Star Wars : Le réveil de la Force – Du déterminisme au jansénisme.
L’avenir…
Toujours en mouvement pour certains.
Déjà écrit pour d’autres.
Une chose ne change pourtant jamais. Du point de vue d’un individu, l’avenir reste avant tout un vecteur d’incertitude. Les événements futurs restent dans l’obscurité de cette incertitude, jusqu’à ce que ces derniers se dévoilent finalement en côtoyant le présent !
Bien entendu, il est toujours possible de se projeter en prenant en compte des éléments déjà observables et mesurables à notre échelle. C’est d’ailleurs précisément le but du collectif The Flares : imaginer de quoi demain sera fait, en observant avec attention ce qui fait du jour d’aujourd’hui ce qu’il est.
L’incertitude de l’avenir, va souvent de paire avec la notion de spiritualité, de religion et de philosophie. Il existe en effet de nombreuses manières de considérer et d’appréhender cette incertitude au travers de nos convictions personnelles.
On distingue ainsi plusieurs doctrines et écoles de pensées relatives à l’interprétation des événements et à l’appréhension de l’avenir.
Le déterminisme par exemple, appuie l’idée que tous les événements répondent avant tout à un principe de causalité. Une chose arrive, parce qu’une autre l’a provoquée, même indirectement. Cette mécanique est souvent décrite au travers de l’effet papillon. Un papillon bat des ailes dans un coin du monde, et son battement d’ailes provoque une suite d’événements, qui peut elle-même aboutir à des conséquences d’une ampleur supérieure.
Il est même tout-à-fait possible de faire le raisonnement inverse, en considérant que tout événement se doit d’exister, car son effet est une nécessité. C’est ce que l’on qualifie généralement de nécessitarisme. Une position philosophique qui appuie l’idée que tout ce qui existe, possède une nécessité intrinsèque au bon fonctionnement de l’univers. Cela inclut évidemment l’influence des événements sur cet univers.
Le fatalisme, appuie quant à lui l’idée que tous les événements sont écrits à l’avance. Cette doctrine privilégie donc le destin avant tout. Si on s’en tient à cette doctrine, on peut considérer que quelque soient nos décisions et nos actions présentes, notre avenir ne change pas. Il est déjà écrit et nous ne pouvons pas y échapper. Le fatalisme tend à remettre en question le principe même de la causalité. Même si un événement a lieu, il n’est pas la cause d’un effet futur, puisque l’avenir est déjà défini à l’avance.
Certaines religions apportent des nuances intéressantes sur la manière d’interpréter les événements et d’appréhender l’avenir.
On trouve par exemple la notion de providence, qui implique l’intervention d’une force supérieure. Cette force peut agir de manière ponctuelle sur les événements qui constituent l’existence d’un individu. Cet individu a néanmoins toujours la possibilité de réagir en conséquence. Le principe de causalité n’est donc pas totalement effacé derrière l’influence de cette force supérieure.
D’autres doctrines religieuses se montrent beaucoup moins nuancées sur le principe de causalité. Le jansénisme par exemple, met en avant l’idée que même si l’avenir n’est pas forcément prédéfini, l’action d’une force supérieure supplante celle de l’individu. En clair, l’individu ne peut pas échapper à la volonté de cette force supérieure. Quoiqu’il fasse ou qu’il tente d’accomplir au travers de ses actes, la force supérieure a toujours le dernier mot. La négation de la liberté humaine est donc l’un des piliers fondateurs du jansénisme. Un individu qui s’en remet pleinement à la volonté de la force supérieure, est un individu qui mérite son salut.
Mais alors, quel est le rapport entre tout ça… et le mythe de la saga Star Wars ?
Un mythe se fonde généralement sur l’évolution et l’accomplissement d’un héros au terme de son initiation. Selon l’origine du mythe, ce héros peut incarner une ou plusieurs idéologie(s) en particulier. Si l’on considère les mythes religieux comme celui de Jésus, Mahomet et Bouddha par exemple, on peut assez facilement considérer que chacun de ces mythes s’appuie avant tout sur l’idéologie spirituelle qu’il défend.
Cette considération peut paraître évidente, mais elle implique pourtant que l’interprétation des événements qui parsèment le chemin initiatique de ces personnages, dépend directement de l’idéologie spirituelle défendue. L’histoire de Jésus par exemple, fait avant tout partie intégrante du christianisme. On peut donc considérer que la providence, une notion que la religion chrétienne s’est largement appropriée, a effectivement sa place dans son histoire.
