Peut-on anticiper l’évolution de la technologie avec le biomimétisme ?

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Peut-on anticiper l'évolution de la technologie avec le biomimétisme ?
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On entend beaucoup de spéculation sur les technologies du futur. Allant de la science-fiction fantaisiste à des estimations éclairées. Mais est-il possible de faire mieux que ça ?

Il se trouve qu’il existe des méthodologies pour anticiper ce que le futur nous réserve.

Les lois de la physique et leur implication dans les technologies

Nous savons une chose qui nous sert de point de départ: les technologies sont conditionnées par les lois de la physique. Autrement dit, en enquêtant sur les implications des lois de la physique, nous pouvons en dérivé des techniques d’ingénierie qui produisent des technologies plausibles.

La science et l’ingénierie sont deux disciplines qui partagent des caractères, mais sont fondamentalement différentes. Le but de la science est de produire des connaissances alors que celui de l’ingénierie est de concevoir des objets fonctionnels.

La science utilise le monde physique pour produire des modèles conceptuels. L’ingénierie fait l’inverse, en partant de concept, design, modèle pour produire des systèmes physiques.

La science cherche à exclure toutes les alternatives pour trouver une seule solution expliquant un phénomène. Alors que pour l’ingénierie, plus il y a d’alternatives, mieux c’est afin de tester différentes options d’un système ou produit.

De là, deux questions se posent. Une question scientifique: Que peut-on découvrir ?

Et une question d’ingénierie: Que peut-on faire ?

Ces deux questions sont liées à une période temporelle. La question scientifique dépend des instruments de mesure d’une certaine époque. Avec de meilleurs télescopes, microscopes, etc, on dévoile plus de choses sur la réalité. En effet, il était très difficile pour les anciens Égyptiens de comprendre que les épidémies sont causées par des organismes microscopiques.

La question d’ingénierie dépend de l’industrie en place permettant de fabriquer des choses. Même en sachant qu’il est possible de fabriquer des nanomatériaux, il faut les machines pour le faire à une échelle de masse et être compétitif sur un marché économique.

En combinant ces deux questions, on obtient ce que l’ingénieur américain Eric Drexler appelle l’ingénierie exploratoire dont j’ai déjà parlé brièvement dans de précédentes vidéos. Après avoir vu une conférence qu’il a donnée sur le sujet, je me suis dit que ce concept méritait d’être décortiqué un peu plus en détail.

Explorer les capacités permises par les lois de la physique

L’ingénierie exploratoire pose donc une nouvelle question: quelles capacités sont permises par les lois de la physique ?

Cette question dépend en partie d’une période temporelle, c’est-à- dire l’état de notre compréhension de la réalité à une époque donnée. Mais ce n’est pas simplement une tentative de prédiction du futur. Car on peut voir le potentiel de la technologie comme étant intemporel. Il sera le même dans 10 000 ans qu’il ne l’était il y a 1 million d’années. Les lois de la physique sont universelles.

Ce qui veut dire que n’importe quelle espèce intelligente technologique dans l’univers, passé et futur, a accès à ce potentiel de technologie possible. Un peu comme une urne où chaque boule représente une technologie pour reprendre l’analogie du philosophe Nick Bostrom.

Il existe des différences évidentes entre l’ingénierie conventionnelle et l’ingénierie exploratoire. La première a pour but de concevoir des objets, produits ou systèmes alors que l’ingénierie exploratoire fournit une connaissance potentielle. L’ingénierie conventionnelle repose sur la capacité à fabriquer physiquement un objet à partir d’un design, dans une usine par exemple. Mais l’ingénierie exploratoire est contrainte par la nécessité d’avoir une modélisation valide d’un système qui pourrait être fabriqué. En un sens, l’ingénierie exploratoire ressemble plus à la science qu’à l’ingénierie conventionnelle.

S’inspirer de la nature pour découvrir de nouvelles technologies

Une façon de savoir ce qui est possible est de regarder les fruits de la nature en faisant du biomimétisme. L’idée centrale est que la nature a déjà résolu bon nombre des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Les animaux, les plantes et les microbes sont des ingénieurs qui, après des milliards d’années de recherche et de développement, nous révèlent ce qui marche.

Les oiseaux nous ont donné une preuve qu’un objet plus lourd que l’air peut voler. On s’en est servi pour dériver l’aérodynamisme et construire des avions. Les yeux nous ont donné les fondements de l’optique, on s’en est servi pour construire des caméras. On voit dans le monde moléculaire le ribosome qui utilise l’information génétique pour créer des protéines. Autrement dit, c’est une forme de machinerie avec une précision atomique à l’intérieur des cellules. C’est une preuve de faisabilité qui indique que ce type d’ingénierie fait partie de l’urne des technologies. Il nous reste plus qu’à faire suffisamment de progrès pour piocher la boule “Fabrication atomique de précision”.

Autrement dit, si la nature peut le faire, une civilisation technologiquement avancée pourra le faire également, et souvent de manière plus efficace. En effet, certains processus naturels n’ont pas été optimisés pour une fonction bien précise. Ll’évolution s’arrête souvent dès que ça marche suffisamment bien pour qu’un individu puisse survivre. Un exemple intéressant c’est que la nature n’a jamais trouvé la roue malgré les avantages que ça peut conférer.

L’ingénierie exploratoire comme outil pour dessiner les contours des technologies futures

Une autre façon de représenter l’ingénierie exploratoire est de dessiner un graphique où en abscisse et ordonnée se trouvent des métriques de performance. Vous pouvez mettre ce que vous voulez, résistance de matériaux, conductivités électriques, rendement thermique, vitesse de transmission d’un signal, capacité de calcul, la densité énergétique d’une batterie.

