Biotechnologies et animalisme : une révolution pour le vivant

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Biotechnologies et animalisme : une révolution pour le vivant
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Introduction à David Pearce et sa vision avant-gardiste

Il arrive parfois que l’on rencontre des idées inhabituelles, hors norme et avant-gardiste. C’est un peu ce que j’ai ressenti lorsque j’ai découvert le philosophe britannique David Pearce. Il me semble être tout droit sorti du 24e siècle.

Il plaide non seulement pour éradiquer la souffrance humaine autant qu’il soit technologiquement possible, mais il va un cran au-dessus. Ou plutôt 10 crans au-dessus. Selon lui, notre responsabilité morale doit s’étendre à tous les organismes sentients. Ce qu’il nomme le projet abolitionniste.

Avant de conclure que c’est vol au-dessus d’un nid de coucou, laissez-moi le temps de décortiquer ce qu’il veut dire par là. Je vous invite déjà à regarder la première partie que nous avons produite sur cette thématique. Elle se focalise sur l’utilisation des biotechnologies pour atténuer progressivement la souffrance humaine. Ce que j’ai appelé sans aucune envie d’être accrocheur, du techno-bouddhisme.

Nous allons explorer la deuxième partie de la vision du projet abolitionniste. Toujours en compagnie de David Pearce lui-même.

Avant de commencer, je pense qu’il est important de faire un petit prélude philosophique pour cerner correctement ce qui sert de fondation au projet abolitionniste.

Les fondements philosophiques du projet abolitionniste

David Pearce est un philosophe qui souscrit à une éthique centrée sur la souffrance. C’est -à -dire que lorsqu’on considère si quelque chose est bien ou mal, cette chose doit avoir un lien avec la souffrance. Par exemple, est-ce que c’est bien ou mal de casser un caillou en deux ? Ça n’a aucune importance puisque les cailloux ne ressentent rien. Est-ce que c’est bien ou mal de casser la patte d’un chien ? C’est mal, car les chiens ressentent la douleur.

Mais pour certaines personnes, ça reste un avis subjectif. Pourquoi la souffrance devrait être la base de la moralité plutôt que le plaisir par exemple. Si une personne ressent énormément de joie en cassant la patte d’un chien, ne devrait-il pas poursuivre sa passion sadique ? On voit bien que c’est une proposition problématique, mais le relativisme moral nous dit que tout jugement moral est fondamentalement subjectif.

Contrairement à cette position, David Pearce est réaliste moral, c’est-à -dire qu’il pense qu’il y a des vérités morales tout comme il existe des vérités scientifiques. Pour lui, dire que la souffrance est mal n’est pas du tout un avis, c’est aussi vrai que 2+2=4.

L’Éthique centrée sur la souffrance repose implicitement sur un autre concept moral appelé le sentiocentrisme. Un mot à coucher dehors qui veut simplement dire que seuls les êtres sentients possèdent une valeur morale, et sont donc inclus dans notre sphère de considérations éthiques. La sentience est la capacité d’éprouver des expériences subjectives, même primitives. Ainsi, selon cette vue, l’environnement en lui-même n’a aucune valeur morale. Ce n’est que parce qu’il est important pour le bien être des organismes sentients que l’on peut souhaiter le préserver.

David Pearce souscrit également à une position philosophique appelée l’utilitarisme négatif.

Notre obligation morale primordiale est donc de minimiser et prévenir la souffrance autant que possible et ce que j’aime avec sa pensée, c’est qu’il va vraiment au bout des implications qu’elle engendre, notamment sur la partie “autant que possible” !

Donc voilà pour le jargon philosophique, mais je pense que c’est important pour poser les bases.

Étendre la compassion aux animaux sentients

Dans la première partie, nous nous sommes focalisés sur les humains. Si nous réussissons à réduire significativement la biologie de la souffrance, nos descendants vivront des vies animées par des gradients de bien être radicalement supérieur aux nôtres. Mais des critiques pourraient pointer que c’est très anthropocentrique. La souffrance n’est pas que l’affaire des humains.

