Sommes-nous seuls ? une solution contre-intuitive au Paradoxe de Fermi

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Outre la réflexion sur l’avenir de l’humanité, le Paradoxe de Fermi me fascine énormément, comme en témoigne le nombre d’articles que j’ai consacrées à ce sujet. En fin de compte, ces deux thèmes sont étroitement liés, car l’hypothétique existence de civilisations extraterrestres sert de miroir aux futurs potentiels de notre propre civilisation. Cela nous permet d’imaginer ce que nous pourrions accomplir si nous étions plus avancés sur le plan technoscientifique et, par extension, ce que nous pourrions espérer découvrir dans l’univers, comme les sphères de Dyson, par exemple.

Toutefois, cela présuppose que des civilisations extraterrestres existent, ou du moins, que leur existence est hautement probable, une notion largement répandue et souvent acceptée sans critique.

Selon un sondage mené entre 2015 et 2016 dans 24 pays, au moins la moitié de la population mondiale croit en l’existence de vie extraterrestre. Cette conviction est alimentée tant par une intuition scientifique que par une inclination intellectuelle, voire émotionnelle. Nous aspirons à un univers foisonnant de vie sous toutes ses formes. Je partage cet enthousiasme. Quel plaisir ce serait de vivre dans une galaxie à la Star Wars ! (à condition de ne pas être sous le joug de l’Empire !) Cependant, il est essentiel de ne pas laisser nos désirs brouiller notre jugement. Ils pourraient nous empêcher d’examiner les preuves et les données de manière impartiale.

Je vais donc, à contrecœur, jouer les rabats-joie et argumenter contre ce que j’espère être la réalité, pour démontrer que, finalement, la plupart des arguments pour l’existence de civilisations extraterrestres ne sont pas aussi concluants qu’on pourrait le croire.

La taille de l’univers

Notre galaxie compte environ 100 milliards d’étoiles, et l’univers abrite des trillions de galaxies. Ces chiffres sont absolument vertigineux. D’autant plus vertigineux que nous savons maintenant que la plupart des étoiles sont susceptibles d’avoir des exoplanètes en orbite autour d’elles. Ainsi, à première vue, il semble peu probable que nous soyons la seule espèce technologiquement avancée dans un univers aussi immense. Et ce raisonnement paraît logique.

Cependant, cela implique, avant même que nous commencions à examiner les arguments, que la vie est susceptible de commencer sur d’autres planètes. Mais qu’est-ce qui nous assure que c’est bien le cas ?

Pour estimer le nombre de mondes habités, il ne suffit pas de connaître le nombre d’étoiles ou d’exoplanètes existant dans la galaxie. Nous devons déterminer la proportion de ces systèmes stellaires qui sont potentiellement propices à la vie.

Nous pouvons simplifier la célèbre équation de Drake en une formule plus abordable :

  • Nv (nombre de formes de vie) = Ne (nombre d’étoiles) x fv (fraction de ces étoiles portant la vie).

Nous connaissons l’un des paramètres de l’équation, à savoir Ne, le nombre d’étoiles, qui s’élève à 100 milliards, soit 10^11. De ce fait, les chances que la Terre soit la seule planète habitée dans la galaxie sont d’une sur 100 milliards. Cela semble extrêmement improbable, du moins en théorie.

Cependant, la variable “fv”, ou la probabilité de l’abiogenèse, demeure inconnue. Si “fv” était de 1%, signifiant ainsi que 1% des 100 milliards d’étoiles ont une planète habitée en orbite, alors il existerait 1 milliard de planètes habitées dans notre galaxie. Ce serait formidable. Mais “fv” pourrait aussi être de 10^-11, auquel cas la Terre serait la seule planète habitée de la galaxie.

Et ce n’est pas tout. Si “fv” était de 10^-100, alors aucune planète dans l’univers n’abriterait de vie à part la Terre.

Cette idée paraît incroyable, absolument contre-intuitive. Pourtant, pourquoi “fv” ne pourrait-il pas être de 10^-11 ou 10^-50 ? Quelqu’un a-t-il une justification valable ?