Il existe une zone rouge en haut à droite qui correspond à ce qui n’est pas possible. C’est interdit d’aller plus vite que la lumière, les forces gravitationnelles ne peuvent pas être ignorées, ni les lois de la mécanique quantique. Il est possible qu’une révolution en physique fondamentale repousse ou change ces limites, mais elles existeront toujours.

Dans le coin bleu, on trouve les technologies déjà inventées et c’est une zone qui augmente avec le temps, à mesure que l’on progresse. Le reste c’est notre terrain de jeu, l’espace des possibilités où résident toutes les technologies que nous pourrions découvrir. Plus on explore ce qui est proche de la zone bleue, plus on peut être confiant qu’une technologie est possible et verra le jour. Plus on s’éloigne, plus on doit extrapoler les lois de la physique vers leur limite.

Par exemple, prenons l’aviation. Si on modifie les paramètres comme la vitesse, la taille, le poids, type de matériaux, on obtient des résultats qui nous permettent de sonder cet espace des avions possibles avec une certaine fiabilité.

Une autre façon de sonder cet espace des possibilités et de partir d’une technologie existante, et de voir ce qu’il se passe si on améliore certaines de ses propriétés. Par un processus incrémental, cela nous amène à des embranchements qui peuvent mener à une explosion de technologie.

Ce qui détermine si une technologie verra le jour n’est pas seulement sa possibilité physique. Sinon, nous serions dans un cas de déterminisme technologique fort. Les facteurs économique, sociétal, culturel jouent des rôles cruciaux. Et bien évidemment, si l’humanité s’éteint ou choisit volontairement d’abandonner des branches de l’arbre technologique, alors nous ne piocherons pas certaines boules. Mais il faut également se demander à quel point certaines technologies sont contingentes, c’est-à -dire sont découvertes seulement si une série d’événements se produit, ce qui les rend moins probables d’apparaître.

L’histoire est remplie d’événements contingents. Par exemple, est-ce que la 2eme guerre mondiale aurait eu lieu si Hitler avait été accepté à l’école des beaux-arts de Vienne en 1908 ? Impossible à dire avec certitude. Certains pensent que les conditions historiques étaient réunies pour une guerre et qu’Hitler n’était juste que l’étincelle. Si ce n’avait pas été lui, d’autres leaders auraient pris des décisions similaires. D’autres historiens affirment qu’Hitler était une force causale majeure de la 2eme guerre mondiale.

On peut se demander la même chose pour l’histoire des sciences et de la technologie. Est-ce que nous serions toujours sans électricité si Faraday et Maxwell était mort dans un accident durant l’enfance ? Est-ce que notre compréhension de l’univers serait toujours newtonienne si Einstein avait décidé de ne pas immigrer en Suisse ? Étant donné que les découvertes se succèdent en suivant un certain ordre, il semble que certaines idées étaient en quelque sorte mûres et prêtes à être cueillies. Que ce soit Marconi ou un autre, quelqu’un aurait fini par inventer la première radio, avec plus ou moins de retard sur la timeline historique.

C’est moins le cas en Art par exemple où l’apport d’un artiste à une discipline peut être grandement façonné par des événements de sa vie privée. Si Pablo Picasso avait choisi d’être docteur, il est peu probable que son style ait été peint par quelqu’un d’autre. Pour conclure sur ce point, je dirais que l’art et les grandes bifurcations historiques reposent plus sur des événements contingents que les découvertes scientifiques et technologiques. La découverte d’une technologie dépend moins de son inventeur que de sa présence dans l’urne. Si on pouvait observer des branches parallèles de l’histoire ou en recréer dans des simulations contrefactuelles quasi-parfaite, je pense que l’on verrait des nations et empire complètement différents, des religions et philosophies oubliés être majoritaire dans le monde, des formes d’arts inédites et des guerres et colonisations n’ayant jamais eu lieu dans notre histoire. Mais on peut s’attendre à voir la roue, des haches, des bateaux à voiles, des machines à vapeur, des voitures ou encore des télescopes. Certainement pas avec les mêmes designs, inventés des siècles plus tôt ou plus tard, mais reposant quand même sur les mêmes propriétés physiques.

L’ingénierie exploratoire nous révèle donc que nous sommes très loin d’avoir pioché toutes les boules de l’urne des technologies. Cet espace des possibilités est vaste et éclipse les performances de certaines de nos inventions. En restant conservateur, Eric Drexler estime que nous pouvons concevoir des ordinateurs ayant une capacité de calcul des milliards de fois plus rapide. Des matériaux 100 fois plus résistants que l’acier. Faire baisser par 100 les coûts d’envoi dans l’espace d’un objet de 1kg et le flux de production industrielle pourrait être 1000 fois plus important.

Ce genre de performance transformerait radicalement le monde dans lequel nous vivons au point de le rendre méconnaissable. La civilisation disposerait d’un éventail de nouvelles capacités, ce qui changerait la nature de nos problèmes. Les choses qui nous paraissent insolubles aujourd’hui deviendraient triviales, et d’autres problèmes émergeraient.

Encore une fois, aucune prédiction n’est donnée, certaines de ces inventions et technologies pourraient être déployées dans 50 ans, d’autres dans 1000 ans. Certaines, peut-être jamais. Mais elles font néanmoins partie de l’urne des technologies possibles, ce qui suggère qu’on peut utiliser l’ingénierie exploratoire pour dessiner les contours de certaines technologies et les implications qui pourraient résulter de leur découverte.

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