Matrix et la question du bonheur

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Matrix et la question du bonheur
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La saga “Matrix” reste à ce jour une oeuvre cinématographique unique par sa tentative de diffuser de profonds messages philosophiques dans une trilogie hollywoodienne qui a cartonné au cinéma. Ayant révolutionné le style des scènes d’action, les combats et les effets spéciaux (avec le Bullet Time), les films Matrix ont également généré un véritable ouragan dans la culture populaire. Le premier film, sorti en 1999, a changé la face du cinéma en proposant un style visuel unique qui a depuis été copié de nombreuses fois. Acclamé par le public et la critique (4 oscars), il a logiquement été suivi par 2 suites “Matrix Reloaded” et “Matrix Revolutions”. Ces derniers ont reçu un accueil bien plus mitigé avec au cœur des critiques : un jeu d’acteur limite (Désolé Keanu Reeves :/), des scènes compliquées et des dialogues clichés.

Mais peu importe les faiblesses de la trilogie, il faut saluer l’audace des auteurs. Les Wachowskis ont cherché à éveiller l’esprit des spectateurs à une plénitude de philosophies, tout en les divertissants avec de l’action, du Kung Fu et des concepts SF !!! Et ça, ben c’est très fort !

Nous allons juste nous focaliser sur le 1er film. Mais vu à quel point j’aime cette saga, je suis sûr qu’on y reviendra. Alors parmi toutes les philosophies, concepts et thématiques présents dans Matrix, il y a un sujet qui m’intéresse tout particulièrement : Il s’agit de la nature du bonheur. Certainement en raison de mon penchant pour le Bouddhisme.

Et ce n’est pas Neo, le héros de l’histoire, qui permet d’explorer cette question, mais un autre personnage, le judas de l’histoire, le traître qui a livré l’équipage du Neb aux machines, le deuxième méchant du film après l’agent Smith : il s’agit de Cypher !

Ce qui est intéressant avec ce personnage, c’est qu’il se pose les questions que Neo ne semble pas vraiment avoir eues dans la tête, lorsque, face à Morpheus, il a dû faire le choix entre la pilule bleue, et la pilule rouge. Entre la matrice et le monde réel. Pour Neo, 5 secondes chrono et hop. Le choix est fait. Rouge = Je veux sortir de la Matrice. Il aurait au moins pu poser 2-3 questions.

Cypher a également pris la pilule rouge, probablement tout aussi excité à l’idée de connaître la vérité, mais il est vite retombé sur Terre … ou plutôt dans le désert du réel. En effet, Cypher est dégoûté de vivre depuis 9 ans dans un vaisseau qui tombe en ruine dans un monde post-apocalyptique, à bouffer de la gerbe (qui contient tous les éléments essentiels), être dans la peur constante de se faire démembré par les machines, et d’obéir aveuglément à un guru qui recherche l’élu d’une prophétie dont personne ne sait s’il elle est vraie. Ajouté à ça, il voit la femme qui l’aime, tomber amoureuse du nouveau venu ! Du coup, il fait un pacte avec l’agent Smith afin de retourner définitivement dans la Matrice, envoyant au passage ses collègues à une mort certaine.

Je pense que ses motivations pour commettre un tel act immoral sont assez claires. Il préfère retourner dans une vie virtuelle parfaite plutôt que de vivre dans un monde réel qui craint ! Peut-on vraiment le juger pour ça ? Est-ce que dans le même cas, on ne voudrait pas la même chose ? Peut-être qu’une illusion confortable est mieux qu’une vérité désagréable ? Surtout si l’illusion est indissociable de la réalité.

Et c’est là le point central de la question de la nature du bonheur. Est ce qu’il est nécessaire de connaître la vérité pour vivre dans le bonheur ? Ou, posé autrement, le véritable bonheur dépend-il de la nature de la réalité ?

Je pense personnellement que le personnage de Cypher est à la fois dans le vrai et dans le faux concernant la nature du bonheur.

