Niveau de civilisation : l’importance de la maturité technologique selon Carl Sagan
Au sommaire
Sommes-nous une civilisation avancée ?
C’est une question qui possède plusieurs réponses en fonction de son point de référence et de sa définition de “civilisation avancée”. Autrement dit c’est assez arbitraire.
Mais déjà, faisons un petit point sur notre espèce et notre parcours jusque là.
Pendant des millions d’années, toutes les espèces d’hominidés, aussi bien les plus récentes que les anciennes, ont dû trouver leur propre nourriture. Ils passaient une grande partie de la journée à cueillir des plantes, des champignons et à chasser. Puis, au cours des 12 000 dernières années, l’une d’entre elles (et la seule restante) appelé Homo Sapiens a découvert qu’elles pouvaient contrôler la croissance et la reproduction de certaines plantes et animaux. Cette découverte a conduit à l’agriculture et à l’élevage, des activités qui ont transformé les paysages naturels de la Terre, d’abord localement, puis mondialement.
Les humains modernes ont développé une combinaison unique de caractéristiques physiques et comportementales, dont beaucoup d’autres espèces d’hominidés possédaient également, mais pas au même degré. Les cerveaux complexes des humains modernes leur ont permis d’interagir les uns avec les autres et avec leur environnement de manières nouvelles.
Comme les humains ont investi plus de temps dans la production de nourriture, ils se sont sédentarisés. Les villages sont devenus des villes et les villes sont devenues des civilisations. Avec plus de nourriture disponible, la population humaine a commencé à augmenter considérablement. Notre espèce a connu un tel succès qu’elle a créé par inadvertance un tournant dans l’histoire de la vie sur Terre. Elle a fabriqué des outils spécialisés, maîtrisé le feu, construit de larges réseaux sociaux, échangé des ressources sur de vastes distances et crée de l’art, de la musique, des ornements, des rituels et un monde symbolique complexe. Les humains modernes se sont répandus sur tous les continents et ont augmenté considérablement leur nombre.
Puis, il y a à peine quelques instants du point de vue cosmique, nous avons avancé encore plus rapidement, développant des télescopes et des machines à vapeur, découvert le fonctionnement de la gravité, l’électromagnétisme et les forces qui maintiennent les noyaux des atomes. Nous avons développé des connaissances de plus en plus grandes en faisant parler des bouts du réel grâce à la science. Ce qui nous donna accès à encore plus de capacité. Éclairer un bâtiment la nuit, parler à quelqu’un dans une autre ville ou monter dans un véhicule qui n’avait pas besoin d’être tiré par un cheval.
Et nous voilà aujourd’hui dans la premiere moitié du 21e siècle a nous demander si nous sommes une civilisation avancée. L’ancienne Égypte ou la chine impérial entre dans la liste pour certains alors que d’autres estiment que nous sommes une civilisation avancée que depuis la 1ere révolution industrielle, la découverte de la fission atomique, nos premiers pas dans l’espace ou l’invention du Floss !!
Si on prend du recul, n’importe quelle période post-agriculture fait office de civilisation avancée si on compare avec les autres espèces du règne animal, vu l’étendue de ce que l’on peut faire et comprendre de la réalité.
Donc oui, peu importe où se trouve le seuil, nous l’avons passé, ce qui fait de nous une civilisation avancée. Pas si vite. Pourquoi le seuil devrait forcément se trouver dans notre histoire ? Pourquoi pas dans notre futur ?
La maturité technologique
Nous avons vraiment parcouru un long chemin depuis les premiers silex, mais jusqu’où pouvons-nous encore aller ? Y a-t-il une limite à notre progrès technologique ? On en a parlé plus en détail dans cet article, mais ce qui est sûr c’est que l’ensemble de ce qui est permis par les lois de la physique éclipse tout ce que nous jugeons avancé. Il existe peut-être des civilisations extra-terrestres des millions d’années plus vieilles que nous. En comparaison, il serait hautain de prétendre être une civilisation avancée si l’on découvre des intelligences s’amusant avec des sphères de dyson et captant l’énergie des trous noirs.
Personnellement, je considère qu’une civilisation avancée est une civilisation qui a atteint la maturité technologique. Qu’est ce que ça veut dire ?
L’histoire de la vie sur Terre est une histoire d’extinction. 99% des espèces ayant vécu sur notre planète se sont éteintes. Et pour être clair, l’extinction d’une espèce n’est pas la même chose que son évolution en d’autres espèces aux caractéristiques similaires. Si on représente la vie comme un arbre, une extinction c’est lorsqu’une branche se retrouve coupée soit par un événement cataclysmique, soit par une diminution progressive de la population.
