Soldats augmentés : enjeux et technologies

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Soldats augmentés : enjeux et technologies
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L’idée de super-soldat ou soldat augmenté est un élément très courant en science-fiction. Des bandes dessinées aux films, vous avez tous au moins un exemple qui vous vient en tête. Je pense à Master Chief de Halo.

Mais qu’est-ce qui définit un super-soldat ? De quel type d’augmentation parlons-nous ? Quelles sont les considérations éthiques à prendre en compte et surtout, allons-nous vers une course à l’armement des soldats augmentés ? Est-ce déjà le cas ?

Types d’augmentation

Quand on parle du secteur militaire, il faut faire attention au fantasme. Le super soldat imprègne l’inconscient collectif, mais il y a un spectre entre rien ne se passe, et Captain America ou Iron Man. Bien sûr, ce n’est pas quelque chose qui est apparue l’année dernière. On pourrait dire que c’est aussi vieux que les premières armées de métier.

Par exemple, les spartiates avaient un avantage sur les autres cités voisines en façonnant chaque homme au combat et à la guerre depuis leur naissance. Dans ce sens, on pourrait dire qu’ils avaient des soldats augmentés physiquement et mentalement par l’entrainement. Évidemment, la technologie joue un rôle important. Les boucliers, les armures en cotte de maille, l’arbalète, les chars d’assaut, etc. tout cela permet de renforcer l’efficacité du soldat au combat. La thématique du soldat augmenté n’est donc pas nouvelle, mais change de degré avec l’arrivée d’outil au potentiel transformatif et mélioratif bien plus prononcé. La génétique, la prothétique, les nanotechnologies, les biotechnologies, l’informatique et les sciences cognitives n’étaient pas à disposition de Charlemagne ou Napoléon. Et on arrive à la première grande distinction lorsque l’on parle d’augmentation militaire : Augmentations invasives, et augmentations non invasives.

On peut ajouter une autre distinction.

Les augmentations physiques : Masse musculaire renforcée, courir plus vite, voler sur de courte distance, porter plus de charges, voir la nuit, plus d’endurance, absorber plus d’oxygène, acuité visuelle surhumaine, être sensible au champ magnétique, et que sais-je encore.

Les augmentations cognitives : apprentissage amélioré, neurostimulation, réduction de l’anxiété, du stress et de la peur, hyper concentration, réduction de la fatigue psychologique, sommeil amélioré, temps de réaction surhumaine, hybridation avec l’I.A., interfaçage avec le numérique comme contrôler un drone par la pensée…. Et que sais-je encore.

Là où la langue anglaise ne possède qu’un seul mot “enhancement”, il faut choisir entre augmentation et amélioration en français. Deux termes qui n’ont pas la même signification. Le plus ou le mieux. Le soldat augmenté flirte avec ces deux idées.

Historiquement, nul doute que les armées ont tenté d’augmenter leur soldat. Parfois de manière un peu étrange, comme les tentatives de l’armée américaine de former des soldats à l’aide de techniques de combat ésotérique pendant la guerre froide. Par exemple, la clairvoyance ou les perceptions extrasensorielles. Cela ne va pas surprendre grand monde que cela n’a pas marché. Mais ça a inspiré une comédie marrante. Dans le but d’augmenter la concentration, les États-Unis, encore eux, ont expérimenté le modafinil sur des soldats durant la première guerre du Golfe. Et ça, c’est que l’on sait. Évidemment, le secteur de la défense finance beaucoup de recherche, qui se répercute ensuite dans la sphère commerciale et civile. Penser à Internet, au GPS ou le radar. Si l’armée développe des exosquelettes révolutionnaires ou une interface cerveau-machine fiable, combien de temps avant que ces technologies se retrouvent tout autour de nous ?

Considérations éthiques

Certaines augmentations peuvent transformer encore plus le soldat en machine à tuer. Comme des interventions directement sur le cerveau et les émotions des soldats, supprimant la peur et l’empathie pour tuer de manière entièrement détachée. Qui sera responsable en cas de crime de guerre ? Le soldat augmenté, l’état-major qui a autorisé l’augmentation, le médecin qui l’a réalisée ou encore le fabricant du produit ?

Cela donne de la matière pour un scénario de black mirror, mais il faut mesurer certains fantasmes. Je pense que dans beaucoup de pays, incluant la France, certaines barrières ne seront pas franchies. Les militaires doivent opérer dans un certain contexte éthique au risque d’aliéner la population. Et bien sûr, continuer à attirer de jeunes recrues est important, et se transformer en cobaye n’est pas la meilleure campagne marketing !