Alors déjà, pourquoi le faux. Si on analyse la différence entre Neo et Cypher, on se rend compte que Neo représente le passage à l’âge adulte. Il est un peu comme un adolescent qui découvre quelque chose de secret, et qui est initié à une nouvelle façon de voir le monde. Il quitte le monde de l’enfance, celui des illusions et fantaisies pour entrer dans le monde réel des adultes. C’est d’ailleurs une des raisons derrière le succès du film après des ados !

Cypher représente le défaitisme. L’envie d’abandonner et de retourner à la maison. De redevenir un enfant. C’est la désillusion de l’âge adulte. Quant à Morpheus, il fait office de figure paternelle (tank qui dit que c’est un père) car il aide Neo dans sa transition vers l’âge adulte. Dans sa maturation. Cypher pense qu’en redevenant un enfant, tout ira bien, il pourra être heureux. Il pense qu’oublier la vérité le ramènera sur le chemin du bonheur. Et je pense qu’il a tort de penser cela. Une fois que l’on connaît une vérité, on ne peut pas la désapprendre. Il ne peut pas ne pas prendre la pilule rouge, puisqu’il l’a déjà prise. Lorsqu’on apprend une vérité, on doit vivre avec. L’oubli n’est pas la solution. Si Cypher souhaite vivre dans le bonheur, il doit apprendre à vivre avec la pilule rouge, avec la connaissance. Tenter de redevenir une pilule bleue, un enfant est une erreur.

Est-ce qu’il a raison en disant que “les ignorants sont bénis ” ? Encore une fois, je pense que non. L’ignorance est la source fondamentale de la souffrance selon la philosophie bouddhiste. La différence étant non pas l’ignorance de la nature de la réalité, mais l’ignorance de la nature de l’esprit.

Mais je pense que sa plus grosse erreur concernant le bonheur se trouve ailleurs. Certes, il est dans le faux en voulant oublier la vérité, mais si on regarde les conditions précises qu’il souhaite pour sa réinsertion dans la Matrice, ainsi que certains traits de sa personnalité, on remarque qu’il vit dans une illusion encore plus grande que celle de la simulation virtuelle. Pourquoi ?

Analysons quelques aspects de sa rencontre avec l’agent Smith. Scène qui révèle sa trahison. Il ne veut pas “simplement” retourner dans la Matrice et ne se souvenir de rien. Il souhaite être quelqu’un d’important, comme une célébrité, avec du pouvoir et bien sûr, riche. Il dit cela dans un restaurant à première vue luxueux, en tout cas, ce n’est pas le kebab du coin, et en mangeant un des steaks les plus appétissants jamais filmés au cinéma. On a donc là deux éléments qui s’ajoute : Il aime les bonnes choses,  et à des goûts de luxe.

Dans la scène qui précède celle-ci, Neo surprend Cypher, alors assis devant les écrans de contrôle de la Matrice. La première chose qu’il fait, c’est de couper les moniteurs, comme s’il avait peur de ce que Neo pourrait y découvrir. Est-ce un petit indice sur la scène qui suit ? Possible sachant le sens du détail des Wachowskis. Mais noter ce qu’il dit ensuite (rousse, blonde, etc.). Cypher explique donc qu’il aime mater les gonzesses dans la Matrice. (D’ailleurs, je me suis toujours demandé si les rebelles étant sortis de la Matrice pouvaient voir n’importe quelle partie de la simulation ? Si c’est le cas, bonjour l’intimité des pauvres gens branchés. Ça doit être l’équivalent de leur porno ! enfin bref, hors sujet). Donc, ce petit détail nous révèle un autre aspect de Cypher : Il aime le sexe. Rien de mal à ça bien sûr, mais en ajoutant cette info à la liste, plus le fait qu’il fantasme clairement pour Trinity, on arrive à la conclusion que Cypher accorde beaucoup d’importance aux plaisirs des sens. Nourriture, femme, sexe, richesse, luxe, célébrité. Il souhaite retourner dans la Matrice pour vivre confortablement. Espérant que ça le rendra heureux jusqu’à la fin de ses jours. Il est donc l’incarnation de l’hédonisme, qui est un courant de pensée philosophique prônant le plaisir et sa recherche comme constituante essentiel au bonheur.