Il m’arrive souvent de penser qu’il serait surprenant que “fv” atteigne 100 %, c’est-à-dire que toutes les étoiles dans la galaxie possèdent des planètes habitées. Il serait tout aussi étrange qu’aucune étoile dans la galaxie, à part celles de notre système solaire, n’en ait. Ainsi, “fv” se situerait entre 10^-11 et 100 %. Mais en vérité, je n’ai aucune base solide pour défendre cette fourchette de valeurs pour “fv”.

Il n’y a aucune raison de penser que 10^-100 est plus ou moins probable que 100 %, 10 %, ou 10^-11. Chaque valeur a la même probabilité d’être vraie, et si vous pensez que c’est 1 % ou 10 %, cela relève simplement d’une préférence pour un nombre plutôt qu’un autre. Certes, le nombre d’étoiles dans la galaxie est astronomiquement élevé, mais la fraction de ces étoiles hébergeant la vie pourrait être astronomiquement faible.

Effectivement, c’est un argument solide, mais vous pourriez me demander : qu’en est-il du principe de Copernic ?

Principe de Copernic

Si la Terre est la seule planète habitée de la galaxie, cela signifierait que notre situation est exceptionnelle. Cependant, un principe, nommé d’après Nicolas Copernic, stipule qu’il n’y a pas de point de vue privilégié dans l’univers. On l’appelle également le principe de médiocrité.

Après tout, le Soleil et les planètes de notre système ne sont pas uniques. Il existe d’innombrables étoiles semblables à la nôtre, et probablement autant d’exoplanètes similaires aux nôtres. Alors, pourquoi la vie et l’intelligence seraient-elles spécifiques à la Terre ? Ce raisonnement, quoique intuitif, est contrecarré par le concept de biais de survie, qui est une forme de biais de sélection.

Pour illustrer ce concept, considérez une expérience où des individus tirent des balles d’une urne. Ceux qui sélectionnent une balle autre que verte sont éliminés, ne laissant que des “survivants” ayant tous opté pour des balles vertes.

Si vous avez choisi une balle verte et que l’on vous demande ensuite de deviner combien d’autres balles vertes se trouvent dans l’urne, pourriez-vous estimer ce nombre de manière fiable ?

Vous disposez uniquement de deux informations.

  • Premièrement, vous avez sélectionné une balle verte.
  • Deuxièmement, si vous n’aviez pas tiré une balle verte, vous ne seriez pas en mesure de répondre à la question concernant le nombre de balles vertes, car vous auriez été éliminé.

Même un lauréat du prix Nobel de mathématique ne pourrait pas résoudre ce problème avec certitude. Il est tout simplement insoluble.

Cette analogie reflète notre situation dans la galaxie. Nous existons sur une planète abritant la vie, ce qui revient à tirer une balle verte parmi des centaines de milliards d’autres. Cependant, nous ne pouvons pas déduire le nombre de planètes habitées en nous basant uniquement sur notre propre existence. Si nous n’étions pas sur une planète habitable, nous ne serions pas là pour en discuter. Voilà en quoi consiste le biais de survie : notre capacité à réfléchir à ces questions est conditionnée par le fait même de notre existence.

Il est logique de supposer que d’autres systèmes solaires ont des planètes similaires à Neptune, car notre existence n’est pas liée à cette dernière. En revanche, pour ce qui est des éléments cruciaux à notre survie, le principe de Copernic ne tient plus. Notre existence influence notre perspective, restreignant notre capacité à faire des inférences universelles sur la vie dans l’univers.

L’apparition rapide de la vie sur Terre

Un argument souvent avancé en faveur de l’existence de la vie extraterrestre est la rapidité avec laquelle la vie a émergé sur Terre. Cela semble suggérer que l’abiogenèse, ou l’origine de la vie, pourrait se produire aisément dès que les conditions appropriées sont présentes. Cependant, ce raisonnement présente des failles.

Premièrement, il est remarquable que notre existence n’aurait pas été possible si la vie n’avait pas commencé tôt dans l’histoire terrestre. En effet, le soleil rendra la Terre inhabitable dans environ un milliard d’années, et il a fallu quatre milliards d’années à l’évolution pour aboutir à des êtres comme nous.

