Nous, humains

Tout public Fiction • Temps de lecture : 8 minutes
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Il fut un temps, nous rêvions de conquête spatiale, dans nos fictions, dans nos imaginations. Nous écrivions sur un univers multi-espèces qui s’organisait sous la forme d’une coalition d’ethnies similaire aux nations, aux échanges commerciaux et militaires de la planète Terre. C’était une vision très géo-centrée, mais c’était ce qu’il y avait de plus simple à concevoir. C’était tout ce qu’il y avait à concevoir, en l’absence d’autre chose.

Finalement, nous n’avons pas fait notre entrée dans cette ère interstellaire par la grande porte, comme dans ces space operas, où la technologie nous fait rejoindre les espèces extra-terrestres à travers l’espace, visiter des planètes inconnues, découvrir des mystères insoupçonnés… Non, l’humanité n’a jamais atteint ce stade, et ne l’atteindra probablement jamais. Elle ne s’est pas envolée glorieusement, comme un enfant qui, devenu adulte, peut quitter son foyer et choisir son chemin.

La Terre, nous l’avons quittée par nécessité. Et plus personne ne pourra y retourner, désormais. Elle n’abrite de toute façon plus aucune forme de vie. Pour ça, il ne nous a pas fallu de nouvelles découvertes, des percées phénoménales, des esprits géniaux qui auraient inventé les outils de notre envol vers les étoiles. Il a suffi, comme bien souvent, qu’il soit poussé par la seule force qui a fait avancer les hommes vers le progrès, depuis le début de leur histoire : la survie.

Lorsque le public a pris connaissance de la catastrophe qui s’apprêtait à frapper la planète, il y a fort à parier que le problème à venir était connu depuis déjà longtemps. Mais les gouvernements, les organisations internationales, furent forcées de répondre aux questions. Je ne sais pas exactement ce qui fut à l’origine du désastre ; ceux qui m’ont enseigné ne s’accordaient jamais sur le sujet ; si le Soleil était en cause, si c’était naturel ou provoqué, si nous étions responsables… Les solutions n’étaient pas nombreuses ; nous n’avions pas des années devant nous pour élaborer des plans, former des coalitions, réunir des conseils et des commissions afin de rassembler des fonds, pour financer notre échappatoire. Car c’était de ça qu’il s’agissait : une échappatoire, la dernière, la seule. Tous ceux qui me l’ont rapporté étaient formels : il n’y avait aucun espoir sur Terre.

L’instinct de survie peut pousser les êtres aux pires choses ; à trouver les meilleures stratégies, aussi abjectes soient-elles, pour se frayer un passage. Je sais, c’est facile pour moi de dire ça, je ne l’ai pas vécu, je ne savais pas ce que c’était, ce sentiment qui a saisi chaque être humain conscient de ce qui se passait : la certitude, en tant que membre d’une espèce, que cette planète, qui avait été notre berceau et notre unique demeure, allait disparaître. C’est ce qui explique la panique, la folie, les pires atrocités commises au nom de la survie. Combien, sur les… six ? Sept ? Huit milliards ? Je ne me souviens plus combien ils étaient. Combien ont survécus ?

Je me souviens de mes cours, des engins qui emmenèrent l’humanité dans l’espace… aujourd’hui, cela me fait rire, car ici, ça paraît dérisoire. Ils ont irradié l’atmosphère, ils ont empoisonné irrémédiablement une planète au seuil de la mort, car c’était tout ce qu’il y avait à faire, c’était là que résidait la technologie. Sur les centaines de navettes, des dizaines n’ont jamais vu l’espace, car jamais un tel processus de masse n’aurait pu être entièrement maîtrisé. Et des millions sont morts, ainsi.

Et puis, il y a tous ceux que nous n’avons pas jugé assez important pour survivre. Mais combien d’entre nous – d’entre eux – s’en sont insurgés ? Quand la question de notre survie entre dans l’équation ; les attentions, l’humanisme, l’altruisme, la justice… tout ça ne vaut plus rien.

