Techno optimisme ou techno pessimisme ?

Tout public
FULL HD
Vlog / Podcast • 13 minutes
Essayez The Flares en illimité : 0€
Techno optimisme ou techno pessimisme ?
Téléchargez au format PDF

Les visions techno-optimistes sont courantes dans l’industrie et la politique, mais elles ont tendance à être traitées avec suspicion dans d’autres milieux. En effet, une grande partie du débat concernant les impacts de la technologie est pessimiste, soulignant les problèmes éthiques et les effets néfastes sur l’environnement, les normes sociales et le bien-être personnel. Nombreux considèrent le techno-optimisme comme irrationnel et superstitieux. Une initiative qui relève plus de la foi qu’autre chose et très peu ancrée dans la réalité. Ou encore que les techno-optimistes sont souvent dans le déni des conséquences et naïfs sur les promesses.

Mais pour aller un peu plus que loin qu’une compréhension superficielle, jetons un œil à publication académique du philosophe irlandais John Danaher, qui est un très bon point de départ. Car le techno-optimisme n’est en fait pas une position spécifique, il s’agit plutôt d’un groupe de points de vue connexes qui varient selon un certain nombre de dimensions.

Dans un premier temps, on peut déconstruire le terme. On a “techno” pour technologie et optimisme.

Technologie :

Qu’est-ce qui nous définit ? Le langage, l’intelligence, l’amour, la conscience, l’art … autant de termes qui sont souvent mis en avant pour différencier l’être humain des autres espèces.

Mais je pense que c’est la technologie qui nous définit le plus. Les abeilles produisent du miel, les castors font des barrages, nous générons des technologies. Si vous placez 10 humains cul nu sur une ile déserte avec une amnésie complète. Au bout d’un mois, ils seront soit tous morts, soit ils auront développé des technologies pour pêcher, s’abriter, récolter de l’eau. Attendez 50 ans, soit ils seront tous morts, soit ils se seront reproduits et auront transmis leurs connaissances jusqu’à finir par quitter l’ile et explorez le reste du monde.

En fait, Homo Techne ou Homo Technologia serait un nom bien plus approprié qu’Homo Sapiens si ça ne tenait qu’à moi.

Le professeur d’histoire et de sociologie Eric Schatzberg a écrit une longue histoire du concept de technologie et suggère qu’il existe une école de pensée dominante, appelée l’instrumentalisme, qui soutient que la technologie est l’expression d’un raisonnement instrumental, c’est-à-dire comme un ensemble d’outils culturellement transmissible pour résoudre des problèmes et atteindre des objectifs.

Optimisme :

Maintenant, passons à la deuxième partie du terme. L’optimisme et le pessimisme sont les deux extrémités du même éventail, ce qui veut dire qu’en définissant l’un, on doit pouvoir dériver la définition de l’autre.

Déjà, voyons ce que le pessimisme n’est pas. Le pessimisme n’est pas le fatalisme, l’idée que l’avenir est fixe et échappe au contrôle humain. Ce n’est pas du cynisme, l’idée que les êtres humains sont essentiellement mauvais ou malfaisants. Ni du nihilisme, l’idée que rien n’a de valeur.

Le pessimisme se caractérise le mieux par la position que “le mal l’emporte sur le bien” ou encore “le mauvais l’emporte sur le bon” pour éviter le côté “conte de fées” bien contre mal. Sinon, on a l’impression qu’on est dans Star Wars. Donc, on peut facilement conclure que l’optimise se trouve à l’opposé. Que le bon l’emporte sur le mauvais”.

Il est intéressant de constater que ceux qui se considèrent nihilistes ne peuvent pas s’affirmer optimistes ni pessimistes sans créer une contradiction sémantique. Si on pense qu’il n’y a pas de valeur, pas de bien ou de mal, alors comment croire que le mauvais prédomine sur le bon ou vis versa ? Les pessimistes et optimistes doivent croire qu’il existe une métrique selon laquelle la prévalence du mal ou du bien peut être mesurée.

Mais il existe plusieurs dimensions attachées à cette définition de l’optimisme, sinon ce serait trop vague.

  • La première concerne le degré relatif d’optimisme, c’est-à-dire dans quelle mesure le bon l’emporte sur le mauvais. Est-ce que c’est insignifiant ou significatif ?
  • Ensuite, l’orientation temporelle de l’optimisme. Les présentistes pensent qu’il y a plus de bonnes choses que de mauvaises en ce moment, les futuristes pensent que ce sera le cas dans le futur. C’est possible d’accepter les deux positions.
  • La troisième dimension concerne la robustesse de l’optimisme. Est-ce qu’on accorde une forte ou une faible probabilité à l’affirmation que le bon prédomine sur le mauvais. Ce qui peut être vu comme un optimisme fort ou un optimisme faible.

