Quel modèle de gouvernance globale pour un monde en crise ?
Alors je sais toute de suite qu’une vidéo ayant dans le titre “gouvernement” suivi de “mondial” est susceptible d’attirer les personnes sympathisant avec certaines théories du complot. Que ce soit les illuminatis qui tirent les ficelles, les reptiliens ou je ne sais quoi d’autre, je n’ai pas tous les détails des différentes formes que prennent les théories du complot autour du nouvel ordre mondial aujourd’hui. Mais je vous le dis tout de suite, on ne va pas parler de ça dans cet épisode. Mais plutôt revenir sur une proposition d’Isaac Asimov. Donc avant de crier que je suis un agent du nouvel ordre mondial, liser jusqu’au bout. Merci !
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Coopérer mondialement selon Isaac Asimov
Isaac Asimov est l’un des auteurs que j’ai le plus lus et il est clairement dans ma liste des auteurs de science-fiction préférés. En tant qu’écrivain prolifique de science-fiction, journaliste et fan lui ont souvent été demandés comment voyait-il le futur ? Et bien qu’il ait pu donner différentes prédictions pour différentes époques, il y en a une qui a retenu mon attention. Ce n’est pas vraiment une prédiction, mais plutôt un conseil qu’il donne en 1989.
Alors déjà, même à l’époque où il a vécu c’est-à-dire entre 1920 et 1992, il a pu voir les effets du changement climatique. Il a d’ailleurs écrit quelques articles mettant en garde contre les émissions de gaz à effet de serre, l’amincissement de la couche d’Ozone et d’autres problèmes environnementaux. Pour lui, la seule solution “Coopérer mondialement”.
La liste des dangers qui menacent l’humanité est longue, et leurs points communs c’est qu’il menace l’humanité entière, et pas juste quelques pays. S’il y a une chose qui est biologiquement certaine au sujet de l’espèce humaine, c’est qu’il s’agit d’une espèce. Les similitudes entre nous sont énormes et les différences insignifiantes. Il a été calculé que seulement 1% des gènes humains sont différents de ceux d’un chimpanzé. Donc entre deux humains, la différence est ridicule. Pour trouver des solutions à ces risques existentiels, nous ne pouvons pas nous attendre à l’intervention de nations individuelles. Nous ne vivons plus au XIXe siècle. Lorsque le nationalisme était à son apogée, il était possible pour une seule nation de croire qu’elle pouvait déterminer son futur sans rapport avec le reste du monde. Que s’il y avait une guerre, elle pourrait se dédommager rapidement en écrasant la nation vaincue. Il n’est plus possible d’avoir une guerre dans laquelle les dommages causés ne sont pas bien plus importants que les bénéfices. Nos armes sont devenues si puissantes, que nous ne pouvons plus les utiliser. Il ne sera pas possible pour les États unis de bâtir un mur contre le réchauffement climatique. La seule façon de résoudre les problèmes du 21e siècle est par des solutions internationales et coopératives.
Un gouvernement fédéral mondial
Ce n’est pas à la France de dire au Brésil d’arrêter de raser l’Amazonie, ni au Brésil de dire à la France d’arrêter de rouler au diesel. Il devrait y avoir un moyen de dépasser l’autorité de ces deux nations sur des sujets aussi globaux que la santé de la forêt amazonienne et la pollution atmosphérique.
Nous n’avons aucune difficulté à appliquer ce principe aux États fédéraux comme les États-Unis ou l’Australie. On ne se demande pas pourquoi la Floride n’a pas le droit de dire à la Californie de faire ci ou ça. En ce qui concerne le commerce international, ou tout ce qui dépasse les besoins des villes et des États, c’est le gouvernement fédéral qui dit quoi faire, car il consiste en des représentants de tous les États.
Isaac Asimov souhaitait donc voir l’émergence d’une sorte de gouvernement fédéral mondial. Mais étant conscient des nombreux obstacles afin d’y parvenir, il imaginait deux façons de le faire, la carotte et le bâton. Ayant vécu la guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique, il a constaté qu’il n’y a jamais eu une période de cinquante années consécutives au cours de laquelle deux super puissances aux modèles opposés se sont criées dessus avec acharnement, sans pour autant en venir aux armes.
Pourquoi? Et bien, car il n’y avait pas vraiment d’autres options. Peu importe qui frappe en premier, une guerre ouverte entre les États-Unis et l’Union soviétique aurait été synonyme d‘apocalypse sans aucun vainqueur. Dans ce cas, le bâton était l’arme nucléaire et par extrapolation, la fin du monde tel qu’on le connaît. Un bâton assez persuasif quand même qui a encouragé bon nombre de discussions et d’options diplomatiques au lieu de sortir les armes.
