Effondrement de la civilisation et méta-crise selon Daniel Schmachtenberger

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Effondrement de la civilisation et méta-crise selon Daniel Schmachtenberger
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Tout comme les siècles précédents, le 21ᵉ siècle possède son lot de crise que nous devrons soit résoudre, soit nous confronter aux conséquences. Jusqu’ici, rien de nouveau. Mais à l’exception de quelques événements historiques comme la peste noire, ce qui change cette fois-ci, c’est que les crises sont d’une nature existentielle. C’est-à-dire de type “tueur de civilisations”. Et c’est une tendance qui ne semble pas ralentir.

On pourrait faire la liste de toutes les crises et tomber dans le désespoir et le fatalisme. Je préfère éviter de vous transmettre ce que les psychologues appellent désormais la fatigue de crise. Au lieu de ça, adoptons une vue plus large sur la situation afin de voir si toutes ces crises n’en forment finalement pas qu’une seule. Pour être franc, ça n’empêchera pas d’avoir le moral dans les baskets, donc préparer un bon bout de chocolat pour la fin de la vidéo.

1. La crise écologique.

Il n’y a pas besoin de parler de venusification de la planète, qui reste un scénario improbable, pour avoir une catastrophe existentielle liée à l’écologie. On se dirige vers une augmentation des phénomènes climatiques extrêmes (sécheresse, inondations), entrainant une migration massive dans de hautes densités de population comme l’inde, le Bangladesh, le Pakistan. Des dizaines de millions de personnes qui se déplacent vont causer des contraintes sur les ressources de subsistances. Tout cela augmente les chances de ruptures de chaines d’approvisionnement et des guerres sur des échelles régionales, voire mondiales. On passe ainsi d’un problème écologique à une catastrophe existentielle par une succession d’effet domino.

Remplacez le premier domino par les zones mortes dans les océans, la diminution des pollinisateurs, l’érosion des sols, l’augmentation du niveau de la mer ou encore la perte de biodiversité et vous obtenez une autre cascade d’effet catastrophique.

2. Technologies émergentes exponentielles

La deuxième grande catégorie, ce sont les technologies émergentes. En particulier celles qui sont de nature exponentielle. C’est-à-dire que chaque génération de technologie améliore la suivante, ce qui entraine une accélération du rythme de progression d’une version à l’autre jusqu’au plateau de la courbe en S. Le problème est que la puissance de ces technologies augmente également de manière exponentielle, tout en devenant exponentiellement moins chère, ce qui signifie que davantage de petits groupes ont accès à la capacité de causer des catastrophes exponentiellement plus grande. (Ça fait beaucoup d’exponentiellement). Autrement dit, la nature exponentielle de certaines technologies peut rendre une destruction de niveau nucléaire accessible non seulement à 9 pays, mais à toutes sortes de petits groupes non étatiques.

Nous sommes passés de deux superpuissances avec une technologie catastrophique en 1949 à une multitude d’acteurs dans une dynamique de course à l’armement sur plusieurs technologies catastrophiques, qui sont plus faciles à produire que les armes nucléaires. La doctrine de la dissuasion ou la destruction mutuellement assurée fonctionne avec deux acteurs, pas avec 150.

Construire des armes nucléaires nécessite des matériaux difficiles à obtenir, prend des années, coûte des milliards de dollars et une expertise scientifique de haut niveau. Le genre d’activité que l’on peut facilement surveiller. Un essaim de drones bon marché armé de système de reconnaissance et d’explosifs est beaucoup plus susceptible de passer sous les radars de détection. Comment fait-on pour réguler la propagation de ce genre de technologie ? Ainsi que les outils d’éditions génomiques amplificateurs de pathogènes ou les IA génératives de médias synthétiques menant à un deepfake apocalypse à la sauce propagande IA passant le test de Turing destructeur de démocratie.

Toutes ces technologies connaissent un taux de croissance supérieur à la loi de Moore, soit dit en passant. Et lorsque l’on parle d’IA, comment ne pas inclure la généralité avec les systèmes issus entre autres de Deepmind et OpenAI. Le temps exact qu’il faudra pour produire une intelligence artificielle plus performante que les humains dans la plupart des taches fait débat. Mais lorsque l’intelligence elle-même est le sujet d’une croissance exponentielle, le train peut aller très vite vers une destination que l’on n’aura peut-être pas la possibilité ou le temps de choisir ! Et si chacun peut faire tourner une IA générale en louant du calcul sur le cloud pour 1000 euros, qu’est-ce qu’il va se passer ?