Et ce ne fut que ça ; une fuite vers la survie, selon des estimations, des hypothèses, des probabilités, des chances… mais personnes ne savait ce qu’il y avait là-haut, autrement qu’en imagination. Personne ne savait où aller, ni vers quel espoir les survivants se dirigeaient. Beaucoup, les plus naïfs, les plus ignorants qui avaient juste suivis la masse, sans jamais comprendre réellement ce qui était en jeu, pensaient être sauvés, qu’on les emmenait vers… vers quoi ? Une nouvelle planète qui avait été découverte, mais qu’on nous avait judicieusement caché ? Un plan de repli, car des cas comme ça avaient été prévus ? Non, le reste des passagers de ces arches de fortune savaient très bien que ce n’était qu’un sursis, qu’il y avait une chance sur un million, un milliard, que dis-je ?…

Alors, imaginez, lorsqu’Ils sont arrivés, ce que ça a dû être. J’étais trop petit, je ne me souviens pas. Je suis né dans le Starcross, tant bien que mal, et comme tant d’autres, après des années de dérive. Je n’ai aucun souvenir du voyage, qui n’a été principalement qu’un cortège ; les voiles gonflaient… si, voilà. Je me souviens des voiles, je crois… je pensais que dans l’espace, il y avait un vent qui nous poussait, comme les bateaux, dans mes livres…

Aujourd’hui, j’ai revendu tous mes livres. Ils s’achètent à prix d’or sur les marchés ; tout ce qui vient des humains se vend très bien. Il n’y a que nous, qui ne nous vendons pas. Ici, nous ne plaisons à personne. Nous ne sommes que des naufragés encombrants et plus qu’étrangers ; nous ne sommes pas de la même race. L’humain a-t-il jamais eu affaire à une autre race, sur Terre ? Non, il dominait, il régnait. Il était au sommet de sa chaîne. Et certains humains étaient plus dominants que d’autres.

Aujourd’hui, nous sommes unis, au moins. Pour Eux, nous sommes tous pareils.

Je sais que jamais mes ancêtres n’auraient pu imaginer qu’un jour, ce serait ainsi que l’humanité atteindrait les étoiles. Et qu’elle finirait dans cet enfer.

* * *

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Sur les trois cent dix-neuf arches qui ont pu quitter la Terre, emportant avec elles des populations des principaux pays industrialisés, seules quelques dizaines ont franchi l’atmosphère de Trik’hamnis. Certaines se sont perdues dans l’espace, certaines ont été victimes de leurs défauts de conception… tous les pays n’étaient pas égaux face à la technologie en jeu, et la course aux esprits s’était faite en dernière minute, de façon drastique, parfois violente.

Cinquante-trois. Tel était le nombre de nos vaisseaux lorsque nous sommes arrivés, à bout de souffle et subjugués par cette chance inespérée. Il n’y en eut que douze qui touchèrent le sol avec des survivants à leur bord. La planète Trik’hamnis, abrégée Trika, est bien plus volumineuse que la Terre. Tous les capitaines, les astronomes, les ingénieurs présents dans les vaisseaux l’avaient vu. Mais il n’y avait pas de solution. Les mécanismes d’atterrissage, les réacteurs, rétrofusées, je ne sais quoi ; tout ce que les esprits brillants de la Terre avaient conçus ; tout ça ne fut d’aucune aide et parfaitement impuissant face à la gravité implacable de Trika. L’atmosphère, également, était différente ; beaucoup d’engins explosèrent avant de toucher le sol.

Et puis d’autres furent abattus, car leurs trajectoires de crash les menaient directement sur des zones peuplées. Et malgré ça, la population autochtone subit de lourdes pertes, les Trikans comme leurs infrastructures, ainsi que d’autres races d’outre-espace.

