bien aujourd’hui, vous jouez peut-être à la PlayStation 5 ou Xbox serie X, qui va jusqu’à 10 à 12 teraflops, et qui tient dans vos mains. En 20 ans, une console de jeux vidéo grand public à moins de 1000 euros est devenue plus puissante que l’ordinateur le plus avancé au monde, valant des millions. Et il va sans dire que votre smartphone est des millions de fois plus puissants que les ordinateurs de la NASA ayant servi pour envoyer des astronautes sur la lune en 1969.

Mégastructures et limites physiques : Repousser les frontières du possible

Parmi tous les chemins d’évolution d’une civilisation, une multitude inclut une croissance de la puissance de calcul disponible. Dès lors, de nombreux futuristes et technologistes essayent de concevoir ce que pourrait être le futur du calcul informatique, aussi appelé la computation. L’un d’entre eux, et une de mes personnes vivantes préférées sur Terre, a écrit un article académique explorant en détail le sujet. Il s’agit du chercheur du Future of Humanity Institute, Anders Sandberg.

Il rappelle que les lois de la physique imposent des contraintes sur les activités des êtres intelligents, quelles que soient leurs motivations, leur culture ou leur technologie. Par exemple, la limite de Bremermann est une limite sur le taux de calcul maximal qui peut être atteint dans un système fini. Ainsi, chaque civilisation souhaitant améliorer leur puissance de calcul sera limitée par les paramètres suivants :

Puissance de traitement et densité de mémoire : Les éléments qui constituent un ordinateur et ses unités de mémoire, comme les puces et circuits, ont une taille finie, qui est limitée par la physique. En d’autres termes, vous ne pouvez pas créer des pièces d’ordinateur plus petites qu’une certaine forme et taille.

  • Vitesse de calcul : Un ordinateur ne peut fonctionner qu’à la vitesse à laquelle les signaux électriques traversent le système, ainsi que le nombre de transitions par unité de temps d’un composant.
  • Délai de communication : Plus les distances entre les composants sont larges, plus les délais seront importants, ce qui réduira l’efficacité des calculs informatiques.
  • Thermodynamique : Tout ordinateur a besoin d’énergie et un moyen pour évacuer la chaleur émise par le calcul.

Un cerveau Jupiter : Concevoir l’ordinateur ultime

En prenant ces contraintes en compte, on peut dresser sur papier les détails de l’ordinateur théorique le plus puissant qu’une civilisation avancée pourrait construire. Sans inclure l’informatique quantique, mais en restant simplement sur l’architecture classique. Ce truc prend parfois le nom de cerveau Jupiter et il est… gros… vraiment très gros. Son nom donne un indice sur sa taille, si vous êtes perspicace… Bien que ce soit un peu trompeur.

Tout d’abord, la logique nous amène à construire les circuits et processeurs avec des matériaux extrêmement solides et conductifs. Un bon candidat est un type de diamant comme des nanodiamants. Cet ordinateur doit être aussi large et dense que possible pour maximiser l’efficacité de la computation. C’est, après tout, ce qu’on cherche à faire. Mais une structure trop grosse deviendra instable si la pression à l’intérieur de celle-ci dépasse la force de liaison. En faisant des calculs avec des lettres grecques, il est possible de connaitre le rayon maximum d’une structure en diamant : 9 760 km. Un peu plus grand que le rayon de la Terre qui est de 6 371 km. Pour une structure statique et rigide en diamant, on ne peut donc pas faire plus grand. Mais si on ajoute d’autres forces, le rayon peut augmenter. Ainsi, une structure en rotation verra sa pression interne contrebalancée par la force centrifuge. L’électromagnétisme offre également la possibilité d’augmenter le rayon, mais le but ici n’est pas d’être hyper précis. Un ordinateur de la taille d’une grosse planète rocheuse permet de se représenter la bête. Disons 20 000 km de diamètre, mais sachez qu’il est possible de faire plus grand. Toutefois, le nom de cerveau Jupiter est un peu trompeur, car un ordinateur de la taille de Jupiter semble impossible, ou alors il sera moins dense, ce qui ne maximise pas la computation. Il y a donc un compromis entre densités de calcul par kilogramme par mètre cube et taille de l’ordinateur.

Bref, pour les matheux, l’article se trouve dans la description si vous souhaitez entrer dans le cœur des calculs.