Les vues optimistes s’appliquent également à différentes échelles : nous pouvons être optimistes à un niveau personnel ou impersonnel. Une personne peut penser que sa vie va être horrible, mais que l’humanité va prospérer et inversement ou les deux.

Bref, comme nous le voyons, déconstruire ce terme nous amène vers une compréhension bien plus nuancée et multiple de l’optimisme. À partir de là, on peut définir plus clairement le techno-optimisme : la position qui soutient que la technologie, en termes instrumentalistes, joue un rôle clé pour garantir qu’il y aura plus de bonnes choses que de mauvaises, et ce, à divers degrés.

Une fois que nous avons saisi le sens du techno-optimisme, nous sommes mieux armés pour le défendre ou le critiquer. Et pour ce faire, nous devons suivre 3 étapes :

  • Établir des valeurs : Afin de juger si les bonnes choses prédominent les mauvaises, il faut pouvoir déterminer ce que l’on considère comme étant bien, et comme étant mal. Alors quelques exemples qui ne me semblent pas faire trop polémiques (quoique, de nos jours, qu’est-ce qui ne l’est pas). C’est mieux d’être en bonne santé que d’être malade. Commettre un génocide, c’est mal. Ce genre de chose. Vous n’êtes peut-être pas d’accord, mais vous comprenez l’idée qu’établir les valeurs est essentiel. Sinon, on parle dans le vide.

 

  • Déterminer des faits : ces valeurs vont nous servir de métrique. Ensuite, il suffit d’ouvrir des livres d’Histoire et chercher les faits et les données. Vous pouvez le faire vous-même, le site ourworldindata est une mine d’or d’information. Sinon, il existe des livres qui prennent en compte un large éventail de critères, comme l’espérance de vie, la mortalité infantile, l’égalité des droits, les maladies infectieuses, la pauvreté (pour n’en citer que quelques-uns). Le professeur américain Steven Pinker est connu pour ce genre de travaux, mais il n’est pas le seul.

 

  • Évaluer le pour et le contre : Une fois que l’on a nos valeurs, et nos données, il suffit de peser le pour et le contre sur le rôle de la technologie dans l’amélioration ou la dégradation de ce que l’on valorise. Certaines choses sont pires, d’autres sont mieux. Est-ce que la balance penche plutôt vers le bon ou vers le mauvais ?

Vous obtiendrez alors une conclusion qui va en faveur ou contre le techno-optimisme. En général, si vous pensez que c’est mieux de vivre aujourd’hui qu’en 1500, 800 ou -2000, et que la technologie y est pour quelque chose, c’est surement un signe qu’il y a un peu de techno optimisme en vous.

Mais vous allez me dire que ce n’est que pour juger du techno-optimisme présentiste. Peut-être que la technologie a joué un rôle clé pour garantir plus de positif que de négatif. Mais ça ne va pas durer. Le pire est en route.

Beaucoup de techno-optimistes présentistes ont tendance à être également de futurs optimistes, mais nombre d’entre eux reconnaissent que la dégradation de l’environnement et le changement climatique sont les nuages les plus évidents à l’horizon.

Les transhumanistes et les techno-utopistes sont les plus optimistes quant à l’avenir et, en particulier, au pouvoir de la technologie d’améliorer radicalement la condition humaine. Mais un nombre non négligeable sont par ailleurs très vocaux sur les risques existentiels directement issus de technologie. Pour citer l’un d’eux, Anders Sandberg qui reconnait que si les transhumanistes sont parmi les pionniers de la recherche sur l’extinction humaine, c’est bien, car ils ont un immense optimisme pour le futur et qu’il serait catastrophique de ne pas réaliser notre potentiel.

Les formes les plus fortes de techno-optimisme prétendent que la technologie joue (ou jouera) un rôle nécessaire et suffisant pour assurer plus de bonnes choses que de mauvaises. Les formes les plus faibles prétendront que la technologie joue (ou jouera) un rôle important, mais pas nécessaire.

Critique du techno-optimisme :

Alors, il y a plusieurs critiques que je vais lister.

La critique de l’exploitation :

La critique la plus courante est la nature non viable du progrès technologique, puisqu’il dépend de l’exploitation de ressources limitées qui s’épuisent et finiront par disparaitre. À ce stade, toute prévalence du positif sur le négatif sera alors inversée. Donc le techno-optimisme futuriste est faux.

Des techno-optimistes répondent, preuve à l’appui, que la technologie à tendance à l’optimisation. Dans les années 1950, une canette de boisson utilisait 85 g d’aluminium. En 2011, il n’en fallait que 12,75g. Et cet effet de maturité, comme il est parfois appelé, est vrai dans de nombreux secteurs. Nous faisons plus avec moins. D’autres critiques mettent en avant à juste titre l’effet rebond qui stipule que cette optimisation fait que la canette en aluminium sera vendue moins cher, ce qui augmente la consommation et retour à la case départ.