Et bien ça, c’est une erreur. Malheureusement assez répandu dans le monde. En tous cas c’est le point de vue Bouddhiste, et le mien par la même occasion. Le moine Bouddhiste Français, Matthieu Ricard, explique souvent que c’est une illusion de confondre plaisir et bonheur. Voici un de ses textes : “Le plaisir est directement causé par des stimuli agréables d’ordre sensoriel, esthétique ou intellectuel. Le plaisir dépend des circonstances et des lieux ainsi que de moments particuliers qui sont évanescents et instables. De fait, s’imaginer que le bonheur serait une succession ininterrompue de sensations plaisantes ressemble davantage à une recette pour l’épuisement qu’à l’émergence d’un bonheur véritable. Les plaisirs sont certes bienvenus et agréables, mais ils ne sont pas le bonheur. Le terme soukha dans le bouddhisme désigne un état de bien-être qui naît d’un esprit exceptionnellement sain et serein. C’est une qualité qui sous-tend et imprègne chaque expérience, chaque comportement, qui embrasse toutes les joies et toutes les peines. C’est aussi un état de sagesse, affranchie des poisons mentaux, et de connaissance, libre d’aveuglement sur la nature véritable des choses. Soukha est étroitement lié à la compréhension de la manière dont fonctionne notre esprit et dépend de notre façon d’interpréter le monde, car, s’il est difficile de changer ce dernier, il est en revanche possible de transformer la manière de le percevoir.”

Donc même si Cypher retourne dans la Matrice, oublie le monde réel et tout ce qu’il en sait, devient un acteur riche, célèbre et important, et se tape toutes les blondes, rousses et brunettes de la ville, il finira par être malheureux. Car toute cette liste de plaisir est intrinsèquement impermanente. Par conséquent, il finira par avoir peur de tout perdre ce qui le fera souffrir, et inéluctablement, par tout perdre. Ce qui le fera souffrir.

Du coup, trahir ses amis en sachant qu’ils vont se faire zigouiller, juste pour rejoindre le monde des plaisirs des sens, ce n’est pas vraiment le meilleur moyen de vivre dans le bonheur. Maintenant, il ne faut pas non plus penser qu’il faut bannir les plaisirs et que c’est fondamentalement une erreur de souhaiter être riche, célèbre, de bien manger ou autre. L’erreur c’est d’en faire une obsession. De s’y attacher. Il faut être capable de faire preuve de détachement envers les plaisirs qui viennent à nous, tout comme envers les souffrances. Dans les deux cas, elles sont impermanentes.

Maintenant, souvenez-vous. J’ai dit au début que Cypher est à la fois dans le vrai et dans le faux. Comment peut-il être dans le vrai alors que j’ai passé les ¾ du temps à le démolir ! Car je pense que Soukha, le bonheur selon la définition Bouddhiste, peut être atteint sans corrélation avec la réalité dans laquelle nous évoluons.

Ce n’est pas parce que la Matrice est une simulation que les gens vivant dedans ne peuvent pas accéder au bonheur. Ils n’ont pas à chercher la vérité, à percer le voile des illusions, pour être heureux.

Si j’ai choisi de traiter le sujet, c’est parce que je pense qu’il va devenir de plus en plus pertinent, et pas dans un futur très lointain. Le progrès dans les réalités virtuelles est indéniable. Nous arriverons un jour à simuler des mondes indissociables de ce que l’on appelle notre réalité. Que se passera-t-il alors ?

Certaines personnes, comme Cypher, voudront vivre dans ces simulations. Surtout s’ils ont la possibilité de choisir les paramètres.

Imaginer ce scénario : Vous avez la possibilité de projeter votre esprit dans une simulation où tous les choix vous sont offerts. Votre apparence, votre métier, activité, l’endroit où vous vivez, vos compagnons, votre niveau de vie. Un chevalier médiéval, un explorateur, un astronaute découvrant Mars, un footballeur adulé … Que feriez-vous ? J’ai écrit une nouvelle sur le blog The Flares qui aborde ce sujet, intitulé “Le jour de la transition”. Si ça vous dit d’aller y jeter un œil. En tous cas, on peut supposer sans trop se mouiller qu’un pourcentage significatif de la population choisira de quitter la réalité pour aller vivre la vie de ses rêves dans une simulation. Est-ce qu’ils auront raison ou tort ? Est-ce qu’on devrait les juger ?

