La chronologie du futur lointain : repenser les horizons temporels

Partie 1/3 de la série Longtermisme
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Longtermisme
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La chronologie du futur lointain : repenser les horizons temporels
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Si la saga de l’humanité était un roman, serions-nous à sa toute première page ?

La civilisation sera-t-elle toujours présente dans un milliard d’années ? Vous doutez peut-être du fait que notre espèce puisse survivre très longtemps, encore moins que nous vivrons un jour sur d’autres planètes, ou que la vie de nos descendants puisse être bien meilleure que la nôtre dans le futur lointain.

Mais pour dépasser de simples intuitions, est-il possible de cartographier le potentiel de l’humanité de la façon la plus précise possible ?

Il ne s’agit pas de déterminer le futur le plus probable de la civilisation ou de faire des prophéties, mais simplement de considérer la taille quantitative et qualitative de ce qui est à notre portée. Ainsi, par potentiel, nous entendons le périmètre de l’espace des possibilités incluant tous les embranchements des scénarios futurs.

Notez que “l’humanité” ne signifie pas seulement Homo sapiens, mais inclut nos héritiers possibles. Tout comme nous avons eu des ancêtres appartenant à des espèces différentes, nos successeurs pourraient ne pas se considérer comme “humains”. L’ingénierie génétique, l’intelligence artificielle et l’évolution darwinienne sont autant de facteurs susceptibles d’altérer les générations futures. Mais ils sont quand même inclus dans notre futur potentiel tant qu’ils possèdent un statut moral, et qu’il existe un lien causal. C’est-à-dire qu’ils n’existeraient pas si on venait à disparaître prématurément.

Le terme civilisation d’origine humaine est également pertinent.

Afin d’établir ce potentiel, considérons trois dimensions.

Longévité du futur lointain

La plupart des livres et documentaires historiques englobent une période d’environ 5 000 ans : de l’invention de l’écriture à aujourd’hui. Mais l’histoire de la civilisation n’est qu’une petite fraction du temps qui s’est écoulé depuis l’évolution d’Homo sapiens en Afrique il y a environ 300 000 ans [1] Découverte des plus anciens fossiles d’Homo Sapiens – Article National Geographic. Si le fait de connaître notre âge est utile, nous est-il possible d’estimer notre longévité ? Sommes-nous plus proches du début ou de la fin de l’Histoire humaine ? C’est la première dimension qui nous intéresse.

Commençons par une comparaison. La durée de vie moyenne d’une espèce mammalienne est d’environ un million d’années [2]Les estimations de la durée de vie moyenne des espèces de mammifères vont de 0,6 million d’années (Barnosky et al., 2011) à 1,7 million d’années (Foote & Raup, 1996). Cela nous donne un ordre de grandeur pour estimer notre longévité.

Mais n’oublions pas qu’Homo sapiens n’est pas un mammifère comme les autres. En tant qu’espèce intelligente et technologique, nous avons développé des outils, méthodes, cultures, et capacités qui nous rendent bien plus adaptables. La civilisation pourrait survivre au moins aussi longtemps que la Terre est habitable, c’est-à-dire probablement encore 600 millions à plus d’un milliard d’années [3]Le futur de la Terre – Article Wikipedia. Une durée significativement plus longue qu’une espèce mammalienne typique. Ce qui nous placerait aujourd’hui non pas au début de l’Histoire, mais à ses balbutiements.

Et ce n’est pas tout. Plus le progrès technologique se développe, plus nos capacités sur le monde s’élargissent. Grâce à des projets d’astro-ingénierie, la Terre pourrait ainsi rester habitable au-delà de sa fin présumée et la civilisation pourrait se propager dans la galaxie et l’univers observable. Il n’y a actuellement aucun obstacle connu à l’expansion spatiale et on en voit déjà les prémisses depuis la moitié du XXe siècle [4]Histoire de l’exploration spatiale – Article National Geographic.

Si l’habitabilité de la planète Terre n’est plus le seul critère sur lequel repose notre existence, nous pourrions alors survivre à sa disparition. Il y a des centaines de milliards d’étoiles dans notre galaxie, et des milliards de galaxies à notre portée dans l’univers observable [5]The Edges of Our Universe, (Ord, 2021). Une civilisation interstellaire pourrait ainsi survivre jusqu’à la fin de l’ère stellifère [6]Les 5 époques de l’Univers – Article Wikipedia, de l’ordre de dix trillions d’années [7]The Five Ages of the Universe: Inside the Physics of Eternity, (Adams & G. Laughlin, 1999). , voire des quintillions d’années, grâce à l’énergie des trous noirs pendant les dernières époques de l’univers. Cela représente plusieurs trillions de fois l’histoire de la lignée des Hominidés sur Terre.

