Prévenir la prochaine pandémie grâce à Alphafold ?
En l’espace de quelques mois, le terme “virus” a pris une place prédominante dans l’esprit de beaucoup d’entre nous. La faute a cette petite chose microscopique responsable de la première pandémie depuis 1918.
De ce fait, la virologie, en tant que domaine de recherche, a reçu une attention particulière ces dernières années. Jamais des découvertes scientifiques aussi conséquentes n’ont été faites et mises en pratique d’une manière aussi rapide et efficace. Passer de la découverte d’un nouveau pathogène à la création d’un vaccin testé en moins d’un an est sans précédent.
Mais on aurait tort de penser que tout s’est fait en un clin d’œil. En réalité, toutes ces découvertes ont été rendues possibles grâce à des décennies de progrès scientifiques dans les domaines de la virologie, de l’immunologie, et de la vaccinologie. Récemment, un nouvel acteur a fait sensation : l’intelligence artificielle.
On peut donc se demander à quel point nous pouvons limiter la probabilité de futures pandémies grâce à la recherche fondamentale sur les virus, l’aide de la bio-informatique et l’intelligence artificielle ?
Car comme l’a dit l’épidémiologiste américain Larry Brilliant :
“L’émergence de nouvelles épidémies est inévitable, mais les pandémies sont optionnelles”.
À l’occasion de la Nuit Européenne des Chercheurs 2022, j’ai eu l’opportunité de collaborer avec PlayAzur, l’université d’Aix-Marseille et l’AFMB : Laboratoire Architecture et Fonction des Macromolécules Biologiques, et notamment deux chercheuses, Gerlind Sulzenbacher et Alice Decombe, sur leurs travaux en virologie structurale.
Mais avant d’aller plus loin, il me semble important de comprendre qu’est-ce qu’un virus ?
Alice Decombe : “Les virus sont des micro-organismes infectieux. Ce sont de petits parasites. Petits parce qu’ils sont 1 milliard de fois plus petits que nous et plus petits même que les bactéries. Et pour donner une comparaison, la différence de taille entre un virus et une bactérie, c’est la même qu’entre une tête d’épingle et nous. Ce sont des parasites parce qu’ils ne sont pas autonomes, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas l’énergie et les molécules nécessaires à la copie de leur matériel génétique et la synthèse de la protéine constitutive. Ils sont donc obligés d’infecter nos cellules, pour pouvoir se répliquer.”
Faisons un petit tour dans le très petit pour comprendre où se situent les virus. Les atomes sont la base élémentaire de la matière. Ils s’assemblent entre eux pour former des molécules qui sont considérées comme organiques si elles contiennent au moins un atome de carbone. Parmi ces molécules, les acides aminés, eux, forment de longues chaînes, qu’on appelle protéine. Pour saisir le contexte, nous sommes là à une échelle nanométrique, 100 000 fois plus petite qu’un cheveu.
La recherche fondamentale en virologie structurale s’intéresse tout particulièrement aux protéines puisque ce sont elles qui donnent au virus leurs fonctions et capacités d’interactions avec les cellules humaines. On peut prendre l’exemple de la protéine spike du SARS-CoV-2. Grâce à sa structure, on comprend comment elle est reconnue par la cellule humaine et quels sont les domaines d’interaction avec les anticorps.
Alice Decombe : “Une protéine aura un enchaînement spécifique d’acides aminés et une longueur spécifique aussi, donc une chaine plus ou moins longue, et un repliement dans l’espace qui va lui conférer ces propriétés particulières. On cherche à comprendre le mécanisme d’infection virale et pour cela, on a besoin de comprendre la fonction des protéines virales, pour pouvoir regarder ce qu’elles font, comment on peut trouver un médicament qui va venir contrer cette activité, pour potentiellement explorer des nouvelles pistes, de nouvelles stratégies antivirales.”
Lorsqu’une protéine est jugée digne d’intérêt, elle doit être isolée par les chercheurs. Pour ce faire, il faut se procurer la notice qui code cette protéine, autrement dit le fragment d’ADN. Ce dernier est ensuite inséré dans une bactérie, une cellule d’insecte ou animal, qui agit comme une petite machine à produire des protéines basée sur l’instruction ADN.
