Impasse systémique.

Tout public Fiction • Temps de lecture : 7 minutes
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Thomas libère une longue expiration de soulagement. Il ouvre les yeux calmement.

Nous y étions arrivés… Enfin !

Un monde réussi, dans lequel l’Homme et la nature se respectent mutuellement. Un équilibre qui semble désormais presque conventionnel. Comme si l’humanité n’avait jamais fait face à des problématiques économiques, politiques et écologiques de grande envergure. C’était un monde qu’il fallait expérimenter par soi-même pour se convaincre qu’il ne s’agissait pas d’un rêve. Mais tout cela allait bientôt devenir la norme pour les prochaines générations. Déjà aujourd’hui, certains adolescents n’admettraient pas de vivre dans un monde comme celui que nous avons laissé derrière nous. La réussite est donc totale. Nous sommes parvenus à léguer un héritage cohérent, qui fera le bonheur d’un nombre incalculable d’être vivants.

Thomas se sent assez fatigué aujourd’hui. Il est plongé dans ses pensées depuis une bonne dizaine de minutes, un léger sourire béat sur les lèvres. C’est un grand rêveur de nature. Quand le rêve devient réalité, il se sent comme le terrien le plus heureux du monde. Il est capable de rester de longues heures à contempler les passants qui s’affairent chaque jour sur la place centrale de la ville. Lorsqu’il est plongé dans son rituel quotidien, plus rien d’autre n’a d’importance. Ils sont des dizaines à passer sur cette place chaque minute. Thomas se souvient que, quelques années en arrière, les visages qui s’imposaient à son regard, reflétaient la crise profonde que l’humanité se devait d’endosser malgré elle. Aujourd’hui, le sourire et la bonne humeur on finalement remplacé les doutes et les craintes de tout un chacun.

Malgré le plaisir que peut lui procurer le fait de se laisser aller à ses pensées, Thomas n’oublie pas qu’il est venu en ville pour une bonne raison : un courrier très important à poster. Ce n’est pas n’importe lequel des courriers… il le sait, sans même vraiment savoir exactement comment ni pourquoi, mais il le sait.

Il entre d’un pas pressé dans un des immeubles qui entourent la place du centre ville. Au-dessus de l’entrée du bâtiment, un écran publicitaire tourne un message en boucle : “La poste temporelle désormais au service des citoyens – Ici, l’un des premiers points de vente au monde. – Laissez un message à vos proches, à l’époque de votre choix1.”

1 : Choix de l’époque réglementé par décret N°2037-1206. Voir conditions d’achats et charte d’utilisation pour toute question complémentaire.

Thomas passe devant le point de sécurité et s’engouffre bientôt dans la foule agitée du grand hall principal. Des dizaines de personnes attendent leur tour pour passer. Tant de progrès accomplis… et la poste temporelle reste encore à notre époque un endroit ou la lenteur et l’inefficacité font la loi. Envoyer des courriers standards s’avérait parfois assez délicat. Mais là c’est bien pire ! Les courriers temporels sont littéralement victime de leur succès.

Un message vocal tourne en boucle toutes les 30 minutes dans les hauts parleurs du hall :
“Chères clientes, chers clients, afin de préparer convenablement vos envois, veillez à bien respecter les règles de base des transactions temporelles. Pour vos courriers, seuls les écrits et les enregistrements audios sont autorisés. Pour vos colis, les objets envoyés doivent avoir été conçus à une époque ultérieure à la date de réception de votre courrier ou colis. Pour des raisons d’intégrité temporelle, toute transaction ne peut être effectuée à l’égard d’un destinataire qui ne fait pas partie de votre famille proche. Merci de votre compréhension. La poste temporelle à votre service.”

Après deux bonnes heures d’attente, un robot jaune et bleu, d’une forme humanoïde relativement sommaire, vient enfin s’adresser à Thomas…

Le robot : “Bonjour monsieur. Est-ce pour un courrier ou pour un colis ?”
Thomas : “C’est pour envoyer un message à mes arrière grands-parents accompagné de ceci…”

Thomas ouvre sa main droite, dévoilant une petite montre à gousset argentée.

Le robot s’arrête un instant, le regard fixé sur l’objet, il l’analyse.

Le robot : “À quelle époque souhaitez-vous envoyer votre message ?”
Thomas : “Le 16 mars 1937 s’il vous plaît !”
Le robot : “Au nom de la fédération des transactions temporelles, je me vois contraint de vous rappeler que les objets que vous envoyer dans le passé doivent déjà exister à l’époque de destination de votre colis.”
Thomas répond sur un air confiant : “Merci, je suis au courant. Cette montre appartenait à mon père, elle a été conçue en 1935, soit un an et demi avant la date à laquelle je souhaite l’envoyer. L’année de sa conception est même gravée ici, regardez !”

Thomas tend la montre devant le visage simpliste et inexpressif du robot. Ce dernier reste sans bouger le temps de l’analyser. Il arrache alors la montre à Thomas pour l’examiner sous tous ses angles. Après une bonne minute d’analyse silencieuse, le robot rend la montre en affirmant : “Modèle potentiellement renouvelé à une date plus récente. La possibilité d’une réédition du produit originel créé en 1935 n’est pas à exclure. Cet article ne répond pas aux exigences de la fédérations des transactions temporelles. Désolé monsieur.”.

Thomas tente de convaincre le robot : “Je vous assure qu’il s’agit d’un vieux modèle. C’était la montre de mon père. Il l’a hérité de son père qui lui même, l’a hérité de son grand-père.”