Et c’était nous, les réfugiés. Nous, les rescapés, les naufragés, qui allions devoir payer le prix de ces vies détruites, de cette catastrophe. Mais nous sommes tellement heureux d’être vivants, n’est-ce pas ? C’est ce que je me répète, ce que je répète à mes amis, dans cette ville où nous survivons tant bien que mal. « Au moins, nous sommes en vie ; l’humain vit ». Lorsque je me dis que cette existence ne vaut rien, je m’imagine, dérivant à travers l’espace, le quotidien s’empirant de jour en jour, sans un espoir, dans le silence de l’espace infini… Alors je sors pour observer Trika, et je lève les yeux vers son ciel jaunâtre. Coupant la voûte au-dessus de l’horizon, vers le sud, l’anneau orbital en construction trace sa ligne squelettique d’est en ouest. Le projet a commencé près de dix ans auparavant ; j’ai vu tellement de choses, depuis, tellement de gens différents de moi… Et je sais qu’au-delà du ciel jaune, il y en a encore plein d’autres. Mais tout ça n’est pas pour nous. Non, l’humanité n’est pas destinée à gagner les étoiles. Pas tant que nous n’aurons pas payé notre dette. Car ici, les choses sont différentes ; les repères sont bouleversés, les règles ne sont pas les mêmes, aussi étranges et choquantes que les visages des Trikans, lorsqu’ils me regardent passer, dans la rue au-dessus de notre maison.

Je ne pourrais pas les définir d’après quelque chose que j’ai connu, dans mes livres ou sur nos écrans. Rien de terrestre ne peut y ressembler. Ils sont pourtant animaux, très loin de l’imaginaire qui a représenté les extra-terrestres sous des traits monstrueux ou répugnants. Ils ont des organes sensitifs, une peau, une pilosité… Quand ont en vient à comprendre que l’essentiel de la survie tient à ces choses, on sait quoi regarder en croisant des exos. Les exos, c’est comme ça que nous avons appelé les extra-terrestres ; Trikans, Roshkas, Narmaür, dont les prononciations, à travers nos organes vocaux, ne sont jamais comprises. Un jour, peut-être, le nom sous lesquels ont les catégorise disparaîtra. Je l’espère, du moins, car cela signifiera qu’ils ont cessé d’être à nos yeux juste quelque chose de non-terrien. De non-humain. Un jour, peut-être, où nous-mêmes serons devenus autre chose que des esclaves invisibles à leurs yeux ; et où nous regagnerons notre identité humaine.

Je me souviens des années qui ont suivies notre arrivée sur Trika ; tous n’ont pas accepté la soumission facilement. Mais comme je l’ai dit, jamais nous n’avions eu à partager la vie avec une autre espèce intelligente. Et ici, les règles étaient déjà en place : nous étions les inférieurs, sans droits, sans légitimité. Nos morales et nos lois n’étaient d’aucune aide. Ce fut donc par le sang que passa le message. Nous étions tout juste assez intelligents pour parler et travailler, à leurs yeux. Nous avons obéi. Nous avons courbé le dos. Car nous voulions survivre.

Alors, quand les jeunes tiennent des propos contestataires, ont des idées de soulèvement, j’ai peur. J’ai peur pour l’avenir de notre espèce, pour le futur que nous aurons peut-être un jour. Peur, car pour la première fois dans l’histoire de notre race, nous ne dominons rien.

Peut-être que mon fils, lorsqu’il aura mon âge, montera là-haut, sur l’anneau orbital, et pourra partir découvrir ces autres lieux au-delà du ciel, dont nous avons toujours rêvés sans jamais pouvoir les connaître en tant que terriens. Peut-être sera-t-il quelqu’un d’important, quand il aura fini de travailler avec les autres enfants humains de notre secteur. Je l’imagine à bord d’un vaisseau – de son vaisseau –, je l’imagine créer ce pont entre nous et les exos. Peut-être gagnerons-nous le droit de participer à cet univers que nous avons toujours observé par une lucarne étroite, et cesserons-nous d’être petits et faibles.

(images par darkapp et rich35211 sur deviantART)
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