Nous sommes donc devant une conclusion quelque peu étonnante : nous ne sommes peut-être qu’au stade embryonnaire de notre histoire.

Une durée de vie faramineuse qui laisse perplexe. En effet, comment ne pas froncer les sourcils face à une telle estimation ? Toutefois, aucune probabilité n’est attribuée à ce raisonnement et les nombres précis ne sont pas importants en soi. Notre longévité est déterminée par nos actions, plus que par la durée permise par les lois de la physique. Il n’est donc pas garanti que la civilisation bénéficie d’un très long futur, mais nous ne pouvons pas totalement exclure cette hypothèse, ni ce que ça implique moralement.

Taille de la population

La longévité potentielle de la civilisation d’origine humaine nous permet de faire une déduction évidente : le nombre astronomiquement large des générations futures. Il s’agit de la deuxième dimension permettant de poser les bases de notre potentiel.

Presque tous les humains de l’histoire totale ne sont pas encore nés. Nous pourrions avoir un nombre faramineux de descendants, avec le temps, les ressources, la sagesse et l’expérience nécessaires pour créer des merveilles inimaginables. On parle de 10^20, 10^30 individus [8]Astronomical Waste, (Bostrom, 2003) – The Case for Strong Longtermism, (Greaves, MacAskill, 2021, p. 8).  , un nombre qui varie largement selon les scénarios. Bien sûr, être précis est impossible et ce n’est pas nécessaire, il s’agit surtout d’estimer un ordre de grandeur possible de la taille de la population. Ce nombre pourrait être encore plus important si la conscience existait sur un support informatique. Premièrement, car les êtres numériques sont en principe moins fragiles que des êtres biologiques lors de voyages intersidéraux. Deuxièmement, ils pourraient vivre dans une plus grande variété d’environnements et se dupliquer ou se reproduire plus rapidement [9]Sharing the World with Digital Minds, (Shulman, Bostrom, 2020) – The age of Em (Hanson, 2016).

Toutefois, il est peu probable que nos intuitions soient suffisamment sensibles à ces ordres de grandeur. Lorsque les nombres deviennent suffisamment grands, ils ont tendance à tous se ressembler. Mais derrière ces chiffres se trouvent les êtres issus des enfants de nos enfants. Ceux qui porteront la flamme de la conscience et de la civilisation dans un univers où ces éléments sont peut-être d’une extrême rareté. On peut également se demander si l’épanouissement est important dans l’univers ? Autrement dit, est-il préférable que l’univers soit rempli de plus de vies heureuses plutôt que de moins ? Si l’on penche pour un univers florissant, alors le vaste nombre de descendants potentiels est hautement désirable.

D’autant plus qu’ils auront probablement davantage d’options pour explorer le paysage des expériences positives. Ce qui nous amène à la dernière dimension.

Qualité de vie

La survie à travers ces vastes échelles de temps n’est souhaitable que si les vies futures valent la peine d’être vécues. Les souffrances physiques et mentales, la maladie, la pauvreté, le manque de ressources de subsistance, la cruauté et bien d’autres maux sont autant d’afflictions qui restreignent et tronquent notre qualité de vie. Peut-on vraiment affirmer que nous n’arriverons jamais à réduire ces tourments ? Notre histoire récente tend à prouver le contraire [10] Histoire de l’amélioration des conditions de vie – Article Our World in Data et bien que le chemin soit encore long, on peut admettre que de nombreuses expériences négatives pourraient être résolues sur des échelles de temps considérables.

Une vie exempte de la plupart des souffrances et tragédies qu’un humain peut expérimenter aujourd’hui serait de bien meilleure qualité. Mais ce n’est que la limite inférieure de l’échelle qualitative d’expérience. Nous avons un aperçu de l’échelle supérieure pendant les meilleurs moments de la vie : la beauté, l’amour, l’art, l’aventure, le plaisir, les connaissances ou la félicité. Des moments durant lesquels nous sommes vraiment éveillés. Ces moments, aussi brefs soient-ils, indiquent des sommets possibles d’épanouissement bien au-delà du statu quo. Existe-t-il alors une limite aux expériences positives ?