Le robot fixe Thomas en silence pendant dix longues secondes, avant de reprendre vie soudainement : “Vérification humaine demandée. Un conseiller vient d’être sollicité. Attendez… Le voici !”

Thomas regarde autour de lui mais ne voit aucun conseillé à l’approche. En se retournant pour regarder derrière lui, il tombe nez à nez avec un homme à la carrure imposante. Son uniforme est sale et terni par le temps. À vu d’œil, l’homme fait dans les 150kg. Il le dépasse d’une tête et demi et ses mains noircies sont au moins aussi impressionnantes que celles d’un gorille. Il lui lance un regard accusateur, comme si Thomas venait de le sortir de la meilleure sieste de sa vie.

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L’homme tend la main vers Thomas et lui dit sèchement : “Donnez-moi l’article concerné.”

Thomas donne la montre à l’homme en se disant discrètement à lui-même : “Ça va, merci. Et vous ?”

L’homme examine l’objet minutieusement pendant une bonne minute.

Thomas tente timidement de le convaincre en lui désignant la gravure de la date : “Cette montre a été fabriquée en 1935 voyez-vous. Elle appartenait à mon p…”

“D’accord !”, l’interrompt l’homme en lui jetant la montre.

Thomas rattrape la montre en s’affolant à l’idée que celle-ci puisse tomber.
L’homme donne un coupon électronique à Thomas pour l’envoi, avant de lui tourner le dos et de disparaître définitivement dans la masse de clients qui attendent leur tour.

Thomas se parle une nouvelle fois à lui-même : “Ouhou ! On se marre bien avec le service client ici !”

Il arrive enfin devant la borne d’envoi et pose la montre à gousset dans un petit bac en plastique recyclable.
Après quelques manipulations sur l’écran tactile de la borne, le bac en plastique se referme. Thomas regarde la montre disparaître avec une légère émotion. Thomas tape son message sur un clavier tactile : “C’est important, mais j’ignore pourquoi.”

Il saisi la date du 16 mars 1937, hésite quelques secondes, et valide finalement son envoi.


L’erreur est humaine… et elle le restera à jamais !

Un monde détruit, dans lequel l’Homme a définitivement anéanti sa mère nature. Un monde qu’il faut expérimenter par soi-même pour se convaincre qu’il ne s’agit pas d’un cauchemar. C’est tout ce qu’il nous reste aujourd’hui. Le pire, c’est qu’il devient la norme pour les générations à venir. Déjà aujourd’hui, les enfants qui survivent n’ont plus la possibilité de concevoir un monde comme celui que nous avons laissé derrière nous. Nous avons échoué en leur léguant un héritage bien pire que celui que nous avions entre les mains.

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Thomas est anxieux. Aujourd’hui est un grand jour. Il est plongé dans ses pensées depuis une bonne dizaine de minutes. Il se mord nerveusement la lèvre inférieure. Le rêve d’un monde meilleur repose sur ses épaules. Les minutes lui paraissent des heures. L’idée de devoir attendre sans rien faire l’insupporte au plus au point. Des dizaine de personnes s’affairent autour de lui. Même si chacun de ces individus connaît précisément son rôle, l’inquiétude et la peur se lisent sur leurs visages.

Thomas reste debout, immobile, attendant que l’orchestre de scientifiques et de mathématiciens termine son œuvre.

Un homme à la carrure très imposante portant un uniforme aux couleurs ternies par le temps, s’approche de lui à grands pas. Il pèse au moins 150Kg et le dépasse d’une tête et demi. Ses mains sont aussi impressionnantes que celles d’un gorille. L’homme s’arrête face à lui et tend sa main droite en direction de Thomas. Au creux de celle-ci, une petite montre à gousset argentée.

L’homme : “N’oubliez-pas, une fois arrivé là-bas, seule votre mémoire émotionnelle aura encore une empreinte. Vous ne pourrez pas rationaliser vos actes en fonction de vos souvenirs. Ces souvenirs seront ceux d’une nouvelle ligne temporelle. Écoutez simplement votre intuition. Si vous savez qu’une chose est importante et doit être faite, faites la !”

Thomas : “Et si cette chose était une erreur…”

L’homme le fixe du regard et lui répond calmement : “Faites-vous confiance !”

Thomas ne sait plus quoi répondre.
Il regarde la montre à gousset quelques secondes et la prend délicatement.
Un souvenir de son père lui traverse brièvement l’esprit.
Il relève la tête… l’homme est déjà loin, il s’enfonce dans le nuage de scientifiques qui s’affairent çà et là.

Thomas examine la montre attentivement. Au dos de l’objet, il peut lire “1935”.
En regardant de plus près, il remarque une très légère éraflure entre le 9 et le 3.
L’espace d’un court instant, l’idée lui traverse l’esprit que le 3 pourrait en fait être un 8…

Une annonce dans les hauts-parleurs interrompt sa réflexion :
“Amorçage immédiat de la procédure de transport temporel du candidat 16-837 Thomas Dewrroe. Prière d’évacuer la zone.”

Thomas prend une longue inspiration et ferme calmement ses yeux.


Thomas libère une longue expiration de soulagement. Il ouvre les yeux calmement.

Nous y étions arrivés… Enfin !

Un monde réussi, dans lequel l’Homme et la nature se respectent mutuellement. Un équilibre qui semble désormais presque conventionnel. Comme si l’humanité n’avait jamais fait face à des problématiques économiques, politiques et écologiques de grande envergure. C’était un monde qu’il fallait expérimenter par soi-même pour se convaincre qu’il ne s’agissait pas d’un rêve…

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