Solar Punk : une vision optimiste et durable pour le futur
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La condition humaine : entre nostalgie, angoisse et mal-être
On oscille en permanence entre une nostalgie du passé, une angoisse vis-à-vis du futur et un mal être au présent. Tel est la condition humaine dans toute sa splendeur. Mais heureusement, on peut faire un pas de côté et souffler un petit coup. Le lâcher-prise permet de se détacher de son passé, la pleine conscience nous ancre dans le présent et le futur … et bien pour beaucoup, le futur reste angoissant, car il manque en désirabilité. D’un côté, nous avons la science-fiction qui dépeint une panoplie de scénario que l’on juge plus ou moins réaliste, mais ça reste de la fiction. D’un autre côté, si on n’a pas le nez collé sur l’horizon du développement technoscientifique, les seules disciplines qui apportent des données précises au grand public sur le futur sont les sciences du climat, et les nouvelles ne sont pas très bonnes.
C’est possible que l’avenir n’ait jamais été aussi peu réjouissant. En tous cas, ce serait intéressant de savoir s’il existe des études à ce sujet. J’imagine que plus on remonte dans le passé, plus il est difficile de trouver des données. Prenez n’importe quelle époque et demandez-vous si les gens étaient optimistes, pessimistes ou indifférents vis-à-vis de leur futur. Est-ce que les Romains étaient excités par le futur suivant l’an -27 avant notre ère lorsque Auguste devint le 1er empereur ? Ou les Ottomans après la chute de Constantinople en 1453, ou les Japonais sous l’ère Tokugawa ?
L’évolution du regard sur le futur au cours du 20e siècle
Dès lors, des politiciens jouent souvent sur le “c’était mieux avant” pour attirer un électorat ayant une vision romantique du passé à défaut de trouver l’avenir attractif. Il suffit d’ouvrir un livre d’histoire (ou d’aller sur our world in data) pour se rendre compte que pour un nombre conséquent de critères, le passé n’était pas mieux qu’aujourd’hui. Pourquoi ne pas essayer de susciter l’engouement pour un futur désirable plutôt que vouloir revenir à cet âge d’or qui n’a jamais existé ?
Toutefois, on a bien plus d’idées sur le ressenti des gens pour l’avenir durant le 20e siècle. Et on peut voir deux périodes distinctes. Durant la première moitié du siècle précédent, l’idée de progrès était dans l’air du temps. Le monde avait complètement changé au cours du 19e siècle grâce à de nombreuses découvertes scientifiques, donc le futur donnait beaucoup d’espoir. Le passage du temps était perçu comme constructeur d’un monde meilleur et le progrès technologique était lié au progrès social. En plus de ça, une date était dans l’inconscient collectif, et ce durant tout le 20e siècle: l’an 2000. Le passage d’un millénaire représente un événement majeur qui a nourri l’imaginaire. Souvent de façon excitante, excentrique et quasi utopique.
Mais après 2 guerres mondiales et l’entrée dans l’âge atomique, le futur n’était plus si attrayant. On a tendance à oublier aujourd’hui à quel point le spectre d’une guerre totale nucléaire devait peser sur l’inconscient collectif durant la guerre froide. Surtout à partir du moment où l’URSS acquit des ogives nucléaires en 1949. Que la guerre froide prenne fin dans les années 90, sans échange nucléaire, avec simplement la dissolution du régime communiste n’était certainement pas la prédiction la plus courante. Généralement, les super puissances finissent en bain de sang et la branche des futurs possibles dans laquelle nous nous trouvons est une sorte d’anomalie de l’histoire. Heureusement pour nous. Ceci dit, ce n’est pas parce que la guerre froide est terminée qu’on peut ignorer la menace nucléaire. Les raisons, dans cet article.
Un dénominateur commun de beaucoup d’œuvres de Science Fiction durant cette période était soit un univers post-apocalyptique après un conflit entre les blocs. Soit un futur ou la guerre froide n’a jamais pris fin et l’URSS reste une super puissance en 2150 et plus. Peu imaginaient un effondrement du bloc Est dans la douceur, comme un ballon de baudruche qui se dégonfle. Plutôt qu’un éclatement dans le fracas.
Aujourd’hui, nous avons le spectre du changement climatique qui pèse sur l’inconscient collectif. Avec différentes intuitions sur l’évolution du monde. Il n’est pas impossible qu’en 2100, nos descendants analysent nos prédictions d’aujourd’hui en notant à quel point nous étions dans l’erreur. Similaire à ceux qui pensaient que seule une guerre nucléaire mettrait fin à la guerre froide, peut-être que la crise climatique prendra fin comme un ballon de baudruche qui se dégonfle. La différence étant que le mal est fait, du moins en partie. Nous savons déjà que le climat sera déterminé non par parce que nous faisons aujourd’hui, mais par nos actions passées. Même si on atteint la neutralité carbone du jour au lendemain, le CO2 présent va continuer à réchauffer la planète. Bien sûr, tout n’est pas figé dans le marbre et de nombreuses variables peuvent nous offrir différent futur.