Tout ce que vous trouvez précieux pourrait être multiplié par plusieurs ordres de grandeur. Peut-être que l’univers nous réserve également une myriade de beautés dont nous n’avons encore pas les sens pour les apprécier. Nous pourrions découvrir de nouvelles catégories d’émotions positives. Certains philosophes parlent d’espace des esprits possibles. Les animaux n’en occupent qu’un petit coin, les humains modernes une plus grande superficie, mais il existe tout un paysage d’expériences possibles qui nous est encore inaccessible. Ce ne sera probablement pas le cas pour nos descendants. La différence de qualité de vie entre une version corrigée de notre monde actuel et le meilleur avenir possible peut être comparée à la différence qui existe entre une dépression et la joie de vivre. Mais ce serait plutôt comme la différence entre être endormi et être éveillé, entre une gouttelette et un océan. Ces trajectoires positives sont parfois réunies sous le terme d’espoirs existentiels [11]Existential Risk and Existential Hope: Definitions (Cotton-Barratt, Ord, 2015).

Pour faire simple, nous ne savons pas à quel point la vie d’un être conscient pourrait être sublime et par opposition, à quel point elle pourrait tendre vers le négatif. Il est donc crucial d’empêcher les pires scénarios conduisant à des vies abominables, parfois appelés “risque de souffrance astronomique”.

Bien que des spéculations soient inévitables, cette réflexion nous amène à conclure que le potentiel de l’humanité est incommensurable. Notons que, même en étant très conservateur par rapport à notre potentiel et en rejetant les aspects les plus “science-fiction” de la réflexion, il n’en demeure pas moins vrai que le futur pourrait être vaste. Par exemple, sans expansion spatiale ni conscience numérique, la civilisation pourrait s’attendre à une longévité équivalente à la moyenne mammalienne, peuplée par des trillions de personnes profitant de vies très désirables.

Face à ce potentiel, on réalise à quel point le futur est précieux et l’immense perte qui pourrait en résulter si nos actions réduisaient radicalement la taille et la qualité de l’avenir.
C’est ainsi que des chercheurs et des philosophes ont réuni ces réflexions sous le nom de longtermisme.

Il s’agit d’un point de vue éthique qui souligne l’importance cruciale d’influencer positivement l’avenir à long terme. Ce paradigme ne prétend pas savoir quel sera l’avenir de l’humanité, ni même les trajectoires les plus probables. Ce qui compte, c’est que l’avenir pourrait être très large dans sa diversité, durer très longtemps, inclure un très grand nombre d’individus ayant des expériences sublimes ou horribles et, enfin, que nos actions peuvent façonner certaines trajectoires de ce vaste potentiel.

Dès lors, quelle relation devons-nous avoir avec notre lointain futur ? La possibilité de notre large potentiel n’a-t-elle aucune importance aujourd’hui ? Ou au contraire, rend-elle notre époque incroyablement précieuse ? Est-il seulement possible d’influencer les milliards d’années à venir ?

Nous allons explorer ces questions et bien d’autres dans la suite de cette série.

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References

References
1 Découverte des plus anciens fossiles d’Homo Sapiens – Article National Geographic
2Les estimations de la durée de vie moyenne des espèces de mammifères vont de 0,6 million d’années (Barnosky et al., 2011) à 1,7 million d’années (Foote & Raup, 1996)
3Le futur de la Terre – Article Wikipedia
4Histoire de l’exploration spatiale – Article National Geographic
5The Edges of Our Universe, (Ord, 2021)
6Les 5 époques de l’Univers – Article Wikipedia
7The Five Ages of the Universe: Inside the Physics of Eternity, (Adams & G. Laughlin, 1999).
8Astronomical Waste, (Bostrom, 2003) – The Case for Strong Longtermism, (Greaves, MacAskill, 2021, p. 8). 
9Sharing the World with Digital Minds, (Shulman, Bostrom, 2020) – The age of Em (Hanson, 2016)
10 Histoire de l’amélioration des conditions de vie – Article Our World in Data
11Existential Risk and Existential Hope: Definitions (Cotton-Barratt, Ord, 2015)
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