Déjà, comment pouvons-nous être sûrs que les animaux souffrent ? Pourquoi ne pas prendre au sérieux la proposition du philosophe du 17e siècle, René Descartes, qui pensait que seuls les humains peuvent souffrir. Les animaux ne sont que des objets mécaniques. Pour lui, dire qu’un chien souffre parce qu’il gémit lorsqu’on le dépèce vivant, c’est comme dire qu’une bouilloire souffre lorsqu’elle siffle au moment de l’ébullition de l’eau. C’est pourquoi ça ne le gênait pas de dépecer des chiens vivants.

Aujourd’hui, peu de personnes partagent ce point de vue. Après tout, il serait quand même étonnant si parmi les millions d’espèces animales présentent sur Terre, homo sapiens soit la seule à expérimenter la souffrance.

Bien qu’il soit difficile d’avoir des preuves empiriques sur les états de conscience subjectives en général, on peut raisonner par analogie. Si un animal réagit à un stimulus comme le fait un humain, il est probable qu’il ait eu une expérience analogue. Plus un organisme possède une biologie proche d’un humain, plus il aura des fonctions similaires. Or de nombreux animaux partagent des mécanismes nociceptifs similaires à ceux des humains, ont des zones cérébrales impliquées dans le traitement de la douleur et présentent des comportements similaires face à la douleur. De quoi pencher la balance vers le fait qu’ils aient la capacité de souffrir.

Beaucoup de personnes acceptent que les grands mammifères soient sans aucun doute capables de ressentir la souffrance. Les petits rongeurs également. Mais nos intuitions s’arrêtent souvent aux invertébrés ? La souffrance d’une fourmi est un concept trop étrange. Où tracer la frontière de la sentience ?

Les centaines de gènes responsables de la souffrance sont peut-être apparus très tôt dans l’évolution des organismes sexués. Si c’est le cas, alors ils se sont transmis tout au long de l’arbre phylogénétique. C’est une conclusion vraiment déconcertante, car cela multiplie significativement le niveau de souffrance dans le monde.

Autrement dit, la souffrance est absolument partout. Si on pouvait la voir à l’œil nu, on serait aveuglé. Des gens qui souffrent en silence de dépression dans la rue, au petit oiseau tombé de son nid destiné à mourir de faim ou être dévoré, les 70 milliard d’animaux terrestres par an torturé pour finir dans nos assiettes, les chats qui s’amusent avec les souris vivantes et les insectes qui sont dévorés de l’intérieur par la progéniture d’autres espèces. Le monde est d’une immense cruauté, un horror show que même Stephen King n’aurait pu concevoir.

Face à cette abjecte terreur que j’ai du mal à contempler pendant très longtemps sans ressentir un immense mal-être, nous avons un impératif moral de rechercher des façons de l’atténuer.

On pourrait poser cela sous forme de question. Est-ce que le monde serait meilleur si la souffrance était plus faible ? Si vous pensez que non, votre position est qu’il y a juste le bon niveau de souffrance ou alors pas assez. Si comme moi, vous pensez que la réponse est oui, alors la suite est de mettre en place une feuille de route pour réduire la souffrance.

Le premier endroit où une action immédiate est requise est l’élevage industriel. Je ne vais pas m’étendre en profondeur sur ce sujet et transformer cette vidéo en un plaidoyer végan. Ça va aliéner plus de monde que nécessaire et je tiens à présenter les autres aspects du projet abolitionniste. Mais c’est évident que l’exploitation animale actuelle est une des plus grandes tragédies morales de notre époque et sera probablement sévèrement jugée comme abjecte par nos descendants.

Malheureusement, la plupart des gens sont apathiques vis-à-vis de la souffrance animale ou alors au mieux, incohérents. Lorsqu’un footballeur shoot un chat dans sa cuisine, c’est l’indignation nationale. Par contre il n’y a plus grand monde lorsqu’il s’agit de ne serait-ce que de regarder ce qu’il se passe dans les abattoirs et fermes industrielles. Moins on en sait, mieux on se porte comme dit l’adage. Pourtant, la différence entre un cochon et un chat est inexistante d’un point de vue sentience, et donc moral.

Doit-on attendre une révolution technologique pour catalyser une révolution morale ? C’est bien possible avec l’agriculture cellulaire.