Cette anxiété écologique a même donné naissance à un nouveau sous-genre de science-fiction : La cli-fiction pour climate fiction. Des histoires qui se passent pendant ou après des effondrements écologiques planétaires laissant les survivants dans un monde peu désirable.
Imaginer un avenir aussi sombre (ou pas d’avenir du tout) pose problème. Car bien que l’échec puisse être cathartique, il contrecarre la possibilité de penser à des alternatives.
L’émergence du solarpunk : une vision positive pour le futur
Afin de revigorer un intérêt collectif positif pour le futur, il est nécessaire de le mettre dans le présent. De le représenter. Le philosophe des sciences Étienne Klein parle de configurer le futur ou encore plus éloquent, coloniser le futur par la pensée.
Et ça demande un certain esthétisme pour lui donner un visuel. Phénomène qui n’est pas nouveau. Le steampunk est né peu de temps après la révolution industrielle en imaginant un futur à l’esthétique Angleterre victorienne sous l’influence des machines à vapeur. L’atompunk est né dans les années 50 sous l’influence de l’Amérique des années 50 carburant à l’énergie atomique. Ces sous-genres sont considérés comme rétro futuristes puisque décrivant un futur imaginaire vu sous le filtre des époques en question. On pourrait dire qu’il représente le futur du passé. Et il y en a beaucoup d’autres comme le stonepunk, nanopunk, dieselpunk ou steelpunk.
Plus récemment, le développement de l’informatique, l’entrée dans l’ère d’internet et les outils d’édition génomique ont donné naissance au cyberpunk et au biopunk.
Le nouveau-né dans cette famille de sous-genre artistique est le solarpunk. Un de ses objectifs est de remédier en partie à l’anxiété de la crise écologique en proposant une vision où l’humain et la nature coexistent dans une certaine harmonie. Et ce n’est pas en retournant à une époque préindustrielle, mais bien en embrassant un usage technologique et une organisation socio-économique raisonnée. C’est une vision d’un avenir qui incarne le meilleur de ce que l’humanité peut accomplir : un monde post-rareté, post-hiérarchie, post-capitaliste où l’humanité se considère comme faisant partie de la nature et où l’énergie propre remplace les combustibles fossiles.
Comme son nom l’indique, le solarpunk repose sur le photovoltaïque, et d’une manière générale les énergies renouvelables. Il envisage une humanité ayant surmonté de nombreux défis d’aujourd’hui, en particulier le réchauffement climatique. On a donc des sociétés profitant d’un niveau de vie élevé sans empiéter sur les limites de la planète. Le recyclage, l’économie circulaire, de fortes communautés locales, le Do It Yourself sont autant d’éléments mis en avant par le solarpunk.
Ce mouvement artistique a pris de l’ampleur au début des années 2010, pile dans la décennie qui a vu le prix du solaire chuter de manière exponentielle pour en faire aujourd’hui une énergie moins chère que le charbon et le pétrole. Une corrélation qui paraît évidente.
Son esthétisme prend un virage à 180 par rapport au cyberpunk. Pas de gratte-ciels sombres et déshumanisants gérés par d’avides megas corporations, mais des villes biomimétiques où l’architecture embrassent les formes naturelles et incorporent le végétal. Des fermes en permaculture ou verticales occupent les toits des immeubles et les parkings. Les rues sont parcourues par des transports en commun, des véhicules électriques et à hydrogène ou encore des bicyclettes. Et bien sûr, les panneaux solaires et l’éolien se mélangent aux paysages de façon harmonieuse.
Tout comme l’on trouve des incarnations de l’esthétisme cyberpunk dès aujourd’hui avec des villes comme Hong Kong, le Solar punk ne réside pas uniquement dans un futur imaginaire. Prenez ces quartiers à Singapour par exemple :
Ou le bosco verticale de Milan :
qui semblent tout droit sortis d’un album de concept art solarpunk. Côté fiction, on trouve des romans comme Ecotopia par Ernest Callenbach, Suncatcher d’Alia Gee. La ville de Wakanda dans Black Panther est un exemple “budget hollywoodien” de cet esthétisme, ainsi que certains films de Miyazaki. Ou cette pub pour du yaourt.
Activisme solarpunk
Mais au-delà de l’esthétisme, le solarpunk fait preuve d’activisme en revendiquant une nouvelle organisation socio-économique. Le capitalisme est pointé du doigt comme un acteur majeur des problèmes écologiques. Ce n’est donc pas surprenant de trouver des discours anti-capitaliste, anti-croissance, anti-consumériste ou encore anarcho-communiste mêlés au visuel solarpunk. C’est le côté punk du mot. Toutefois, pas besoin de rebooter la civilisation pour envisager un futur solarpunk. De nombreuses variantes existent plus ou moins radicale, mais qui mettent toutes, au final, l’accent sur une société où les gens et la planète sont prioritaires sur l’individu et le profit. Cela ne veut pas dire antagoniste, mais prioritaire. Selon cette vision du futur, fini les dérives de l’exploitation capitaliste non régulée qui résulte en externalités négatives, à la fois sociales et environnementales. Ce n’est pas l’idée que le monde va s’améliorer tranquillement en maintenant le statu quo. Si le capitalisme demeure dans un futur solarpunk, il a certainement évolué pour inclure en son cœur une harmonie écologique, une sobriété énergétique et la dignité humaine. Ou alors, il a été complètement remplacé.