La puissance d’un mythe populaire comme celui de Star Wars, repose justement en grande partie sur la liberté de son interprétation philosophique et spirituelle.
Le mythe intègre néanmoins la présence d’un élu, et par extension d’une prophétie. Un élément dont l’interprétation doit être considérée avec la plus grande prudence. Pourquoi ? Parce que la simple présence d’une prophétie dans une histoire, peut remettre en question toute l’interprétation spirituelle et philosophique que l’on peut faire de cette histoire.
Beaucoup de gens ont par exemple accuser l’épisode 1 de mettre en place des éléments qui auraient pour conséquence de bouleverser l’interprétation du mythe de la saga.
À commencer par la présence des midi-chloriens qui tend à associer la Force à des considérations scientifiques. Cela n’empêche pourtant absolument pas de continuer à se demander ce qu’il y a au-delà de la science. Ce n’est pas parce que la science permet de mesurer certaines propriétés de la Force, que cette dernière se résume uniquement à ces propriétés. De la même manière, ce n’est pas parce que nous pouvons observer certaines propriétés de l’univers, que l’univers se résume uniquement aux propriétés que nous pouvons observer. La dimension spirituelle du mythe de la saga Star Wars, n’est donc pas annulée par la présence des midi-chloriens. La porte reste encore tout-à-fait ouverte à de multiples interprétations.
Le second élément principalement reproché à l’épisode 1 est le fait que Anakin ne possède pas de véritable père. Beaucoup de gens ont en effet pointé du doigt une symbolique religieuse évidente que l’on peut assez facilement associée à l’immaculée conception. Shmi Skywalker incarne une véritable vierge Marie, qui aurait enfantée seule Anakin, l’élu de la prophétie. Il faut bien avouer que la représentation est assez explicite. Mais la porte reste encore une fois tout-à-fait ouverte à de multiples interprétations.
Avant tout, rien ne permet d’affirmer avec certitude qu’elle dit la vérité à Qui-Gon. Anakin n’est pas présent à ce moment-là, mais s’il l’avait été elle n’aurait peut-être pas donné la même réponse à Qui-Gon. Cela remet en question l’honnêteté de Shmi, mais après tout… pourquoi pas ! Il y a au moins un millier de raisons qui pourraient la pousser à mentir sur ce point. Des plus personnelles aux plus intéressées.
Ensuite, rien ne permet d’affirmer que Anakin est un pur produit de la Force. Ce n’est pas parce qu’il a un taux anormalement élevé de midichloriens, qu’il a forcément été conçu par la Force elle-même. Une oeuvre de l’ancien univers étendu de Star Wars, propose même la possibilité que Anakin ait été créé à la suite de manipulations de la Force par le grand seigneur noir Darth Plagueis. L’ancien maître Sith de Palpatine. Vous pouvez choisir d’adhérer ou non à cette proposition, mais cet ouvrage prouve à lui seul, que malgré la représentation assez explicite de l’immaculée conception, l’interprétation spirituelle et philosophique reste entièrement ouverte.
On remarque néanmoins que la présence d’un élu et d’une prophétie, nous amène rapidement à atteindre un seuil critique dans la possibilité d’interpréter les événements qui constituent un mythe comme celui de Star Wars. Le moindre faux pas dans la construction du mythe, peut amener à imposer indirectement une interprétation ou une autre.
Le héros d’un mythe, est par nature déjà un élu en soi. Sa place dans le récit nécessite que cet individu soit perçu comme une exception, un cas unique au sein de l’environnement dans lequel il est amené à évoluer et à s’accomplir. Cette considération offre selon moi au spectateur de la saga Star Wars, la possibilité d’accepter l’idée que Anakin et Luke peuvent tous les deux à leur manière, incarner le véritable élu de la prophétie. La porte est là aussi tout-à-fait ouverte à de multiples interprétations.
Et c’est à ce moment-là que l’épisode 7 entre en jeu !
Plus particulièrement, le personnage de Rey…
L’épisode 7 nous présente Rey comme un héros exceptionnellement doué. Elle n’a visiblement pas (ou très peu) besoin de ses mentors et de ses alliés dans son aventure. Elle sait se sortir de toutes les situations. Elle s’accompli majoritairement grâce à ses aptitudes innées et non acquises… Bref !
Rey se positionne clairement comme si elle était le héros attendu depuis toujours au sein de la saga Star Wars. Beaucoup de gens la montre déjà comme le véritable élu de la prophétie.
L’élu dont la vocation est de ramener l’équilibre dans la Force.