Je pense que non. En tous cas, en ce qui concerne la question du bonheur. Ils pourront très bien vivre heureux dans ces mondes virtuels. Une réalité composée de ligne de code est-elle vraiment moins valable qu’une réalité faite de particules ? Après tout, qu’est-ce qui vous rend si sûr que vous ne vivez pas déjà dans une réalité virtuelle ? Et peut-être même que vous en avez choisi tous les détails ! Peut-être que vous vivez en 2159 et que vous aviez envie de passer vos vacances au 21e siècle. Le voyage dans le temps n’étant pas possible ou pas encore inventé, vous avez opté pour une simulation de vie. Un peu comme dans l’épisode 2 de la saison 2 de l’excellente série “Rick et Morty” où Morty essaie un jeu nommé “Roy” qui a pour but de vivre une vie entière dans une simulation, en quelques minutes dans le temps de référence. Une idée de dingue !

Bref, tout ça pour dire qu’en étant incapable de savoir si l’on vit dans LA réalité, il est inutile de s’imaginer que l’on ne peut pas être heureux si l’on ne vit pas dans le monde réel. D’ailleurs, dans la philosophie Bouddhiste, la réalité est une illusion. Alors certes, pas dans le sens d’une simulation générée par un ordinateur, mais une illusion qui prend racine dans l’esprit.

Le bonheur ne se trouve pas à l’extérieur. Il n’est ni dans les biens matériels, ni dans le plaisir des sens, ni dans la recherche de la vérité sur la nature de l’Univers. Le bonheur se trouve en nous même. C’est la façon dont notre esprit perçoit nos pensées, qui conditionnent Soukha, le bonheur.

Donc selon moi, Cypher incarne toutes ces questions autour du bonheur et de sa recherche. Il a tort en pensant que l’ignorance et les plaisirs sont la clé du bonheur, mais il a raison de se dire qu’une vie dans une simulation n’est pas moins valable qu’une vie dans le monde réel (qui est peut être également une simulation selon une théorie que j’adhère personnellement). Pour répondre à la question posée plus tôt : est-ce que le véritable bonheur dépend de la nature de la réalité ? Ma réponse est, vous l’aurez compris à travers cette analyse … non.

Toute réalité, peu importe sa nature, possède trois caractéristiques fondamentales :

1- Elle est insatisfaisante, en ce sens que l’existence ordinaire ne parvient pas à vous procurer exactement ce que vous voulez de la vie.

2- Elle est transitoire, car les choses changent d’un instant à l’autre.

3- Elle n’a pas de substance concrète et permanente (Vacuité).

Que ce soit la Matrice, le monde réel ou même vos rêves, c’est la même chose.

Alors je sais que j’ai pas mal (beaucoup) utiliser le bouddhisme pour traiter ce sujet. Ne m’accusez pas de vouloir convertir du monde à la doctrine du Bouddha, je n’en suis d’ailleurs pas un pratiquant pour être honnête. J’ai simplement de l’affinité pour cette philosophie et je trouve qu’elle est relativement présente dans la saga Matrix et que la question du bonheur y tient une part centrale. Maintenant, il y a d’autres philosophes de tout horizon qui ont travaillé sur le sujet. Nietzsche, qui pensait que le bonheur est une sorte de contrôle que l’on a sur son environnement. Socrates qui a dit : “Le secret du bonheur n’est pas de chercher à vouloir plus, mais à développer la capacité d’apprécier avoir moins”. Aristote : “Le bonheur dépend de nous même”. Confucius : “Plus l’Homme cultive les bonnes pensées, plus le monde sera agréable autour de lui”. Ou encore Lao Tzu : “Si vous êtes déprimé, vous vivez dans le passé – Si vous êtes anxieux, vous vivez dans le futur – Si vous êtes en paix, vous vivez dans le présent”.

On remarque quand même un fil conducteur non ?

La bonne nouvelle, c’est que peu importe la nature de la réalité, peu importe si notre monde n’est qu’une simulation, ou si dans le futur nous pouvons choisir de vivre n’importe quelle réalité, il est toujours possible d’atteindre le bonheur !

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