La maturité technologique est liée à notre capacité à éviter l’extinction. C’est le moment où nous serons quasi immunisés contre les risques existentiels. Malgré les progrès que nous avons réalisés, nous sommes encore assez vulnérables, à la fois aux forces de la nature, mais surtout face à nos propres technologies.
En suivant ce raisonnement, l’astrophysicien Carl Sagan avait l’habitude de dire que les humains sont dans une période d’adolescence technologique. Nous avons acquis des capacités technologiques impressionnantes, mais nous prenons des risques inutiles, manquons d’organisation et nous préférons les bénéfices à court terme plutôt que des considérations longtermistes.
Selon la sagesse avec laquelle nous utilisons nos technologies et connaissances, nous pourrions devenir une espèce avec une chance raisonnable d’atteindre une très longue longévité en passant le seuil de la maturité technologique. Ou bien, nous allons disparaître parce que notre technologie a progressé plus vite que notre sagesse, ou nous succomberons à une catastrophe naturelle parce que notre technologie n’a pas avancé assez rapidement.
Menace existentielle : la peur de Carl Sagan
Lorsqu’il a inventé le terme dans les années 1970, Carl Sagan avait en tête une menace existentielle très pressante à l’époque: l’arsenal nucléaire combiné des États-Unis et de l’URSS, approchant environ 50 000 ogives à l’époque. Bien que ce nombre ait baissé à 13 400, le danger d’un conflit nucléaire est toujours important, et les histoires de fausses alertes au cours du 20e siècle nous disent à quel point nous avons eu de la chance. Je vous invite à regarder notre précédente vidéo sur le sujet.
Mais la chance ne suffit pas à préserver une espèce de l’extinction indéfiniment. Carl Sagan était profondément inquiet que nous ne puissions pas mûrir assez vite pour échapper à la destruction. Mais c’était aussi un optimiste, convaincu qu’étendre notre connaissance du cosmos, et apprendre un jour que nous n’y sommes pas seuls pourrait nous rendre beaucoup plus sages et améliorer considérablement nos chances de survie.
“Un seul message en provenance de l’espace révèlera qu’il est possible de survivre à l’adolescence technologique”
écrivait Carl Sagan dans le magazine Smithsonian en 1978.
Le taux d’extinction diffère selon les groupes d’organismes. Les mammifères, par exemple, ont une durée de vie moyenne, de leur origine à leur extinction, d’environ 1 million d’années, bien que certaines espèces persistent jusqu’à 10 millions d’années.
Homo Sapiens a vécu sur Terre depuis à peu prés 300 000 à 200 000. C’est encore sujet à débat. Et les premiers humains modernes ont commencé à se déplacer hors d’Afrique à partir de 70 000 à 100 000 ans environ. Mais peu importe la date exacte, nous sommes finalement au premier tiers de cet âge moyen de 1 million d’années. Ce qui renvoie à l’idée d’adolescence mise en avant par Carl Sagan.
L’échelle de Kardashev comme métrique utile
Est-ce que l’échelle de Kardashev, qui considère la consommation d’énergie d’une civilisation, peut nous donner une idée du moment où nous aurons atteint la maturité technologique ?
Cette échelle spéculative proposée par l’astrophysicien russe Nikolaï Kardashev comporte 3 types de civilisation. Planétaire, stellaire et galactique. D’autres ont été ajoutés par la suite.
Une civilisation de type I utilise et contrôle l’énergie à une magnitude planétaire. Par exemple, si nous convertissons toute l’énergie solaire qui atteint la Terre en énergie pour notre usage, ou si nous générons et consommons cette quantité d’énergie par d’autres moyens. Comme avec la fusion nucléaire.
Contrôler l’énergie à une magnitude planétaire signifie également contrôler les diverses forces de l’atmosphère, de la croûte, du manteau et du noyau de la planète. Une civilisation de type I peut influencer la météo, prévenir les tremblements de terre et les éruptions volcaniques. Elle est également capable de détecter les astéroïdes et de les dévier si besoin. Elle a donc de solides garanties contre les forces de la nature les plus destructrices. Reste à s’immuniser contre ses propres technologies, ce qui est loin d’être évident.