À l’heure où cette vidéo sort, les épisodes 8 et 9 ne sont pas encore sortis en salles. Il est donc encore tout-à-fait possible que Rey ne soit finalement pas amenée à réussir au terme de son aventure. Elle pourrait en effet échouer totalement.
Le principal problème du personnage de Rey, est qu’il s’agit d’un héros qui ne rencontre presque aucune vraie difficulté au cours de son voyage. Contrairement à Anakin et Luke qui ont chacun à leur manière, traversé des obstacles au cours de leur initiation. Anakin passe même par une tragédie. Il court à sa perte, pour finalement obtenir sa rédemption des années plus tard grâce à son fils.
Si dans la suite de la nouvelle trilogie initiée par Disney, le personnage de Rey réussi au terme de son aventure, sans avoir traversé des obstacles et des difficultés au même titre que Anakin et Luke… alors sa présence dans la saga pourrait remettre complètement en question l’interprétation spirituelle et philosophique du mythe dans son intégralité. Surtout si au terme de cette aventure, elle parvient à concrétiser la prophétie !
Pourquoi sa présence dans la saga pourrait-elle remettre en question l’interprétation du mythe dans son intégralité ?
Tout simplement parce que le fait d’affirmer explicitement que Rey est le véritable élu, élimine toute possibilité de considérer Anakin et Luke au même titre. Jusqu’à présent, l’interprétation s’enrichie d’une certaine ambiguïté. Anakin est effectivement celui qui a été choisi. Le fameux “The chosen one” ! Mais il plonge pourtant la galaxie dans un désespoir quasi total. Luke n’a pas un statut d’élu équivalent à celui de son père, mais c’est pourtant en grande partie grâce à lui que la paix est de retour dans la galaxie. La liberté est donc laissée au spectateur de considérer Anakin ou Luke comme l’élu de la prophétie. Il est même tout-à-fait possible de considérer que la prophétie elle-même n’est pas réelle. Anakin et Luke ne sont que deux personnages qui, uniquement de part leurs actes, acquièrent d’eux-mêmes le statut d’individus exceptionnels.
Si le personnage de Rey s’affirme comme étant l’élu ultime, non seulement elle impose au public l’idée que la prophétie est bel et bien réelle, mais Anakin et Luke ne peuvent plus être considérés eux aussi comme des élus chacun à leur manière. Ils deviennent ni plus ni moins que de simples dommages collatéraux. Leur histoire à tous les deux n’a donc finalement plus qu’un seul véritablement intérêt : Celui d’amener Rey à accomplir la prophétie.
Une considération qui tend à imposer l’interprétation du mythe selon un point de vue bien spécifique, qui s’apparente davantage au nécessitarisme qu’au déterminisme. Voir même au fatalisme. Si on considère que tout ce qui nous est raconté entre les épisodes 1 et 6, n’a de sens que celui d’amener Rey à accomplir la prophétie, alors on peut se demander :
“Est-ce que tout était écrit à l’avance ?”
“Est-ce que Anakin devait échouer quoiqu’il arrive ?”
“Est-ce que Luke devait réussir à ramener son père ?”
“Est-ce que tous les choix de Anakin et Luke, n’avaient en réalité qu’un seul et unique objectif ?… Celui de préparer l’arrivée de Rey !”
Autrement dit :
“Est-ce que le libre arbitre de Anakin et Luke, n’était finalement qu’une illusion ?”
Le libre arbitre tient pourtant une place essentielle dans la saga. Anakin et Luke sont d’ailleurs tous les deux amenés à exercer leur libre arbitre pour remettre en question l’idéologie qu’ils servent. Si ce libre arbitre se révèle finalement n’être qu’une illusion… cette considération pourrait avoir d’énormes conséquences sur l’interprétation du mythe.
L’univers de Star Wars propose également une dimension spirituelle et religieuse clairement assumée. La force supérieure de Star Wars, ce n’est pas Dieu ou Allah, mais tout simplement La Force. Une entité qui s’apparente davantage au dieu de Spinoza. On est donc beaucoup plus proche du panthéisme, qui décrit Dieu comme un tout, faisant partie intégrante de tout ce qui existe. La Force dans Star Wars, est donc présentée comme une entité à priori neutre, dont l’équilibre dépend avant tout de ce que les individus décident d’en faire au travers de leurs actions.
Eeet, l’épisode 7 vient là aussi mettre son grain de sel…
À commencer par l’élément le plus élémentaire du film : son titre !