On a là une critique qui semble finalement plus ciblée au modèle économique actuel qu’à la technologie elle-même. Le techno-optimisme n’est pas nécessairement lié à la croissance. Nous pourrions, par exemple, affirmer que la technologie jouera un rôle crucial dans la réduction de l’exploitation environnementale et permettra le passage à un modèle économique alternatif comme une économie régénérative ou circulaire.

Ensuite, la croissance n’est pas forcément liée à une forme particulière d’exploitation, mais ce sont les idées et les innovations qui comptent. Pour caricaturer, nous ne sommes pas sortis de l’âge de pierre parce que l’on a manqué de pierre. Et enfin, il y a d’autres ressources à exploiter, nous avons juste besoin de la technologie pour y accéder. Par exemple, les astéroïdes si on se projette loin dans l’avenir.

Critique de l’irrationalité :

Le techno-optimisme repose sur une confiance injustifiée dans les technologies futures qui ne peuvent être connues, car on ne peut pas prédire l’avenir. C’est vrai, mais cette critique peut être renvoyée au techno-pessimiste. Toutefois, il est possible d’adopter une forme modeste de techno-optimisme en accordant des probabilités plutôt que des certitudes sur différentes avancées technologiques.

Critique de l’adaptation :

Au fur et à mesure que les choses s’améliorent, nous nous adaptons à une nouvelle norme. Nous commençons alors à penser que tout va mal parce que les choses ne sont pas meilleures que cette nouvelle base, sans réaliser à quel point la vie est meilleure par rapport au siècle précédent. On est en plein dans du Schopenhauer !

La psychologie humaine est telle que, quel que soit notre état actuel de bien-être, avec suffisamment de temps, nous avons tendance à nous y adapter et en faire la nouvelle norme. Ce phénomène est réel sur le plan individuel, mais également sur le plan sociétal.

Ainsi, c’est presque garanti que si absolument tous les plus gros problèmes de 2022 sont résolus dans un siècle, les gens se plaindront quand même.

Cependant, cette critique ne s’applique qu’à un ensemble limité de valeurs, notamment le bonheur ou le bien-être subjectif. Mais il existe des valeurs qui ne sont pas sujettes à une adaptation hédonique. Moins de pauvreté absolue et moins de maladies mortelles sont des exemples de bonnes choses qui seront toujours bonnes, peu importe à quel point nous y sommes habitués.

Il y a également une critique qui est bien plus difficile à répondre. C’est même selon moi un coup de grâce au techno-optimisme.

La critique de l’entropie :

L’univers tend, finalement, vers le chaos et le désordre. Plus formellement : la quantité d’énergie disponible pour une transformation utile diminue avec le temps. C’est quand même très proche de dire que le mal prévaut sur le bien. Un partisan de cette critique pourrait accepter que la technologie jouera un rôle temporaire dans la dominance des bonnes choses sur les mauvaises. Mais ce sera éphémère, car tous les atomes de l’univers finiront par se séparer et l’univers deviendra froid et sans vie.

Il n’y a pas grand-chose que l’on puisse faire pour contrecarrer la 2ᵉ loi de la thermodynamique. Mais cela n’empêche pas un optimisme futur temporaire et modéré. On pourra s’inquiéter de la mort thermique de l’univers dans 10^100 ans.

Pour conclure, toute personne plaidant pour le techno-optimisme devrait suivre un modèle d’argument avec quatre prémisses clés (une prémisse de valeurs, une prémisse de faits, une prémisse d’évaluation et une prémisse technologique). Chacune de ces prémisses est ouverte à un certain nombre de critiques, et par conséquent, il est impossible de défendre une forme forte de techno-optimisme. Malgré cela, John Danaher conclut qu’une forme modeste de techno-optimisme, qui ne suppose pas que la technologie sauvera l’humanité par elle-même ni que la technologie est suffisante pour que le bien l’emporte, est défendable.

Cette forme modeste de techno-optimisme a en son cœur les actions collectives. Elle soutient que croire en notre pouvoir de créer les bonnes institutions pour générer des technologies, et agir sur cette croyance d’une manière prudente et sensée peut augmenter la probabilité qu’il y ait plus de bonnes choses que de mauvaise dans le futur. De cette façon, contrairement à ce que prétendent les critiques, il n’est pas irrationnel de supposer que le techno-optimisme est une sorte de prophétie autoréalisatrice.

 

Rate this post
[contenus_similaires]

Qui est derrière ce contenu ?
Rate this post