Nous avons un contrôle sur les animaux domestiques, donc nous pouvons réduire leur souffrance si nous le souhaitons. Quand est-il de la vie sauvage ? Assurément, bien que le degré de souffrance y soit faramineux, nous ne pouvons rien y faire. Et bien pas si vite en besogne.

Étendre la compassion à la nature et reprogrammer les prédateurs

Il existe 4 plans d’action vis-à-vis de la biosphère :

  • Remise à l’état Pléistocène : La restauration d’une grande partie de la planète dans son état avant l’impact humain.
  • Le statu quo : essentiellement une extension de la biologie de conservation existante avec des parcs nationaux, etc. sans tenir compte du bien-être subjectif des individus, juste de la santé abstraite des espèces et des écosystèmes.
  • La conservation compatissante : Étendre le cercle de compassion à tous les êtres sentients vivants en liberté par des interventions ciblées.
  • Extinction de la vie : Pas de vie, pas de souffrance, problème réglé.

David Pearce plaide pour la 3e solution. Depuis l’apparition des outils d’édition génomique comme CRISPR CAS9, il est possible de transmettre un gène avec quasi-certitude par reproduction sexuée. Ce qui est appelé gene drive ou en français forçage ou guidage génétique.

En ciblant les petits animaux à reproduction rapide, il sera possible de répandre très rapidement les traits génétiques de résistance à la douleur parmi une population. Pour les grands mammifères, cela prendra plusieurs décennies. Si tous les individus sentients de la biosphère terrestre possèdent une haute résistance à la douleur, le niveau général de souffrance dans le monde sera plus faible, et c’est une bonne chose si l’on souscrit à l’éthique centrée sur la souffrance.

Peut-on aller plus loin ? Oh que oui. La nature est cruelle. La famine, le parasitisme et la prédation sont des réalités aussi inévitables que les lois de la thermodynamique. La vie darwinienne est basée sur des organismes qui se font du mal. Une minorité d’activistes se soucient de la souffrance des animaux sauvages. Mais l’idée que des êtres sentients de toutes espèces puissent s’épanouir sans se faire du mal semble désespérément utopique.

On a tendance à trouver la nature romantique. Les tigres, lions, loups, léopards, ces carnivores charismatiques font la une des documentaires animaliers. On les trouve majestic, même lorsqu’ils dévorent leur proie vivante ou les asphyxient pendant de longues minutes d’agonie. Si l’humanité poursuit un projet d’atténuer la souffrance sur la planète, la question des grands prédateurs devra être soulevée. Et les solutions sont, pour beaucoup de personnes, encore plus drastiques que le forçage génétique du gène SCN9A. Pour faire simple, une idée est de véganiser les grands carnivores par reprogrammation génétique et viande cellulaire. Hein quoi ?

Pour beaucoup, un lion végan n’est pas vraiment un lion. Nous arrivons ici au nœud du problème : la prétendue sacralité du terme « naturel ». Si une créature, de par sa nature même, cause de terribles souffrances, est-il moralement répréhensible de changer cette nature ?

Prenons une créature que nous connaissons bien : L’être humain. Nous sommes une espèce naturelle. Pendant des centaines de milliers d’années, nous avons maintenu des comportements qui, aujourd’hui, conduisent tout droit à la prison à vie. Le viol, le meurtre, les infanticides. Peu de gens sacralisent les aspects naturels d’homo sapiens. Au contraire, nous cherchons à nous domestiquer au fil des générations par des mesures sociopolitiques, éducatives, et autres afin de minimiser la souffrance que l’on s’inflige.

Si l’on pousse la logique d’atténuer les souffrances dans le monde vivant, nous devrons sérieusement envisager une forme de domestication de masse, quitte à supprimer les comportements jugés naturels des espèces charismatiques. Après tout, il y a 100 000 ans, aucun loup ne pouvait s’asseoir près d’un Felis catus pendant 2 minutes sans lui croquer la tête. Aujourd’hui, des millions de familles possèdent un chien et un chat sans que ça se termine en tête croqué.