Absolument aucun film de la saga de George Lucas, ne mentionne directement la Force dans son titre. La menace fantôme, L’attaque des clones, La revanche des Sith, Un nouvel espoir, L’empire contre-attaque, Le retour du Jedi. Tous ces titres font avant tout référence à des concepts abstraits comme la menace ou l’espoir ; ou à l’action d’individus ou d’entités elles-mêmes formées de plusieurs individus, comme les clones, les Sith, l’empire et le Jedi.
L’épisode 7 est le premier film de la saga qui mentionne directement la Force dans son titre.
Non seulement la Force est mentionnée dans le titre, mais pas de n’importe quelle manière !
La traduction française officielle du titre c’est : Le réveil de la Force.
Mais en version originale le film s’intitule : The Force Awakens.
La traduction littérale de ce titre n’est donc pas “Le réveil de la Force”…
Mais plutôt “La Force se réveille”.
Ce qui fait théoriquement de la Force, une entité qui n’est plus neutre et passive, mais active et parti prenante. Comme pour les épisodes 1 et 4, on peut considérer cette mention comme une métaphore avant tout. Un concept abstrait qui ne doit pas forcément être interprété de manière concrète. Mais le problème, c’est que le film tend plutôt à prouver le contraire…
Le grand suprême leader Snoke déclare à Kylo Ren qu’il a senti un réveil dans la Force. Son disciple lui confirme qu’il l’a lui aussi ressenti, même si au fond, on ne peut pas savoir s’il dit la vérité à ce moment-là.
Ensuite, il se trouve que le hasard est omniprésent dans l’aventure du personnage de Rey. Elle tombe par hasard sur Finn, parce BB8 a reconnu la veste de Poe Damron. Une veste que Finn a comme par hasard, récupérée après le crash du chasseur Tie. Rey et Finn s’enfuient comme par hasard, à bord du Faucon Millenium. Han Solo retrouve comme par hasard, son vaisseau dans une galaxie. Rey trouve les commandes de fermeture des portes comme par hasard, pile au moment où elle en a besoin pour libérer Finn d’un Rathar. Rey se dévoile comme par hasard sur Starkiller. Comme par hasard, le sol se sépare entre Rey et Kylo Ren à la fin de leur duel. Comme par hasard R2-D2 retrouve Luke en mode deus ex machina à la fin du film.
L’omniprésence du hasard dans l’épisode 7, peut tout-à-fait être associable à l’intervention d’une force supérieure. Autrement dit, à la Force elle-même. Le fait que le film s’appelle littéralement “La Force se réveille”, tend à appuyer la véracité de cette interprétation. Mais si la Force est capable d’imposer elle-même son propre retour à l’équilibre, alors tous les personnages qui peuplent l’univers de Star Wars, n’ont finalement aucun réel impact sur ce retour à l’équilibre. Ce qui confirme encore davantage l’idée que Anakin et Luke ne sont finalement que de simples dommages collatéraux. Ce qui nous amène aussi à ne pouvoir admettre plus qu’une seule interprétation spirituelle du mythe : celle du Jansénisme.
La Force elle-même vient supplanter l’influence du libre arbitre de chaque personnage. Ce qui implique une parfaite négation de leur liberté d’agir. Quoiqu’ils fassent, la Force décidera finalement de retrouver son équilibre par l’intermédiaire de Rey.
Autant vous dire, qu’il ne vaut mieux pas que Rey se révèle être l’élu ultime.
Celui annoncé par la prophétie.
Si tel est le cas, l’interprétation philosophique et spirituelle du mythe de la saga, pourrait en prendre un sacré coup !
Cela n’empêche pas pour autant Rey d’accomplir de grandes choses bénéfiques pour la galaxie. À condition qu’elle traverse des difficultés au moins aussi importantes que Anakin et Luke, et que l’exercice de son libre arbitre puisse avoir un impact décisif dans la poursuite de son accomplissement.
Enfin, gardons également à l’esprit que Rey peut aussi tout-à-fait traverser une tragédie comme celle de Anakin. L’omniprésence du hasard dans son aventure, pourrait justement constituer l’une des clés essentielles de cette tragédie. Le principe de la tragédie repose en effet sur l’idée d’amener un héros à se confronter à la fatalité où à une force supérieure qui l’amène finalement à sa propre perte.
Toujours est-il que la tragédie de Anakin ne repose pas sur l’accumulation du hasard, mais avant tout sur la présence d’une figure mentorale malveillante : Palpatine. Un choix de la part de George Lucas, qui permet selon moi d’éviter d’associer directement la Force, à la tragédie de Anakin. Mais ça c’est un tout autre débat…
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