Aujourd’hui, le bâton de l’extinction concerne toujours la menace d’un conflit nucléaire, c’est un peu comme avoir une caisse de grenade sous son lit. Tant qu’on aura autant d’armes de destruction massive, on ne pourra pas dormir tranquille. Par contre, le bâton possède deux autres facettes. L’impact environnemental de l’humanité et les bouleversements technologiques tels que l’intelligence artificielle et le génie génétique. Il n’y a pas besoin de s’étendre sur le fait que si un seul pays fait n’importe quoi sur ces sujets, il peut condamner le reste de la planète. Ce bâton devrait être suffisant pour unir les nations. Malheureusement, la coopération internationale traîne des pieds. Il nous faut peut-être une carotte pour avancer dans la bonne direction. Isaac Asimov prend l’exemple de l’histoire des États-Unis.
L’exemple de l’histoire des Etats-Unis
Après la fin de la guerre d’indépendance contre l’empire britannique, les États-Unis d’Amérique furent proclamés, mais ils n’avaient pas grand-chose d’uni. Chaque État était pratiquement indépendant. Il y avait un congrès, mais il n’avait aucun pouvoir, il ne pouvait même pas taxer et ne pouvait obtenir que des contributions volontaires des États individuels. Ce qui est plus ou moins similaire à l’ONU aujourd’hui.
Ces États étaient constamment en difficulté, ils ne savaient pas comment gérer la gestion des rivières qui formaient les frontières. Ils ne savaient pas comment traiter avec les populations natives. Ils ne savaient pas comment organiser le commerce entre États. Ils avaient peur d’être pris en charge par diverses puissances européennes ou d’entrer en guerre les uns avec les autres. Ainsi, ils ont mis en place la Constitution par laquelle les différents États ont renoncé à certains de leurs pouvoirs souverains en les transférant dans un gouvernement fédéral. 80 ans plus tard, certains États ont décidé de reprendre ce pouvoir perdu, notamment après qu’on les oblige à abolir l’esclavage. Une fois cette guerre de Sécession terminée et les confédérés vaincus, les États du Nord et du Sud étaient à nouveau unis. C’était donc le bâton : la peur de conflit interne. Mais où est la carotte?
L’Union a battu la Confédération, mais ces derniers n’avaient aucune raison d’avoir honte. En fait, il sentait qu’il n’avait perdu que de justesse. Et en plus de cela, l’Union traitait les États du sud comme une puissance étrangère occupée, et le sud n’oublierait probablement jamais cela. Donc, on pouvait s’attendre à ce que le sud se rebelle à chaque occasion. Qu’ils se livrent constamment au terrorisme, comme les Basques en Espagne jusqu’à ce que l’ETA rende les armes, ou le conflit entre les deux Irlandes, ou entre les chiites et sunnites au Moyen-Orient.
Mais il y a eu une guérison en quelque sorte, et les États-Unis sont redevenus une nation grâce à une carotte : la conquête de l’Ouest. Immédiatement après la guerre civile est venue la période d’exploration de l’ouest. N’importe qui de n’importe quel État pouvait aller à n’importe quelle partie de l’Ouest américain, de sorte que lorsqu’un nouvel État était fondé, il était composé de personnes de tous les Etats de l’Est. Les États-Unis ont trouvé leur unité dans un gigantesque projet qui incluait tous les États. Je ne pense pas que c’était voulu, c’est juste arrivé.
L’exploration spatiale pour nous rassembler
Si on dresse un parallèle entre l’histoire des États-Unis et le monde d’aujourd’hui, alors on retient que nous avons besoin d’un projet si énorme qu’il ne peut être réalisé que par toutes les nations du monde. Quelque chose qui créerait un bénéfice pour toutes les nations. Pour Isaac Asimov, est je pense que c’est son côté auteur de science-fiction qui parle, le seul candidat est l’effort d’exploration spatiale. Si nous pouvons établir des stations spatiales, des bases sur la lune, si nous pouvons utiliser l’énergie directement du soleil convertit en micro-ondes et rayonnant vers la Terre, nous aurons enfin de l’énergie libre de la géographie terrestre. Plus besoin de charbon qui existe dans certains pays et pas dans d’autres. Plus besoin de pétrole qui enrichit certaines nations et pas d’autres.