Autrement dit, si la vie avait commencé ne serait-ce qu’un milliard d’années plus tard, nous n’aurions pas été là pour en débattre, car le soleil aurait rendu la Terre inhospitalière avant notre apparition. Nous sommes donc confrontés à un biais de sélection.

Cela nous amène à nous demander si l’abiogenèse se produit tôt dans l’histoire de la plupart des planètes semblables à la Terre.

Pour explorer cette question, considérons une expérience de pensée. Imaginez un million de personnes enfermées dans des cellules individuelles, isolées et ignorant l’existence des autres. Elles ont une minute et un trombone pour tenter de crocheter la serrure de leur cellule, sinon elles mourront. Dans cette analogie, les serrures sont extrêmement difficiles à ouvrir, nécessitant en moyenne cent heures de tentatives aléatoires. Presque tous échouent, sauf un, “Jean-Claude Chanceux”, qui s’évade en moins d’une minute grâce à un coup de chance.

Si nous comparons cela à la vie dans l’univers, chaque cellule représente une planète capable de soutenir la vie, et chaque prisonnier symbolise les efforts de la “soupe primordiale” pour devenir vivante. La Terre serait Jean-Claude.

  • Bonjour Jean-Claude, est-ce que c’était facile de vous échapper de prison ?
  • Ah ben oui, facile et rapide en plus !
  • Et combien de prisonniers ont réussi à s’échapper selon vous ?
  • Oh ben, vu que c’était simple pour moi, je me dis que probablement presque tous !

Tout comme Jean-Claude ignore le taux de mortalité élevé parmi les participants, nous ne sommes pas conscients des autres “essais” dans l’univers. Peut-être que de nombreux mondes abritent la vie, ou peut-être sommes-nous une anomalie.

Ce qui est essentiel ici, c’est de reconnaître nos limitations. Comme Jean-Claude, nous pourrions penser que “crocheter la serrure” est facile, car nous avons un seul point de données : l’émergence rapide de la vie sur Terre. Cela pourrait nous amener à croire, à tort, que la vie est commune dans l’univers. En réalité, sans plus d’informations sur les autres “cellules” ou planètes, nous ne pouvons pas affirmer si la vie émerge facilement ailleurs. Et ce n’est pas l’existence des extrémophiles qui nous renseignent davantage.

Ces créatures illustrent la capacité de la vie à s’adapter à des conditions extrêmes, mais ne prouve pas que la vie peut commencer dans ces conditions extrêmes. Les extrémophiles sont en effet très différents des premières formes de vie et ne représentent donc pas un argument direct en faveur de l’abiogenèse.

Sommes-nous seuls ?

Est-ce que cela implique que nous sommes seuls, résolvant ainsi le paradoxe de Fermi ? Pas de manière absolue, mais l’hypothèse de notre solitude galactique est en accord avec les observations actuelles. Il nous faut davantage de données pour réviser nos conclusions, peut-être fournies par des bio-signatures découvertes par le télescope James Webb.

Dans le débat sur la vie extraterrestre, beaucoup se tournent vers l’espoir et la croyance pour combler l’absence de preuves. Carl Sagan soulignait que la foi est une croyance sans preuves et prônait une approche plus mesurée, conseillant de suspendre la croyance jusqu’à la présentation de preuves tangibles. Cette suspension s’appelle l’agnosticisme.

Ainsi, toute assertion sur la vie extraterrestre relève plus de la foi que de la science empirique. Sagan notait aussi que l’absence de preuves n’est pas la preuve de l’absence, mais la démarche scientifique exige des données pour soutenir toute déclaration.

Cela change-t-il ma façon de regarder les étoiles ? Non, j’aime toujours penser qu’il y a des fédérations planétaires ou un conseil galactique dans notre immense galaxie. La curiosité et l’espoir persistent, mais reconnaître notre ignorance et exiger des preuves solides avant d’accepter des affirmations reste fondamental pour maintenir une certaine honnêteté intellectuelle.

Pour approfondir, je recommande les travaux de David Kipping et un article fascinant de Robin Hanson, qui ont éclairé cette vidéo.

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