Il existe une régulation juridique importante pour l’équipement et les armes du soldat. Mais en ce qui concerne les modifications du corps de l’individu avec des technologies invasives, les questions éthiques sont très récentes. Même si toutes les technologies potentielles d’amélioration ne sont pas au point, leurs évolutions prévisibles sont à prendre en compte. Si bien que la défense française, à travers son Comité d’éthique de la défense (Comedef), a rédigé un rapport en 2020 sur le sujet du soldat augmenté.

La ministre des Armées de l’époque, Florence Parly a d’ailleurs déclaré :

“Plutôt que d’implanter une puce sous la peau, nous chercherons à l’intégrer à un uniforme…. nous disons oui à l’armure d’Iron Man et non à l’augmentation et à la mutation génétique de Spiderman.”

On voit donc bien où se situe la priorité de l’armée française. Les augmentations invasives ne sont donc pas activement poursuivies, mais ce n’est bien sûr que la position de la France. Si d’autres nations augmentent leur soldat à coup d’édition génomique, la nécessité de rester à la pointe se fera sentir. Toutefois, en ce qui concerne les modifications génétiques, le militaire n’est probablement pas le premier secteur qui sera concerné, mais plutôt de domaine médical.

Le consentement est une considération éthique importante. En Corée du Nord, c’est bien possible que le soldat n’ait pas son mot à dire. En France, le principe de libre consentement s’applique, bien qu’il existe une tension complexe entre le soldat en tant qu’individu et sa place dans un système hiérarchique régit par la sécurité nationale.

Un des fantasmes qu’il faut oublier c’est l’idée que l’armée va expérimenter sur un seul soldat pour en faire un super soldat comme Captain America. En revanche, des unités d’élite pourraient être les candidats les plus propices aux augmentations. Elles sont plus souvent mises en situation de danger et nécessitent un niveau de performance irréprochable. Donc ce n’est pas si farfelu que ça d’imaginer un régiment commando de type SAS, navy SEAL ou GIGN, recevoir des augmentations invasives. Ce qui signifie qu’il pourrait y avoir une certaine discrimination au sein de l’armée en remettant en cause l’égalité entre les régiments.

On peut aussi anticiper toutes les questions liées à la réversibilité d’une augmentation. Est-ce qu’un soldat pourra augmenter une capacité juste le temps d’accomplir une mission ou pendant son service et ensuite, en retournant dans le monde civil ou une fois devenu vétéran, il perd son augmentation. C’est en tout cas comme ça que l’armée française envisage la chose, idéalement.

Mais on se rend bien compte que cela va dépendre du type d’augmentation. Si c’est un exosquelette, pas de problème. Un implant neuronal ou une édition génétique, c’est un peu plus embêtant… et que se passe-t-il si un soldat augmenté devenu vétéran se retrouve dans un combat de rue et tue quelqu’un parce qu’il a une capacité supérieure. J’imagine que c’est en partie pour cela que l’armée insiste sur une réversibilité.

La différence entre la thérapie et l’augmentation est un débat complexe et courant dans les réflexions transhumanistes. En général, il est admis que pour une personne blessée, malade ou handicapée, la démarche est thérapeutique ou réparatrice. Et “l’augmentation” fait référence à améliorer les capacités cognitives et/ou physiologiques d’une personne saine.

Finalement, l’idée du soldat augmenté qui semble si prévisible n’aura peut-être pas beaucoup de sens si les armes s’automatisent à un point où les conflits se jouent majoritairement sur des opérations militaires par l’intermédiaire de drones ou robots en tous genres, carburant à l’I.A. Ce qui n’est pas nécessairement un futur plus rassurant.

Un certain mythe de domination et d’invincibilité persiste au fil de l’évolution technologique, alimentant les fantasmes les plus fous du super soldat. Mais si nous obtenons des outils pour nous améliorer, pourquoi nourrir ce mythe. Ne serait-il plus bénéfique pour la stabilité du monde et notre espèce d’augmenter nos caractères moraux. Plutôt que d’attribuer 5 points à l’attaque et la défense, mettons 5 points à l’empathie cognitive et émotionnelle sur la fiche personnage de notre futur humain augmenté. Après tout, c’est peut-être la seule façon de réduire nos tendances au conflit et à terme, la nécessité même d’avoir des soldats à augmenter.

Pour aller plus loin, vous pouvez suivre ma conversation complète avec Jessica Lombard dans l’épisode 29 de la série de podcasts “Humain, Demain” en collaboration avec l’AFT. Disponible sur YouTube ou là où vous écoutez habituellement des podcasts.

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