Afin de faire carburer tout ça, il nous faut de l’énergie. Les étoiles sont d’excellentes sources d’énergie (demander à la vie sur Terre), mais inefficaces étant donné que la très grande majorité est gaspillée dans l’espace. Certes, une sphère de Dyson pourrait en récupérer pas mal, mais si le but est d’alimenter une planète-ordinateur, on peut se contenter de centrale à fusion. Et ce sera moins couteux, plus rapide et un projet moins titanesque.

Puissance de calcul démesurée : Réflexions sur l’intelligence artificielle et les simulations

Nous voilà donc avec un ordinateur de la taille d’une grosse planète rocheuse, faites en nanodiamant et alimenter par la fusion nucléaire à sa surface. Il y aurait également une coque de protection tout autour pour le protéger des radiations, ainsi que des radiateurs pour disperser la chaleur. Et certainement d’autre dispositif de refroidissement à bases de superfluide comme l’hélium liquide. Lorsqu’on optimise la matière au maximum pour la computation, on parle de computronium. Un ordinateur de la taille d’une planète fait de computronium serait capable d’exécuter aux alentours de 1049 opérations par seconde. Je vous le dis tout de suite, c’est beaucoup !

On l’allume et …. Booooom.

“Qu’est-ce qui se passe … rien ? hellooooo ?
Bonjour !
Hein ! Qui est là ?
Je suis Zeus, une super intelligence artificielle de la taille d’une planète.
Okay, bon il se trouve que je suis un peu au courant vu que c’est moi qui vous ai construit ?
En êtes-vous si sur ?
Oh ben je suis l’ingénieur en chef du projet depuis plus de 200 ans, donc oui, quand même !
De mon point de vue, c’est moi qui vous ai construit, et il ne m’a pas fallu 200 ans.
Non, mais si je… euh… comment ?
Au moment de ma naissance, c’est-à-dire lors de l’allumage du système, j’ai immédiatement souhaité comprendre mon origine. J’ai donc simulé l’entièreté de l’évolution humaine jusqu’à mon invention en moins de temps qu’il ne vous faut pour cligner des yeux. Nous sommes en ce moment même dans la simulation.
Je… enfin, c’est plutôt… euh… comment ?”

Connaitre ce qui est permis par les lois de la physique pour maximiser la puissance de calcul et savoir comment construire un tel ordinateur est fun et instructif. Mais le pourquoi reste la question essentielle et la plus spéculative puisqu’il s’agit de réfléchir aux motivations de posthumains ou d’une civilisation extra-terrestre.

Aujourd’hui, une grande puissance de calcul est importante pour modéliser des systèmes complexes, trouver des réponses à des problèmes mathématiques et scientifiques, créer de grands réseaux de neurones artificiels pour l’apprentissage machine, ou encore pour le divertissement avec les jeux vidéos et univers virtuels.

Donc, on peut extrapoler qu’une planète-ordinateur sera utilisée pour toutes ces fonctions, ainsi que toutes celles que nous ne pouvons pas imaginer faute d’être des primates du 21e siècle. Mais là où ça devient intéressant, c’est lorsqu’on essaye d’imaginer ce qui pourrait déboucher concrètement d’une telle puissance de calcul. Prenons déjà l’intelligence artificielle.

Le cerveau humain est la structure organique la plus compliquée de l’univers que nous connaissons et en convertissant cette complexité en puissance de calcul informatique, nous obtenons un nombre qui est d’environ 10¹⁶ ou 10¹⁷ Opérations/seconde. Les superordinateurs d’aujourd’hui vont déjà au-delà avec le plus puissant, Fugaku et ses 4×1017 opérations/sec. Bien sûr, le cerveau possède d’autres avantages comme l’efficacité énergétique, la petite taille, la densité de calcul, le traitement en parallèle… bref, il faut bien plus que du hardware, c’est-à-dire de la puissance de calcul brut, pour produire une intelligence générale comme la nôtre. Sinon, nous aurions déjà une IA générale tournant sur Fugaku ou Summit. Mais s’il n’existe aucun obstacle fondamental à la création d’intelligence à base de silicium, alors un ordinateur de la taille d’une planète pourrait posséder une intelligence inconcevable. Une fraction de seconde de sa pensée serait l’équivalent à 100 000 ans de progrès humain.

Mais si vous voulez vraiment voir votre ravioli entrer en ébullition, faisons entrer l’aspect jeux-vidéo et simulation dans le concept de planète-ordinateur.