On pourrait simplement dire que les technologies exponentielles décentralisent et démocratisent des capacités catastrophiques. Ce qui ouvre la porte à un monde extrêmement vulnérable. Cet article académique de Nick Bostrom encapsule le mieux ce concept pour ceux qui veulent aller plus loin. J’ai également couvert en partie le sujet dans une précédente vidéo.

Pour résumer : nous subissons les effets cumulatifs de centaines d’années de technologies industrielles qui nous rapprochent des limites planétaires. Ajouter à ça, la prolifération de capacités catastrophiques résultant des technologies exponentielles. Tout cela crée un paysage de crise sans précédent.

Meta-crise et pièges multipolaires

Pour passer le cap de notre adolescence technologique, il nous faut résoudre tous ces risques. Mais il suffit d’échouer à un seul pour être dans un futur catastrophique. Nous devons donc vraiment adopter une approche holistique et nous demander si on a vraiment un millier de problèmes différents qui sont tous séparés ou y a-t-il un motif sous-jacent ? Que tous ces risques soient finalement les symptômes d’une maladie civilisationnelle chopée en cours de route, à mesure que l’on a franchi les niveaux de développement.

Le philosophe social Daniel Schmachtenberger appel ça la Meta-crise. Et selon lui, cette collection de crises et de risques existentiels a pour motif sous-jacent un concept de la théorie des jeux appelé “piège multipolaire”.

Prenons l’exemple de la pêche. Personne ne se lance dans la pratique de la pêche avec comme objectif de vider les océans de tous les poissons, par pure cupidité. Mais à partir du moment où la pêche devient son gagne-pain, un pêcheur va devoir poursuivre ses propres intérêts économiques. S’il ne devient pas un tout petit peu plus productif que la compétition, il se retrouvera dépassé. Donc il est incité par les forces du marché et de la compétition à trouver des moyens de pêcher toujours plus de poisson. Pareil pour ses compétiteurs. C’est très bien pour encourager l’innovation, mais si aucune régulation n’est mise en place par le Dieu de la pêche, alors tous les poissons finiront par être pêchés, ce qui est un résultat que personne ne voulait, et qui aggrave la situation de tous les pêcheurs sur le long terme. Une course vers le bas ou un cercle vicieux. D’un point de vue extérieur, nous pouvons dire que la surpêche n’est pas une trajectoire désirable. Depuis l’intérieur du système, personne ne peut l’empêcher à cause des incitations perverses.

C’est un exemple de piège multipolaire. Alors certains pourraient dire que c’est finalement la faute du capitalisme, responsable de tout ce qui ne va pas dans le monde. En plus de ne pas être très original, c’est une simplification imprécise. Parfois, une compétition suffisamment intense est suffisante pour créer une situation où quiconque ne fait pas quelque chose de négatif sera surpassé et remplacé par ceux qui le font. Pas besoin de cupidité capitaliste. Par exemple, se doper pour gagner une compétition sportive devient une incitation perverse à partir du moment où un seul compétiteur se met à le faire.

L’exemple le plus connu de piège multipolaire est le dilemme du prisonnier. Je ne vais pas détailler en profondeur cette expérience, d’autres l’ont fait mieux que moi, mais voici un bref compte rendu. Deux voleurs complices risquent 1 an de prison, sauf si un seul des deux prisonniers dénonce l’autre, auquel cas, il est remis en liberté alors que le second obtient une peine de 10 ans. Si les deux se dénoncent entre eux, ils seront condamnés à une peine de 5 ans. En suivant son intérêt personnel, un voleur va opter pour dénoncer son complice afin d’être remis en liberté. Mais son complice va probablement faire de même s’il est rationnel. Il semblerait donc que les deux voleurs vont écoper de 5 ans de prison alors qu’ils auraient pu ne faire qu’un an sans se dénoncer.

Cette expérience montre pourquoi deux individus complètement rationnels pourraient ne pas coopérer, même si c’est clairement dans leur intérêt. On a là une cause sous-jacente de beaucoup de problèmes dans le monde.