Là aussi, la révolution CRISPR change la donne. Si nous acceptons la responsabilité d’une gestion compatissante de la biosphère, alors oui, les prédateurs devraient être modifiés génétiquement et comportementales afin qu’ils ne terrorisent plus, n’éventre et n’asphyxient plus leurs victimes. Cependant, tant que les humains maltraitent et tuent systématiquement des milliards d’êtres sentients, il est naïf d’imaginer que notre espèce aidera de manière globale les animaux sauvages.

Qu’en est-il de l’explosion démographique incontrôlée qui suivrait la fin de la prédation ?

Face à un tel projet, il n’est pas déraisonnable de réagir avec effroi. Après tout, l’humanité n’a pas un très bon dossier scolaire lorsqu’il s’agit d’intervenir dans la nature. Je n’ai pas trop de mal à deviner que certains d’entre vous sont horrifiés par l’idée de modifier génétiquement tout l’écosystème, même si c’est pour une raison louable comme réduire la souffrance dans le monde.

Toutefois, ce qui paraît grotesque et inconcevable peut devenir la norme quelques siècles plus tard. Les révolutions morales ont eu lieu à travers l’Histoire. La France brûlait vif les homosexuels au 13e siècle. Aujourd’hui, ils peuvent se marier en toute légalité. Qui l’aurait cru ? Et personne n’aimerait retourner à l’ancien système médiéval… enfin j’espère.

D’autres n’ont pas nécessairement d’objection morale, mais pensent tout simplement que ce sera techniquement impossible. Deux catégories d’objections qui sont tout à fait compréhensibles aujourd’hui, mais qui sont difficiles à maintenir sur plusieurs millénaires. Autrement dit, gardons notre esprit ouvert sur ce que feront nos descendants en l’an 3000.

On en vient presque à se demander : si l’humanité acquiert un pouvoir quasi divin sur le monde, doit-on agir comme des Dieux ? Notamment sur l’aspect de la bienveillance, pilier des religions monothéistes. Et il est intéressant de faire le lien avec nos plus anciennes traditions éthiques. L’Ancien Testament : “Le loup et l’agneau mangeront ensemble” jusqu’au bouddhisme :“Que tous ceux qui ont la vie soient délivrés de la souffrance”. Aujourd’hui, nous avons juste à finaliser les détails techniques pour accomplir ces souhaits.

Est-ce que ça pourrait mal tourner ? Absolument, c’est presque garanti.

D’immenses défis diplomatiques nous attendent également avant que l’humanité ne s’accorde collectivement sur les principes de base d’une gestion éthique des écosystèmes. Les écosystèmes ne respectent pas les frontières des États-nations, et le forçage génétique non plus. Minimiser à moindre coût et efficacement les souffrances inutiles dans la nature mérite de faire l’unanimité, même parmi les personnes moralement apathiques. Transformer la planète en un parc national géant n’est pas une décision à réserver à une poignée de personnes.

N’oublions pas que ce n’est pas un projet pour la fin du siècle. Plutôt pour les 10 000 prochaines années. Mais on peut d’ores et déjà peser le pour et le contre, améliorer nos considérations éthiques sur la base d’arguments solides et faire évoluer le discours, car le plus gros défi ne sera probablement pas technique, mais sociologique.

Un fait terrible, mais autrefois inévitable de la vie organique devient une question de choix moral qu’une seule espèce devra considérer.

Plus notre pouvoir sur le monde grandit, plus nous avons de responsabilités morales sur ce qui nous entoure. Après tout, lorsque des gens s’opposent à l’éradication d’une forêt, c’est bien, car cela va créer beaucoup de souffrance pour les animaux. Mais si nous avons des outils capables d’empêcher les animaux de souffrir, et que nous choisissons de ne pas les utiliser, est-ce immoral ? L’inaction est un acte en elle-même, ou en tous cas, possède des conséquences. De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités comme le dit oncle Ben, mais cela implique également une grande complicité.

En affirmant qu’on ne devrait pas chercher à réduire la souffrance dans le monde vivant, on doit accepter les conséquences morales de cette inaction. A limiter volontairement notre cercle de compassion.

David Pearce est l’invité de notre podcast “Humain, Demain” lors d’une longue conversation de près de 2h. Incluant l’impératif hédonique, le projet abolitionniste, mais également la conscience, le futur de l’humanité, le transhumanisme, et autres questions philosophiques et futuristes.

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