Alice Decombe : “Et une fois qu’on a fait fabriquer et répliquer ces cellules avec la protéine à l’intérieur, on va détruire les cellules pour récupérer ce qu’il y a à l’intérieur. Et il y a plein de protéines propres à la cellule hôte, il y a aussi de l’ADN, de l’ARN et on va vouloir isoler la protéine d’intérêt. Donc c’est le processus de purification ou d’isolement de la protéine. Et donc, pour arriver à isoler cette protéine et seulement cette protéine en général, on utilise des méthodes de biochimie avec des petites étiquettes moléculaires qu’on aura ajouté en amont à la séquence ADN pour que la protéine soit un petit peu modifiée, un peu spéciale pour qu’elle puisse s’accrocher dans les étapes de purification à une matrice avec de l’affinité ou on a plusieurs méthodes qui permettent de l’isoler, de la séparer des autres.”
Deux grandes questions se posent alors : comment cette protéine fonctionne-t-elle ? et quelle est sa structure ? On répond à la première question en désignant un test spécifique qui permet de voir l’activité de la protéine et si l’ajout d’un composé tel qu’un potentiel médicament altère cette activité.
La deuxième étape est de savoir à quoi ressemble la protéine, ce qui est fondamental puisque la structure définit généralement la fonction. Or, à l’échelle nanométrique, il ne suffit pas de sortir son appareil photo pour obtenir un cliché. Si les protéines sont assez grandes, il est possible de les voir grâce à la cryo-microscopie électronique. Cela fonctionne comme un microscope, sauf que ce n’est pas un faisceau de lumière blanche, mais un faisceau d’électrons qui permet d’obtenir les images. Grâce à de puissants ordinateurs et des logiciels d’analyse, les images observées sous différents angles sont combinées en une représentation 3D de la protéine.
On peut aussi tenter de cristalliser les protéines : dans certaines conditions, les protéines s’arrangent sous forme de cristaux, c’est la cristallogenèse. Il devient possible d’envoyer des rayons X sur ces cristaux. Les rayons voient leur chemin perturbé par les protéines cristallisées, ce qui donne un motif de diffraction. Les clichés de diffractions sont ensuite traités informatiquement pour obtenir la carte de densité électronique de la protéine, ce qui permet de déduire la position des acides aminés dans l’espace, et donc la structure de la protéine.
Lorsque la forme tridimensionnelle d’une protéine est découverte, il est possible de simuler ces interactions avec des molécules de médicament par modélisation informatique afin d’envisager si ces dernières ont une application antivirale ou d’affiner la fonction des protéines nécessaires à la réplication du virus, dans le but de l’endiguer.
Mais il se peut que l’on ne parvienne pas à produire, purifier ou cristalliser une protéine. L’idéal serait d’avoir un outil qui, à partir d’une séquence en acides aminés, peut proposer un modèle de la structure de la protéine. C’est exactement ce que des algorithmes d’intelligence artificielle permettent de faire avec RoseTTAFold, et depuis 2020, AlphaFold 2 qui a secoué la biologie en offrant des prédictions ab initio de repliement de protéines très fiable.
La base de données d’AlphaFold offre aujourd’hui un accès libre à plus de 200 millions de structures 3D de protéines.
Alice Decombe : “…c’est une révolution d’avoir un outil qui permet juste, à partir de la séquence d’acide aminé, de donner une structure tridimensionnelle de façon autonome et sans modèle préalable tout en évaluant aussi un niveau de fiabilité de ce modèle structurale, pour pouvoir peut être court-circuiter toutes ces longues étapes d’optimisation expérimentales. Et ça donc c’est une première idée. Il y a une deuxième idée, c’est quand on a des données de diffraction par cristallographie, on essaye de les déchiffrer pour obtenir l’image de la protéine. Et la méthode courante est d’utiliser la forme connue d’une protéine homologue comme calque, et remonter par calcul itératif à la véritable forme de la protéine sous étude. Mais quand on ne dispose pas de structure de protéines homologues, AlphaFold permet de proposer un modèle de la protéine. Et c’est ça qui va nous permettre de décrypter les données de cristallographie et de les analyser. Ça permet en fait de débloquer des situations ou expérimentalement, on ne pouvait pas déterminer la structure de la protéine d’intérêt.”
Toutefois, les données de biologie structurale acquises expérimentalement restent cruciales, notamment dans le cas d’interactions avec des médicaments et nouvelles mutations, que les algorithmes ne peuvent pas encore prédire.
Après ce tour d’horizon de la virologie structurale, revenons à la question posée en introduction. Sommes-nous mieux armés contre les pandémies ?
Une chose est sûre, anticiper la prochaine pandémie n’est pas envisageable. Les protéines sont d’une telle complexité qu’il est très difficile de savoir quel type de mutation va émerger.