Et comme l’a dit l’inventeur américain Charles Kettering : « un problème bien compris est à moitié résolu ». On pourrait rajouter qu’un problème mal compris est insoluble.

On se rend compte que les pièges multipolaires reposent fondamentalement sur un manque de coordination entre acteurs rationnels. Si tous les pêcheurs se coordonnent, pas de surpêche. Si les voleurs se coordonnent, ils ne feront qu’un an de prison. La crise écologique est une externalité de l’échec de coordination causant des pièges multipolaires comme la tragédie des biens communs, le dilemme du prisonnier et l’optimisation du profit.

Dès lors, comment le monde survit à la décentralisation de capacité catastrophique et les pièges multipolaires ? Si vous avez suivi, vous avez peut-être une idée. En augmentant la coordination entre les acteurs. Et c’est finalement ce qu’il s’est passé à la sortie de 1945, lorsqu’on a réalisé que les États-nations n’étaient pas en mesure d’empêcher les guerres mondiales. Pour empêcher ce qui était à l’époque le plus gros risque, à savoir une guerre thermonucléaire, un nouveau type de structure devait être mis en place pour augmenter la coordination. De là, toutes sortes d’organisation intergouvernementale ont poussé comme des petits pois. L’ONU, FMI, Banque mondiale, OMC, le système de Bretton Woods, motivé par l’idée de rendre les guerres plus couteuses que le libre-échange. Lorsque les biens ne circulent plus entre les frontières, les armées le feront. Et vu que les Allemands n’ont pas retenté le coup du plan Schlieffen, mission réussie.

Cela n’a pas empêché les guerres de proxy ou les conflits locaux, mais aucune superpuissance n’est entrée en guerre avec une autre depuis 1945. Pas de 3e guerre de le monde alors que c’était peut-être le scénario par défaut. Certains diront que c’est positif. Par contre, on voit clairement le revers de la médaille. Une incroyable période de croissance économique qui nous a amenés plus rapidement vers les limites planétaires. On voit aussi que les chaines d’approvisionnement étroitement interconnecté à travers le globe augmentent la fragilité du système puisqu’un problème local affecte désormais le monde entier. #Covid.

L’idée d’augmenter la coopération était bonne bien qu’imparfaite, mais ce système post 2e guerre mondiale est en train de s’essouffler et surtout, il n’est pas adapté pour faire face à la métacrise.

Peut-être qu’il faut tourner le curseur de la coordination encore plus. Si demain, les extra-terrestres arrivent sur Terre et tape du poing sur la table : “Bon c’est fini les conneries, à partir de maintenant, on va prendre en charge votre bordel”. Il y a de grandes chances pour que la crise écologique et les technologies exponentielles soient relativement sous contrôle. Le problème de coordination serait réglé pour ainsi dire.

C’est une idée aussi vieille que la philosophie occidentale avec le roi philosophe que Platon revendiquait comme étant la meilleure forme d’organisation. Évidemment, le problème, c’est que le roi est plus souvent un tyran qu’un philosophe si on en croit l’histoire.

Pour prévenir les catastrophes, on a besoin d’une structure de contrôle qui fait appliquer des règles sur toute la planète. Après tout, des accords internationaux sans mesure coercitive ne servent pas à grand-chose. Mais une structure qui a un monopole sur la violence et la promulgation de la loi aura forcément un très gros pouvoir sur le monde. Le spectre 1984 Big Brother se fait sentir.

Et on arrive au deuxième concept de Daniel Schmachtenberger : les attracteurs.

Les attracteurs

Un attracteur est cette idée que dans un système très complexe, nous ne sommes peut-être pas en mesure de prédire exactement le chemin que prendra quelque chose, mais il est possible de deviner une certaine direction, comme s’il existait un effet d’attraction. Une analogie pour comprendre cette idée est d’imaginer un funambule. Sa situation se trouve entre deux attracteurs. Le premier, c’est la gravité qui l’attire vers le bas, ce qui rend la chute probable. Le deuxième attracteur, c’est en quelque sorte l’équilibre sur la corde. Donc l’attracteur chute et l’attracteur équilibre exerce une force d’attraction sur le funambule et on peut prédire avec une grande certitude que le futur du système funambule sera l’un des deux attracteurs.