Le fait que l’espace ne soit plus seulement accessible aux grosses agences gouvernementales, mais se démocratise aux entreprises privées est un pas dans la bonne direction. Si une colonie est établie sur la Lune ou sur Mars, elle sera composée de personnes aux quatre coins de la Terre. L’idée de nationalités deviendra moins solide, en tout cas pour ces colons. Ils se sentiront surtout humains. Si on admet la possibilité qu’un projet spatial fournisse de l’électricité à travers des panneaux solaires spatiaux par exemple, alors il deviendra évident que tout ce qui empêcherait la Terre de se concentrer sur l’espace mettrait en danger l’approvisionnement énergétique de la Terre entière. En d’autres termes, il sera évident pour tout le monde qu’une stabilité et une coopération mondiale sont souhaitables. Ce qui pourrait être la carotte. Idéaliste oui, c’est clair. Et ce n’est pas étonnant que ça vienne d’un auteur de Science Fiction. De nombreuses oeuvres de SF décrivent un futur où les Nations unies deviennent une entité fédérale à la suite d’une découverte d’un artefact extra-terrestre comme dans mass effect, ou après le début de la colonisation du système solaire comme dans The Expanse.
L’agence spatiale européenne est un bon exemple de coopération intergouvernementale coordonnant les projets spatiaux menés en commun par une vingtaine de pays européens. La station spatiale internationale n’aurait sans doute jamais vu le jour sans collaboration internationale également.
Est ce que le bâton de notre extinction et la carotte de la conquête spatiale suffiront pour transférer un peu de souveraineté nationale à l’ONU afin d’obtenir une sorte de gouvernement fédéral mondial ? Je ne sais pas, mais je pense que c’est une possibilité crédible. Après, il faut garder à l’esprit que le parallèle avec l’histoire des États-Unis a ses limites. Les 195 nations de la planète ont des cultures parfois très différentes, parlent des langues différentes et utilisent des monnaies différentes. Mais on peut voir des signes que ces contraintes peuvent être surmonter. Le monde est certes composé de nombreuses cultures, mais internet, les modes de transports récents et la propagation de musique, marques, films, produits partout dans le monde, créer un cosmopolitisme jamais vu dans l’histoire. Il est tout à fait possible de se sentir Franc-comtois, Français, Européens et terriens en même temps si je parle pour moi. Les barrières de la langue peuvent être comblées par la technologie avec des solutions de traductions en temps réel qui deviennent de plus en plus efficaces, mais aussi plus simplement en utilisant la langue la plus parlée dans le monde : l’anglais. En ce qui concerne la monnaie, l’arrivée récente de cryptocurrency utilisant le blockchain comme le bitcoin annonce la possibilité d’une monnaie internationale officielle.
D’un point de vue macroscopique, il existe une sorte de flèche de l’histoire qui voit l’humanité s’unir de plus en plus. Les cultures se sont fondu progressivement en civilisations plus vastes et plus complexes au fil des millénaires. La meilleure façon d’apprécier la direction générale de l’histoire est de compter le nombre de mondes humains séparés qui coexistent à un moment donné sur la planète. Pendant la majeure partie de l’histoire, l’Amérique, l’Europe, l’Australie, l’Asie et l’Océanie furent des mondes séparés. Puis l’Europe, l’Asie et l’Afrique se rattachèrent par d’importants liens culturels, politiques et économiques pour former un monde afro-asiatique où 90% de la population vivait avant l’âge de l’exploration européenne au 15e siècle. Les 10% restants vivaient dans le monde mésoaméricain en Amérique du Nord, le monde andin en Amérique du Sud, le monde australien et le monde océanique. Le monde afro-asiatique finit par engloutir tous les autres et aujourd’hui, la quasi-totalité des humains partage la même mégaculture basée sur un système économique, politique, juridique et scientifique similaire. Cette flèche de l’histoire possède clairement des côtés positifs et négatifs, mais si on extrapole vers le futur, elle nous permet d’envisager encore plus de cohésion entre les cultures humaines.
Un gouvernement fédéral mondial possède des avantages, mais on ne peut pas ignorer quelques inquiétudes. La plus évidente c’est que se passe-t-il si le gouvernement mondial tombe entre de mauvaises mains ? Est-ce qu’il n’y a pas là une ouverture vers une dictature mondiale ? L’exemple des États-Unis peut servir à relativiser ce danger. En effet, la Constitution et la façon dont la politique est organisée rendent quasi impossible l’apparition d’un dictateur aux États-Unis. Le danger 0 n’existe pas, mais il est possible de l’atténuer par de solides fondations.
Bref, je ne sais pas si la vision d’Isaac Asimov verra le jour, mais il est clair que gouvernement mondial ou pas, on va devoir coopérer ensemble pour éviter les risques existentiels et s’étendre dans le système solaire et au-delà.
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