Alice Decombe : “Grace à la connaissance de la structure d’une protéine, on va comprendre, par exemple, quels sont les domaines de reconnaissance par la cellule de l’hôte? Quels sont les domaines d’interaction avec les anticorps ? Et donc à la rigueur, on va pouvoir déterminer si ce domaine est reconnu par les anticorps, et c’est quand même probable qu’on va trouver des mutations dedans. Mais savoir quelles mutations, ça, c’est compliqué et donc en général, c’est plutôt des études a posteriori. Une fois que le virus a muté dans la population, eh bien à ce moment-là, on étudie, on regarde où sont les mutations. Pourquoi ? Qu’est ce qu’elle confère comme avantages ou comme désavantages au virus ? Parce que c’est souvent un compromis entre les deux. D’une façon générale, pour anticiper les épidémies, aujourd’hui, ce qui se passe, notamment avec les virus émergents, les virus zoonotiques, c’est-à-dire qu’ils viennent de l’animal. Ce qu’on va faire c’est surveiller les populations animales. Par exemple, avec la grippe ou prochainement les coronavirus, c’est échantillonner dans les populations animales, quel virus sont déjà présents et avec que mutation par rapport à ce qu’on connaît déjà.”
Certains chercheurs proposent que pour anticiper ces mutations, on puisse soumettre le virus à des pressions de sélection en laboratoire. Il s’agit de reproduire ce qu’il se passe naturellement, mais en accéléré et sous contrôle. Voire faire des expériences de gain de fonction, où l’on force le virus à engendrer des mutations, lui donnant de nouvelles propriétés, comme infecter un nouvel hôte. L’étude de ces mutations permet de comprendre le franchissement de barrière d’espèce. Ces travaux sont effectués dans des laboratoires de type P4 de haute sécurité, étant donné la dangerosité de certains pathogènes manipulés. Des expériences qui soulèvent des questions éthiques.
Alice Decombe : “La question qu’on peut se poser, c’est sachant qu’on n’a pas encore une vision très précise des bénéfices, par contre, le risque, on sait ce que c’est, c’est créer un nouveau virus qui va potentiellement infecter l’homme, donc est pathogènes et ce risque, est-ce qu’on peut se permettre de le prendre ou pas ? Il y a un débat sain qui doit se passer avec des experts, mais je pense que tout le monde peut aussi prendre partie à ce débat. Pourquoi est-ce que certains biologistes pensent, même ceux qui ne font pas cette recherche, que cette recherche est importante ? ça s’inscrit dans quelque chose qui est plus vaste. C’est à quel point les réglementations pourraient stériliser la recherche et donc finalement endiguer des avancées. Et donc ça, c’est un argument aussi que certains chercheurs ont, c’est, mais jusqu’où on interdit ? Et si on commence à interdire, on ne va plus pouvoir travailler et avoir cette liberté de se poser des questions et d’essayer d’y répondre. Sachant qu’il y a eu des précédents et notamment des expériences faites sur le virus de la grippe, des expériences de gain de fonction. Des travaux qui ont un petit peu créent un précédent dans le sens où à partir d’un virus aviaire, ils ont créé un virus qui pouvait infecter l’Homme. Quels sont les bénéfices qui ont été tirés de ces expériences ? Et est-ce que ces bénéfices étaient assez importants sachant que le risque zéro n’existe pas ? Est-ce qu’on peut se permettre de créer des virus ? Est-ce que c’est trop dangereux ? Personnellement, et d’autres chercheurs, je pense aussi que c’est une question qui peut se poser et à laquelle il faut réfléchir.
Une étude de 2013 suggère qu’il y aurait 320 000 virus qui infectent seulement les mammifères, dont la majeure partie est inconnue. Les épidémies semblent ainsi inévitables. Mais il existe une fenêtre d’intervention plus ou moins grande entre l’émergence d’un nouveau pathogène et une pandémie. La recherche fondamentale en virologie, et notamment l’étude des protéines virales, contribue à enrichir les données expérimentales et structurales des protéines virales afin d’avoir une plus grande compréhension des virus, de réagir plus vite en étudiant les mutations des protéines virales isolées chez les premiers patients et d’envisager des stratégies antivirales (avec des médicaments) ou vaccinales. Bien sûr, les pandémies sont multifactorielles et dépendent autant de la science que des mesures sociétales.
Mais nous pouvons affirmer que nous n’avons jamais été dans une meilleure position pour faire face aux virus pathogènes, et il est raisonnable de penser que cette tendance va continuer grâce notamment aux recherches en virologie structurale couplée à l’immense promesse d’AlphaFold et ses successeurs.
Vous pourrez rencontrer Alice Decombe à la Nuit européenne des chercheur.e.s de Marseille le vendredi 30 septembre au Dock des suds. Une centaine de chercheur.e.s d’Aix-Marseille Université y seront pour discuter avec vous autour de jeux, d’objets scientifiques, d’expériences…
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