La civilisation est dans une situation similaire. Nous sommes attirés par une force menant à des catastrophes existentielles en raison de la décentralisation des technologies émergentes et les pièges multipolaires. Et pour contrer cet attracteur catastrophe, nous avons la tentation de centraliser le contrôle et la coordination, ce qui mène dangereusement vers l’autoritarisme. On est coincé entre deux attracteurs suboptimaux.

Vous pouvez parfaitement tout coordonner par quelqu’un qui a une vue d’ensemble, mais vous risquez Staline. Déjà aujourd’hui en occident, beaucoup voit l’approche adoptée par la Chine comme étant dystopique et ce n’est qu’un avant gout du type d’état surveillance nécessaire pour se prémunir de la métacrise.

Ou vous pouvez être totalement libre de toute autorité centrale, mais vous êtes coincé avec les pièges multipolaires et les risques qu’ils créent. Attracteur décentralisation contre attracteur centralisation. Attracteur catastrophe contre attracteur dystopie. C’est un choix entre mauvais et terrible. Daniel Schmachtenberger suggère que nous devons configurer un 3ᵉ attracteur pour sortir de ce choix faustien.

Et j’aimerais pouvoir vous dire que ce 3e attracteur est parfaitement établi. Mais la réflexion est en cours. Plus de questions que de réponse à ce stade. En revanche, on peut identifier certains éléments qui pourraient configurer un nouvel attracteur.

Les pièges multipolaires ont tendance à être opaques puisque chaque acteur essaye d’avoir un avantage informationnel. Lancer une attaque-surprise sur l’ennemi ou dévoiler une innovation secrète sur la compétition incite les acteurs à cloisonner l’information et au secret.

On pourrait donc se dire qu’injecter plus de transparence dans le système est une bonne idée. Si on a de la surveillance du haut vers le bas, on doit exiger une surveillance du bas vers le haut pour que quiconque en position de pouvoir puisse rendre des comptes.

Nous devons améliorer fondamentalement la coordination humaine sans pour autant voler trop près de l’attracteur dystopie. Nous devons supprimer les incitations perverses en identifiant catégoriquement où se trouvent les institutions, agents ou entreprises qui sont profondément mal alignés sur les biens communs. Et comment corrige-t-on ceux qui ne le sont pas ?

La réduction des CHC créant un trou dans la couche d’ozone est un exemple de coordination internationale réussi, malgré les intérêts économiques opposés à ces mesures. Ça doit servir de motivation.

Un troisième attracteur doit fondamentalement mener vers un monde où on évite les catastrophes décentralisées grâce à des structures qui, bien qu’ayant un fort pouvoir de coordination, possèdent des pouvoirs et contrepouvoirs dans le système pour s’assurer le minimum de corruption. De nouveaux modes de gouvernances doivent être inventés qui reposent sur les technologies de notre époque et pas celle du 19e siècle. Le blockchain, démocratie 2.0, l’IA personnalisée feront peut-être partie de la solution.

Ainsi, peu importe sa forme, le 3ᵉ attracteur est peut-être le seul moyen pour passer le cap du 21e siècle sans trop se bruler les ailes et franchir le précipice, pour reprendre la métaphore de Toby Ord.

Après tout ça, on pourrait se dire que c’est terrible et sombrer dans le désespoir. C’est le moment de manger le bout de chocolat (pas la tablette hein ! Juste un bout). Mais rappelez-vous qu’un problème bien compris est à moitié résolu.

Enfin voilà, j’ai beaucoup d’intérêt pour la macro-histoire, les tentatives de prendre du recul, de systématiser les crises et nos choix et d’essayer de créer une carte qui ressemble le plus possible au territoire. Ce modèle par Daniel Schmachtenberger est très intéressant, même s’il n’est pas infaillible au critique. Il a fondé The Consilience Project, un groupe de réflexion qui publie des recherches sur l’atténuation des risques et la conception de nouveaux systèmes sociaux. C’est donc un bon endroit pour suivre le développement de ses idées.

Mais dites-moi ce que vous en pensez ? Est-ce que c’est une approche qui résume bien notre situation, qu’est-ce qui pourrait faire office de 3ᵉ attracteur ?

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