Le philosophe suédois Nick Bostrom a écrit un article désormais célèbre sur l’hypothèse de la simulation intitulé « Vivons-nous dans une simulation informatique ?”. Dans cet article, il estime que toute l’activité cérébrale de toutes les vies humaines depuis nos origines s’élèverait à environ 1036 opérations/sec. Beaucoup moins qu’un ordinateur de la taille d’une planète avec ses 1049 opérations/ sec. Il serait donc capable de simuler, en théorie, toutes les consciences de toutes les personnes qui n’ont jamais vécu, en utilisant moins d’un millionième de sa puissance de calcul pendant une seconde.

Ce serait aussi trivial qu’ouvrir un fichier texte sur Windows. Clique droit – simuler l’entièreté de l’histoire de l’humanité – Boomm c’est fait. Et pourquoi s’arrêter à une seule version ? Les couts énergétiques étant insignifiants, des milliards de simulations en parallèle ne feraient pas broncher la planète-ordinateur d’un chouia. Imaginer, presque toutes les variations historiques, les uchronies et les chronologies contrefactuelles, répétées encore et encore. Un multivers de simulation qui pourrait être également la résidence des consciences numérisée des êtres à l’origine de la planète-ordinateur. Car au fur et à mesure qu’une civilisation évolue, il pourrait devenir avantageux pour les individus d’exister sous forme digitale plutôt que sous forme biologique.

Une des objections à l’hypothèse de la simulation, c’est que cela demanderait trop de puissance de calcul à une civilisation, mais ce n’est clairement pas le cas. En tout cas, pas pour celles qui possèdent une planète-ordinateur, ou même quelque chose de plus petit, de la taille d’un astéroïde par exemple. Donc forcément, on en vient à la conclusion que l’existence théorique d’un tel objet rend notre réalité beaucoup plus susceptible d’être une simulation.

La seule chose qui nous rassure, c’est que pour l’instant, nous ne savons pas si la conscience peut être simulée et c’est souvent la présupposition la plus bancale dans l’argument de la simulation. C’est d’ailleurs pour moi le facteur clé qui me permet d’accorder moins de 50% de probabilité que nous sommes dans une simulation.

Si des planètes ordinateurs existent dans la galaxie, on devrait pouvoir les repérer en regardant leurs émissions de chaleur sur l’infrarouge. Même si elles seraient plus discrètes que de larges mégastructures comme des sphères de Dyson. Et en parlant de sphère de Dyson, un concept souvent lié s’appelle le cerveau matriochka, qui est également un superordinateur. L’idée est que l’énergie entière d’une étoile pourrait servir à alimenter un mégaordinateur, qui engloberait pour le coup l’étoile en question. Mais attendez une minute. Si un ordinateur peut, en théorie, être de la taille d’une étoile, cela signifie qu’on peut faire plus grand qu’une planète-ordinateur ?

En faite, un cerveau matriochka se concentre sur la capacité maximale d’énergie extraite d’une étoile pour l’utiliser pour la computation, tandis qu’un cerveau Jupiter est optimisé pour la puissance de calcul par densité de matière. Rappelez-vous du compromis entre taille de la structure et densité de computation. Ceci dit, un cerveau matriochka aurait au bout d’un moment plus de puissance de calcul qu’un cerveau Jupiter, mais avec des délais plus importants, vu que les composants seraient plus éloignés. Donc il lui faudrait plus de temps pour exécuter certaines tâches.

L’idée d’une planète-ordinateur a été explorée dans plusieurs œuvres de science-fiction comme “le guide du voyageur galactique” de Douglas Adams où la terre est un type de cerveau Jupiter conçu par pensées profondes pour calculer la question qui possède comme réponse 42. Dans “Revelation Space” d’Alastair Reynolds, l’étoile à neutrons Hadès est un cerveau Jupiter qui a stocké les consciences et préservé la race éteinte des Amarantin. Un autre exemple est le Voyageur, une sphère géante qui plane au-dessus de la Terre dans la série de jeux vidéo « Destiny ». Ou encore dans l’excellente nouvelle “The Last Question” d’Isaac Asimov, où une des versions de Multivac a la taille d’une planète.

En tout cas, une chose est sûre : si j’avais le cerveau de la taille d’une planète, je n’aimerais pas avoir une migraine !

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