Des idées proches de l’économie circulaire ou du donut de l’économiste Kate Raworth dont j’ai parlé dans cette vidéo. La dimension sociale est également importante en prônant une plus grande équité entre les citoyens et une meilleure redistribution des fruits de la civilisation. Le but étant de bâtir une société reposant sur des principes de justice proche de la philosophie de John Rawls avec son voile de l’ignorance… que je ne vais pas détailler, mais je vous invite à en apprendre plus sur cette expérience de pensée tout à fait remarquable.
On ajoute également à ce mélange une promotion de la culture hacker comme l’open source, la décentralisation et le do-it-yourself. Ainsi que du multi-ethnisme et multiculturalisme pour compléter la recette Solar Punk
Le solarpunk : une vision technologique et équilibrée pour l’avenir
Par contre, ce qui est clair c’est que ce n’est pas une vision low tech post-effondrement capitaliste de l’avenir. Le solarpunk n’est pas le monde des amishs avec quelques panneaux solaires où tout le monde chante kumbaya. Le high-tech y est omniprésent. Pour bâtir et maintenir ce genre de ville, on imagine bien qu’il faut des technologies plus avancées que ce que nous avons. Smart cities, Intelligence artificielle générale, robotique, automatisation, fermes verticales, super batterie, matière programmable et je pense même que la fusion nucléaire s’intègre parfaitement à cette vision de l’avenir. Mais le low-tech a tout à fait sa place également lorsqu’il fait sens. Les fours solaires sont proposés comme alternatives ou encore les composteurs biogaz. La permaculture, les forêts nourricières urbaines ou encore les climatiseurs terracotta pouvant refroidir un bâtiment de 6 degrés avec des matériaux simples et surtout sans consommation électrique.
Niveau transport, le solarpunk imagine le retour des dirigeables pour les vols à grandes distances qui seraient alimentés par des panneaux solaires. Plus lent, mais à plus faible impact environnemental. Tout comme pour le transport maritime.
La collaboration entre les individus pour former des communautés d’entraide est au cœur du solarpunk comme les jardins collectifs et les cafés de réparation où les talents des uns rencontrent les besoins des autres. Fini l’obsolescence programmée, si quelque chose ne fonctionne plus, il est préférable de le réparer plutôt que de courir acheter un remplacement.
Le solarpunk nous montre à quel point nous pouvons vivre en harmonie avec la nature dans une abondance mesurée. De nombreuses technologies et pratiques que le solarpunk imagine existent déjà : Solaire et autres énergies renouvelables, agriculture urbaine et communautaire, architecture et design organiques, électrification des transports.
Nous nous demandons généralement si les énergies renouvelables peuvent remplacer les combustibles fossiles. C’est une question importante, mais elle n’aborde pas les liens entre culture et énergie. Ainsi, pour aller plus loin, les auteurs et artistes du solarpunk se demandent “quel genre de monde émergera lorsque nous mettrons enfin un terme à notre dépendance aux énergies fossiles?” et leurs écrits, designs, blogs, concept art, musique et hashtags génèrent une réponse riche, variée, potentiellement contradictoire, mais assurément intrigante.
Enfin voilà, j’avais envie de partager les grandes lignes de cette sous-culture que certains d’entre vous connaissent sûrement déjà, et mieux que moi. Qu’en pensez-vous ? Est-ce qu’il y a des choses que j’ai oubliées ? Est-ce un futur qui vous semble désirable ?
- Et si l'avenir était protégé par un code secret.
- Solar Punk : une vision optimiste et durable pour le futur
- L'IA dans la science-fiction : dangers réels ou imaginaires ?
- Why This Gives Me Hope for the Future (ft. @Andrewism) - YouTube
- Solar Panels Plus Farming? Agrivoltaics Explained - YouTube
- Solarpunk - Wikipedia
- https://www.bbc.com/news/business-57761297
- Solarpunk Is Not About Pretty Aesthetics. It's About the End of Capitalism
- SOLARPUNKS
- Imagining a SolarPunk Future | Keisha Howard | TEDxOgden - YouTube
- Eat today, feed tomorrow - YouTube
- Explainer: ‘solarpunk’, or how to be an optimistic radical
- What is SolarPunk? - YouTube
- A Solarpunk Manifesto (English) – ReDes – Regenerative Design
- Solarpunk | Aesthetics Wiki | Fandom