Les voyages interplanétaires semblent être également requis pour qu’une civilisation maximise les chances de survie sur le très long terme. En effet, en ayant une ou plusieurs colonies sur des astres de son système solaire, voir des habitats spatiaux de type cylindre d’Oneil, une civilisation possède une sorte d’assurance vie face à une catastrophe sur sa planète d’origine.
Une civilisation de Type I est donc synonyme avec la maturité technologique selon les critères que nous avons vus. Sur la base d’une extrapolation de notre consommation croissante d’énergie réalisée pour la première fois par Carl Sagan dans les années 1970, nous sommes une civilisation de Type 0.7.
Le problème c’est que nous obtenons encore notre énergie en grande partie par des moyens polluants et non renouvelables. Atteindre la maturité technologique signifie être moins vulnérable aux menaces existentielles, il est donc logique qu’elle s’accompagne par une certaine harmonie environnementale.
Au niveau de la survie, il y a encore du chemin à faire, même s’ il y a des signes positifs. Bien que nous n’ayons pas perfectionné le voyage interplanétaire, nous envoyons quand même des sondes aux quatre coins de notre système stellaire. Le transport d’humains entre les planètes n’est qu’une question d’ingénierie, quelque chose que nous aurions déjà pu faire avec suffisamment d’efforts et d’argent. Et c’est d’autant plus frustrant pour les enthousiastes de l’espace. Sans nécessiter aucune nouvelle découverte majeure, nous pourrions construire des colonies sur la lune ou Mars, protégeant au moins quelques milliers de personnes d’une catastrophe planétaire, et cela pourrait être une réalité dans quelques décennies vu les différents projets en cours. Et bien sûr, s’établir dans l’espace ne veut pas dire abandonner la Terre ou ne pas tenter d’en prendre soin. On peut faire les deux.
Nous faisons également un peu de progrès avec les tremblements de terre, en améliorant nos méthodes de détection pour avertir les populations susceptibles d’être touchées, même si nous ne pouvons pas encore intervenir pour les prévenir. Nous surveillons des objets spatiaux tels que des astéroïdes et des programmes visant à empêcher tout corps dangereux de frapper la Terre sont en train d’émerger comme la mission DART (double Asteroid Redirection Test) ou the Asteroid Grand challenge de la NASA. Le projet islandais de forage profond, IDDP, a foré des puits jusqu’à 5 km de profondeur pour tenter d’exploiter la chaleur dans le substrat rocheux volcanique. Constituant une avancée majeure vers la capacité à siphonner la pression du magma accumulée qui provoque des éruptions volcaniques.
Cependant, je suis moins optimiste concernant la capacité de contrôler nos propres technologies. En particulier dans le domaine de l’intelligence artificielle et le génie génétique. La probabilité qu’une super intelligence artificielle voie le jour augmente chaque année sans apporter beaucoup de solution sur le problème du contrôle et d’alignement des valeurs. Quant au génie génétique, les outils d’édition génomique se démocratisent au point d’envisager des scénarios de bioterrorisme apocalyptique.
Nos capacités suggèrent que nous allons dans la direction d’une civilisation de type I. Y arriverons-nous assez vite? Chacun peut faire sa prédiction, il y a des points qui semblent encourageants, d’autres qui démoralisent. Comme Isaac Asimov l’a si bien dit :
“L’aspect le plus triste de la vie en ce moment est que la science engrange des connaissances plus rapidement que la société ne développe la sagesse.”
Lorsque nous passerons le seuil de la civilisation de type 1, nous aurons atteint la maturité technologique. Ce qui nous donne de bonnes raisons de penser que nous aurons une certaine immunité face à l’extinction. Mais, c’est évidemment concevable qu’une civilisation de type 1 en route vers le type 2, c’est à dire stellaire, fait face à de nouveaux risques existentiels. Finalement, les risques existentiels les plus pertinents aujourd’hui ont émergé durant les 70 dernières années. Nous ne pouvons pas savoir ce qui est au-delà de nos connaissances. Toutefois, il est quand même raisonnable d’envisager la très longue survie d’une civilisation de type 1.
Mais chaque chose en son temps. L’objectif est d’abord de viser ce cap de la civilisation de type 1. Et c’est seulement là que nous pourrons nous proclamer avec confiance, une civilisation avancée. En attendant, nous sommes des adolescents capricieux, toujours en quête de satisfaction immédiate. S’amusant avec des technologies divines, tout en possédant des institutions médiévales et des cerveaux préhistoriques.
Une combinaison qui ne fait pas bon ménage.
[contenus_similaires]- Realisation
- Commentaire voix off
- Montage image
- Sources images et videos
- Sources audio